Survie

Fathi Chamkhi : « Pour un moratoire immédiat de la dette tunisienne ! »

(mis en ligne le 12 septembre 2011) - Fathi Chamkhi, Raphaël de Benito

Les nouvelles autorités
tunisiennes ont très vite,
après la chute de Ben Ali,
donné des assurances aux
créanciers internationaux leur
assurant un remboursement
de la D’après le gouverneur de
la Banque centrale, la Tunisie
doit rembourser 1120 millions
de dinars (560 millions euros)
alors que le pays a besoin
de consacrer toutes ses
ressources financières à ses
budgets sociaux.Témoignage
de Fathi Chamkhi, porte-
parole de Raid Attac et Cadtm
Tunisie, qui milite activement
pour la suspension du
remboursement, l’audit de la
dette et l’abolition de sa partie
odieuse.

Billets d’Afrique : Pourquoi ne pas avoir suspendu le remboursement de la dette au
lendemain de la révolution ?

Au lendemain de la révolution, la décision de suspendre le paiement du service de
la dette est la décision qui paraît être la plus logique, vu l’ampleur des besoins sociaux
auxquels il faut répondre en toute urgence. Au lieu de cela, le gouvernement s’est hâté
à rassurer les créanciers, quelques jours à peine, après la fuite du dictateur, en affirmant
poursuivre le paiement de la dette. Rassurer les riches créanciers internationaux, plutôt que
d’apporter secours à une population saignée à blanc par plus de deux décennies de politique
économique ultralibérale, voilà la priorité de ce gouvernement. Cela en dit long sur sa nature
politique et sociale. Il est en effet issu du régime de Ben Ali !

Chose assez curieuse, la révolution s’est
contentée de décapiter le pouvoir sans
l’abattre. Après le 14 janvier, tout le
gouvernement de Ben Ali est resté en place.
Il a fallu attendre le 24 février pour qu’il en
soit chassé. Mais, celle qui prend la relève est,
elle aussi, issue du même pouvoir. De ce fait,
il ne faut pas s’étonner qu’elle maintienne le
cap de la politique du dictateur, c’est-à-dire
de continuer d’agir contre les intérêts vitaux
des classes populaire, malgré la révolution.

La bataille pour la prise du pouvoir paraît
donc primordiale pour la réalisation des
objectifs de la révolution. La bataille pour la
suspension du paiement de la dette met en
évidence cette vérité.

Billets d’Afrique les revendications sociales
de la Révolution tunisienne peuvent-elles
s’accommoder de cette continuité ?

Le régime de Ben Ali est un régime
antisocial, c’est ce qui explique la
révolution. La chute du dictateur n’a
pas suffit pour abattre son régime. Le
gouvernement actuel est un gouvernement
contre-révolutionnaire qui tente de
main­tenir ce régime. Il est donc clair
qu’il n’apporte aucune réponse aux
revendications sociales de la révolution.

La question est de savoir s’il pourra-t-il se
maintenir en place malgré cela ? Les classes
populaires sont-elles prêtes à se soumettre
de nouveau ? A l’heure actuelle rien n’est
décidé, même si le gouvernement est en
train de marquer des points, par exemple
en poursuivant le paiement de la dette, et
surtout en reprenant progressivement le
contrôle de la situation.

Je pense néanmoins que le calme actuel est
très fragile et qu’une nouvelle explosion
populaire, dans les prochaines semaines,
voire les prochains mois, n’est pas à
exclure. Le sort de la révolution n’est pas
encore scellé. Je continue de croire à sa
victoire, car se soumettre de nouveau et
se laisser exploiter et opprimer comme
cela été toujours le cas, me paraît fort peu
probable. Il est bien normal que le régime
de Ben Ali essaye de s’accrocher et de se
restaurer mais il ne pourra plus résister
assez longtemps car il n’a pas de réponses
aux immenses attentes sociales.

Billets d’Afrique : On sait que la quasi-
totalité de l’économie tunisienne était aux
mains du clan Ben Ali, n’est-ce pas plutôt
la dette de celui-ci davantage qu’une dette
publique ?

Je pense qu’il est exagéré d’affirmer une
chose pareille. Certes, les Ben Ali, les
Trabelsi (clan de l’épouse du dictateur) et
les familles alliées locales se sont approprié
un pan entier de l’économie, toujours
est-il qu’une bonne partie échappait à
leur contrôle.

Par exemple, les intérêts
économiques étrangers qui sont importants
en Tunisie, ont toujours été en dehors de leur
zone de contrôle. Cela étant dit, il est vrai de
dire qu’une bonne partie de la dette, qui est
dite publique, est en fait une dette privée du
clan mafieux des Ben Ali-Trabelsi.

Billets d’Afrique : l’annulation de la dette
est-elle un thème populaire en Tunisie ?

La dette était une question totalement
ignorée des classes populaires avant le
14 janvier. Grâce à la campagne initiée par
notre association, nous pouvons affirmer
qu’elle l’est beaucoup moins aujourd’hui.

Par exemple, plusieurs partis politiques l’ont,
d’ores et déjà inscrite à leur programmes et
un débat national commence à s’organiser
autour de cette question. Beaucoup de
chemin a été réalisé en si peu de temps, et
cela grace bien évidemment à la révolution.

Je pense que cette question va devenir
l’une des questions centrales du processus
révolutionnaire dans les semaines et les mois
à venir.

Billets d’Afrique : voyez-vous des similitudes
avec la crise des dettes souveraines en
Europe ?

Bien entendu, il existe beaucoup de
similitudes, notamment en ce qui concerne
les intérêts sociaux auxquels la dette porte
atteinte. Ce mécanisme est conçu pour
privatiser les profits et pour socialiser
les pertes. La dette ramène derrière elle
l’austérité, le chômage et la précarité.

Mais, le contexte politique est bien
évidemment complètement différent. Dans
le Sud, la dette s’inscrit dans des relations
dominants-dominés, où la dette pose, en
plus de questions relevant de la justice
sociale, ceux de la souveraineté populaire
nationale. Les crises de la dette, qui éclatent
ça et là dans les pays du Nord, ou bien qui
risquent d’éclater dans un avenir proche,
en plus de ceux que connaissent les pays
du Sud, ont « le mérite » de mettre un peu
plus en évidence les intérêts communs des
peuples, aussi bien ceux du Nord que ceux
de Sud, face à un ennemi commun.

Billets d’Afrique : quelle est la part des
créanciers français dans la dette publique
tunisienne ?

En tant qu’ancienne puissance coloniale,
la France occupe une place importante
dans la dette de la Tunisie, sa part dans
l’encours total de la dette extérieure
publique s’élève à environ 14%, mais
il ne s’agit là que de la part bilatérale,
c’est-à-dire celle revenant à l’Etat
français, sans compter le secteur financier
privé.

Mais il paraît tout de même assez
difficile d’admettre que la Tunisie doit
de l’argent à la France. D’une part, la
Tunisie a déjà remboursé le double de ce
qu’elle a emprunté à la France. D’autre
part, la France, qui a colonisé la Tunisie
pendant trois quarts de siècle, pillant et
exploitant librement le pays, a une dette
historique envers elle, qu’elle n’a jamais
honorée.

Bien plus, quelques années
après l’indépendance en 1956, le pouvoir
tunisien a été obligé de racheter les terres
agricoles (environ la moitié de la surface
agricole) que les colons français avaient
accaparé sous le régime colonial, avec des
crédits accordés par l’Etat français !

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Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 205 - septembre 2011
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