L’élection présidentielle du 9 octobre n’a apporté, hélas, aucune surprise ou presque. Tout était prêt pour la tacite reconduction de Paul Biya que le régime a officialisée le 21 octobre, en annonçant un score « modeste » de 78%.
Biya peut se targuer d’un plébiscite pour ce sixième mandat, avec la fidèle complicité des autorités françaises, qui n’ont émis que de timides recommandations pour donner l’illusion de ne pas soutenir pleinement la mascarade. La presse française, qui avait pour une fois dénoncé par avance ce hold-up électoral, n’a malheureusement pas transformé l’essai en ne soulignant pas ce énième renoncement de la diplomatie française à mettre en œuvre des promesses de changement de ligne politique.
La tension est montée d’un cran quelques jours avant le scrutin présidentiel, avec l’arrestation mardi 4 octobre d’un syndicaliste étudiant et de 17 militants d’un parti d’opposition. Une répression tous azimuts visant à dissuader toute contestation trop voyante d’une « élection » ficelée d’avance. Restait l’arme du boycott, et le dimanche 9 octobre, les Camerounais, lucides, ont boudé les urnes : la mission d’observation électorale de l’Union africaine (UA) a ainsi officiellement constaté un « faible taux de participation », et l’ONG Transparency International comptabilise un taux d’abstention de 70%... qui ne serait que de 34% d’après ELECAM, la structure officielle chargée de chapeauter l’organisation du scrutin. Cherchez l’erreur !
D’après le journal camerounais La Météo, elle viendrait tout simplement du gonflement artificiel des listes électorales « bourrées de noms de personnes décédées depuis des années, en sus des doublons ». Cet hebdomadaire prétend ainsi réhabiliter le gagnant du scrutin, en en critiquant les organisateurs... il souligne au passage quelques-uns des bidouillages qui le caractérisent.
Car ce n’est évidemment pas la seule anomalie : le chef de la mission de l’UA, l’ancien premier ministre malien Ibrahim Boubacar Keita, a dès le mardi 11 octobre déploré « le manque de bulletins de vote de certains candidats même si la lacune a été corrigée, les urnes mal scellées dans certains bureaux de vote, le non retrait de nombreuses cartes électorales par les concernés dans la plupart des bureaux de vote ». Parallèlement, les témoignages ont rapidement afflué sur les cas de fraudes et sur la facilité à nettoyer « l’encre indélébile » apposée sur le pouce des votants dans de nombreux bureaux de vote. Une encre plus difficile à faire disparaître fut celle des graffitis rouges « Biya out ! » et « Biya dégage ! » dont furent couverts dans la nuit qui suivit les murs de la ville de Bafoussam, bastion de l’opposition : l’armée reçut ordre de nettoyer, en empêchant quiconque de prendre des photos ou de filmer...
Les partis d’opposition ont évidemment entrepris des recours auprès de la Cour suprême pour demander l’annulation partielle ou totale du scrutin : le 12 octobre, 19 recours avaient ainsi déjà été déposés, dont 9 par le Social Democratic Front (SDF) de John Fru Ndi, considéré comme l’opposant principal du régime, avec lequel il s’est pourtant déjà compromis.
Le Cameroon People Party (CPP) annonçait même avoir fait constater par huissier l’existence de bureaux de vote fictifs dans un quartier de Douala. Le pouvoir camerounais reconnut quant à lui, dès le soir du scrutin, seulement de « légers dysfonctionnements dénués d’arrière-pensées ». Ben voyons !
Pour la diplomatie française, rien de bien alarmant non plus : au lendemain du scrutin, seuls quelques éclaircissements étaient demandés par le porte-parole du Quai d’Orsay sur la mort de deux gendarmes et d’une femme dans des incidents distincts. Et le mardi 11 octobre, Alain Juppé déclarait à l’Assemblée nationale, en réponse à une question du député Serge Janquin, que les élections avaient « eu lieu dans des conditions acceptables », en s’appuyant sur les rap ports des observateurs de l’Organisation internationale de la francophonie (OIF) et du Commonwealth.
Vaste plaisanterie quand le chef des observateurs de l’OIF n’est autre que Pierre Buyoya, ancien chef de l’Etat burundais : un « démocrate » dont le passé de major, de putschiste puis de président à la botte de Paris rend l’expertise particulièrement pertinente ! Celui-ci avait déjà sévi en 2009, en légitimant la pseudo-élection présidentielle mauritanienne qui avait posé un vernis démocratique sur le putsch d’Abdel Aziz.
Quant au rapport des observateurs du Commonwealth, Alain Juppé a fait semblant de ne pas voir les nombreuses critiques qu’il contient sur le scrutin et ses préparatifs, le chef de la mission déclarant notamment : « Des gens (...) avec leurs récépissés (...) n’ont pas trouvé leur noms sur les listes électorales et on leur a dit d’aller dans un autre bureau de vote, puis dans un autre, et encore un autre. Finalement, ils n’ont pas pu voter. (...) nous avons reçu un bon nombre de plaintes à propos de l’organisation et de problèmes administratifs ». Il avait également déploré le « manque d’égalité et d’équilibre dans le traitement médiatique par les médias publics lors de la campagne électorale entre le président sortant et les partis d’opposition ».
Mais ce n’est pas tout : notre ministre se permit aussi d’inciter les Camerounais à accepter leur sort sans broncher, en ajoutant : « Nous appelons donc la population, la presse camerounaise et tous les acteurs politiques à faire preuve, jusqu’au 24 octobre, date de proclamation des résultats, et au-delà bien sûr, de modération et à éviter tout recours à la violence pour faire valoir leurs vues ». Circulez, y a rien à voir !
Cette déclaration scandaleuse ne provoqua pas le tollé qu’elle méritait. Pourtant, en amont, la presse française s’était inquiétée de la mascarade en préparation, en consacrant – fait rare et à saluer – quelques articles sans concession pour le régime camerounais, notamment grâce à la publication récente de l’ouvrage de Fanny Pigeaud, Le Cameroun de Paul Biya (Karthala). Au point que le ministre camerounais de la communication a condamné le 12 octobre ce qu’il considère comme des « dérives » de la presse française, une « démarche concomitante, qui s’apparente pour dire le moins, à une conspiration ».
Hélas, la « conspiration » a pris fin : dans l’Hexagone, personne ou presque ne s’offusqua de cette réponse, qui aurait pourtant dû connaître le même succès que celle de Michèle Alliot-Marie proposant d’aider le régime de Ben Ali.
Car comme pour la Tunisie, les relations de la France avec le régime camerounais reposent sur une coopération policière et militaire qui permet d’y préserver les intérêts économiques et stratégiques français. Le ministère des Affaires étrangères français affiche d’ailleurs fièrement que « le Cameroun est notre premier partenaire dans le monde en matière de coopération militaire », qui s’élève à « près de 4 millions d’euros » par an d’après le député UMP Michel Terrot, et qui se maintient dans le cadre du nouveau partenariat de défense.
Cette coopération comporte aussi un volet important d’enseignement aux techniques de maintien de l’ordre, utile au cas où les Camerounais ne se conformeraient pas à l’injonction paternaliste d’Alain Juppé de se tenir tranquille.
Au Cameroun, évidemment, la couleuvre ne passa pas, et l’opposante Kah Walla, candidate du CPP, s’interrogea dans le quotidien Mutations du 13 octobre : « Le peuple camerounais est-il moins méritant de la démocratie que le peuple français ? Je vois mal [en effet] les Français accepter des élections où il y a eu des fraudes, où l’on a surpris des gens avec plusieurs cartes, où les bureaux de vote ont ouvert largement après le délai légal. Je vois mal le peuple français en train d’accepter une élection où les urnes sont bourrées, où des actes de violence verbale et physique sont commis à l’encontre de citoyens qui n’ont pas voté à 100% pour le chef de l’Etat sortant, où les scrutateurs sont chassés des bureaux de vote, où le dépouillement se fait secrètement... ».
L’ambassadeur américain adopta une position ambiguë, espérant sans doute ménager la chèvre et le chou, en déclarant avoir constaté des « problèmes dans le processus électoral »... une déclaration aussitôt dénoncée comme une ingérence et une leçon de morale inacceptable par le ministre camerounais de la Communication : puisqu’on vous dit que tout s’est très bien passé !
L’ambassadeur de France, Bruno Gain, déclarait le 12 octobre au quotidien Mutations que la France « prête attention aux aspirations des populations, mais également aux impératifs de moderniser le pays et d’accentuer les reformes. » Accentuer les réformes ? Cela veut dire continuer une politique préexistante... pas de doute que pour l’ambassadeur, Biya était déjà réélu. Il n’y avait certes aucun suspense, mais cette reconnaissance a priori en dit long de l’idée que se fait la France de l’alternance au Cameroun.
Le 21 octobre, la Cour suprême, qui supplée un Conseil constitutionnel qui n’existe que sur le papier, déclara Biya vainqueur avec 77,99% des voix.
Le ministère des Affaires étrangères fit mine d’infléchir la ligne française : la reconnaissance immédiate du résultat, mais en constatant « de nombreuses défaillances et irrégularités » et en souhaitant « que des mesures soient prises pour que celles-ci ne se reproduisent pas lors des scrutins (législatifs et municipaux) de 2012 »... des scrutins bien moins médiatisés au niveau international.
Le gouvernement français envoie donc un signe d’encouragement plutôt qu’une mise en garde : « Vous ferez mieux la prochaine fois », en somme, sachant que cette « prochaine fois » pourra se dérouler dans un silence médiatique bien confortable. Une fois de plus, les autorités françaises renoncent à honorer leurs fausses promesses de changement : une hypocrisie de plus quand, par ailleurs, en Syrie ou en Libye, notre diplomatie n’a que le mot démocratie à la bouche.