Nouvel exemple de l’étanchéité
entre affaires judiciaires
françaises et affaires africaines,
le volet français du scandale
de la Banque des Etats de
l’Afrique centrale semble au
point mort. Les documents
publiés par la BEAC et les
câbles américains laissent
pourtant deviner une nouvelle
affaire... grosse comme Elf ?
Revenons d’abord sur la partie émergée du scandale de la Banque des
États d’Afrique centrale (BEAC). A
la mi-septembre 2009, Jeune Afrique publiait
un article intitulé « Exclusif : hold-up à la
BEAC ». On y apprenait, d’une part que le
gouverneur de la banque avait placé, sans
se soucier des règles, 500 millions d’euros
à la Société générale de Paris, d’autre part
que des détournements d’argent avaient lieu
depuis longtemps au bureau parisien de la
BEAC.
Le câble diplomatique américain
09YAOUNDE147 du 13/02/2009 rapporte
les confidences d’un vice-gouverneur de
la BEAC : les conditions du placement
DATI « sentaient la sale affaire », « il est
certain que [le gouverneur] a manigancé
cet arrangement pendant les rencontres en
marge du sommet de printemps de la Banque
mondiale à Washington. » Pour la Lettre du
Continent (03/02/2009), le gouverneur « ne
serait pas à l’origine de ce placement [...]
L’ordre serait venu de plus haut... ».
Après
la découverte du placement frauduleux, son
retrait anticipé, fin 2008, coûtera 25 millions
d’euros à la banque centrale.
Au sujet des détournements d’argent
récurrents au bureau parisien de la BEAC,
Jeune Afrique révélait qu’ils se sont montés
à près de 30 millions d’euros sur la période
2004-2008 et désignait un responsable :
« Les secrets d’État n’ont qu’un temps,
et celui-là n’aura pas résisté longtemps à
la disparition du « parrain » de la BEAC,
qui faisait régner sur l’institution une
omerta digne d’un clan sicilien : Omar
Bongo Ondimba ». Mais le câble
09YAOUNDE608 pointait dans une
direction supplémentaire : « Interrogé
sur ce que les officiels faisaient avec les
fonds volés [sic], l’officiel de la BEAC
répondit, “parfois ils le gardaient pour
eux-mêmes, parfois ils les envoyaient aux
partis politiques français” [...] des deux
côtés, mais surtout la droite, spécialement
Chirac et y compris Sarkozy » [...]
« Bongo était le président favori des
Français en Afrique » [...] « C’est la
Françafrique classique ». [...] « La
Banque de France continue d’exercer
une influence énorme ».
Visiblement, on
a voulu charger le cercueil Bongo d’un
fardeau bien lourd. Bien postérieure à
l’article de Jeune Afrique, la publication
le 28 décembre 2010 par El Paìs de ce
télégramme aurait pu lancer le volet
français du scandale de la BEAC. Mais Le
Monde, partenaire de Wikileaks au même
titre qu’El Paìs, a délibérément choisi
de ne pas traiter ce câble, se retranchant
derrière ce commentaire en fin de câble :
« Le poste est incapable d’évaluer la
véracité des allégations selon lesquelles
des politiques français ont bénéficié des
pertes de la BEAC. » Mais en omettant la
fin du commentaire : « Mais c’est le type
d’affirmations – que la France encourage
et fait sa proie des dirigeants corrompus
dans la région – qui gagnera en crédibilité
dans l’opinion si, comme l’officiel de la
BEAC l’a prédit, l’histoire se répand
dans la presse. »
Mais ce qui pourrait
s’apparenter à une nouvelle affaire Elf
pour la classe politique française n’a pas
éclaté. Pour cela, il faut ausculter les
comptes de la BEAC. Ceux dont la BEAC
dispose auprès des banques commerciales
(Société générale et BNP Paribas) ont
été audités en 2009, révélant 25 millions
d’euros de détournements avérés entre
2004 et 2008. Mais, selon la BEAC elle-
même, les détournements remontent au
moins au début des années 2000 et avaient
été constatés par des rapports internes dès
2001.
Suite à cette audit, il y a eu des
arrestations à Libreville, des têtes sont
tombées au sein du bureau parisien et du
siège de la BEAC à Yaoundé. La BEAC
a déposé deux plaintes contre X auprès du
TGI de Paris, relevant à la fois du pénal
et du civil, « pour vols, escroqueries, faux
et usage de faux » concernant les comptes
auprès de la Société générale et de BNP
Paribas. Le rapport du 24 octobre 2009 du
comité d’audit de la BEAC note qu’« il
existe de forts soupçons de complicité
interne [dans ces deux banques], d’une
part en raison de la réaction de la Société
générale qui a fermé unilatéralement
le compte du Bureau extérieur fin 2007,
et des retraits d’espèces importants et
fréquents qui auraient dû attirer l’attention
des chargés de clientèle. »
Selon ce
même rapport, parmi les principaux
bénéficiaires des détournements figure la
franco-congolaise Marie-France Robert,
secrétaire du gouverneur délégué au
bureau parisien. Mais le rapport note que
« Mme Robert est installée au Maroc
depuis début 2009 et semble pour l’instant
hors d’atteinte. »
Les implications françaises sont confirmées
par un autre câble diplomatique américain
(09PARIS1610, du 02/12/2009) relatant
cette fois-ci la confession de Stéphane
Gruenberg (toujours) sous-directeur
Afrique centrale au Quai d’Orsay et qui
« prédit qu’on débouchera finalement sur
des inculpations (comprenant sans doute
des citoyens français) ».
Mais le point le plus obscur de cette affaire
est de savoir ce qu’il est advenu du dix-neuvième point duplan d’action structurel
adopté par la BEAC en décembre 2009
sous la pression du FMI qui avait, pour
un temps, suspendu ses programmes
avec les états membres de la BEAC. Ce
point 19 demande la création d’un audit
spécifique sur le « rapprochement du
compte bancaire du Bureau extérieur
et du Compte d’opérations de la BEAC
auprès du Trésor français conformément
aux recommandations du Comité d’Audit
du 18-23 mai 2009 (Article 5.11) » et l’
« analyse du compte de la BEAC ouvert
dans les livres de la Banque de France,
conformément aux recommandations du
Comité d’audit du 19-24 octobre 2009
(Article 3.7.2). »
Cet audit n’a, à notre
connaissance, jamais eu lieu. Si l’on
en croit les documents sur le site de la
BEAC, il s’est fondu – jusqu’à dispraître
totalement ! – avec l’audit comptable du
siège de la BEAC (point 2 du plan d’action
structurel).
Pour donner une idée des sommes en jeu
sur ces comptes, fin 2008, 11 milliards
d’euros, c’est-à-dire 92% des actifs de
la BEAC se trouvaient sur les compte
d’opérations et compte spécial de
nivellement au Trésor public français.
Sur l’exercice 2008, les intérêts produits
par ces deux comptes se sont élevés à
76 millions d’euros.