Survie

Cameroun - la guerre d’indépendance : une histoire toujours taboue

(mis en ligne le 6 octobre 2011) - Augustin Mensah

Difficile de comprendre le Cameroun contemporain sans l’examen de son accession à l’indépendance en 1960.

Un processus que Pierre Messmer, haut-commissaire de la France à Yaoundé entre 1956 et 1958, résuma ainsi : « La France accordera l’indépendance à ceux qui la réclamaient le moins, après avoir éliminé politiquement et militairement ceux qui la réclamaient avec le plus d’intransigeance.  »

Territoire placé sous la tutelle des Nations unies au sortir de la Seconde Guerre mondiale, le Cameroun n’était pas à proprement parler une « colonie ». Ce statut juridique particulier offrait théoriquement plus de droits aux populations locales et donnait à l’ONU un droit de regard sur la gestion du pays par les puissances administrantes (France et Grande-Bretagne), lesquelles s’étaient engagées en signant les accords de tutelle à amener le pays à « l’auto-gouvernement » ou à « l’indépendance ».

Cette configuration eut une double conséquence : elle favorisa l’émergence, au sein des populations camerounaises, d’un très fort mouvement populaire qui revendiquait l’application effective des droits qui leur étaient reconnus, ce qui eut pour effet – deuxième conséquence – de durcir la position de la France, principale puissance administrante, qui n’avait nullement l’intention de respecter ses engagements internationaux.

Dès lors, la tension ne cessa de monter, au cours des années 1950, entre l’administration française et l’Union des Populations du Cameroun (UPC), le principal mouvement indépendantiste du pays. Ce parti fut même arbitrairement interdit en juillet 1955 lorsque l’administration coloniale lui imputa la responsabilité de l’explosion d’un vaste mouvement de protestation sociale quelques semaines plus tôt (mai 1955).

Cet affrontement dégénéra en conflit armé à partir de décembre 1956, lorsque le haut-commissaire Pierre Messmer décida d’organiser des élections – largement truquées – sans procéder au préalable à la relégalisation de l’UPC, pourtant reconnue dans les rapports secrets français comme le seul véritable parti politique au Cameroun. L’idée de Messmer était de faire « démocratiquement » valider l’exclusion de l’UPC de la scène politique et de faire « électoralement » triompher les adversaires les plus farouches de la cause nationaliste. Le paradoxe étant qu’il fallait en outre, pour couper l’herbe sous le pied de l’UPC, convertir les anti-nationalistes à la cause de l’« indépendance », mais à une indépendance pro-française.

Ainsi furent jetées, avant 1960, les bases du néo- colonialisme français au Cameroun.

Pour faire échouer ces manœuvres, les nationalistes camerounais n’eurent d’autres choix que d’organiser la résistance armée, à l’instar de ce qu’avaient entrepris les Vietnamiens et les Algériens quelques années plus tôt. Une véritable guerre se déroula au Cameroun entre 1956 et la fin des années 1960.

L’armée française se déploya en Sanaga Maritime à partir de 1956 et dans l’Ouest-Cameroun à partir de 1959 pour mater les populations insoumises. Avant comme après l’« indépendance », des centaines de milliers de personnes furent arrachées à leurs villages et placées dans des « camps de regroupement » militarisés.

De vastes campagnes de propagande furent organisées pour obliger les populations à rejeter les « idées subversives ». Des milices locales furent mises sur pied pour traquer les « rebelles » upécistes. La torture fut pratiquée de façon systématique et des campagnes de bombardements aériens furent organisées. Selon diverses sources, ce conflit fit plusieurs dizaines de milliers de morts et, devenus routiniers, les dispositifs guerriers mutèrent progressivement en dictature.

Cette guerre n’a jamais été reconnue, ni par la France ni par les autorités officielles camerounaises qui ont bénéficié de l’écrasement des nationalistes camerounais. En déplacement à Yaoundé en 2009, le Premier ministre français François Fillon balaya ces événements en parlant de « pure invention ».

#GénocideDesTutsis 30 ans déjà
Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 206 - octobre 2011
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