Survie

La Françafrique peut-elle faire ses valises en 2012 ?

(mis en ligne le 3 janvier 2012) - Fabrice Tarrit

En 2007 déjà, certains
candidats à la présidentielle
avaient rivalisé de promesses
sur le thème de la rupture
avec la Françafrique. Les
révolutions dans le monde
arabe et les revendications
démocratiques qui
s’expriment en Afrique
subsaharienne ont depuis
changé la donne. Alors
que les peuples africains
dénoncent de plus en
plus bruyamment les
élections truquées et que
le financement occulte de
la vie politique française
s’étale au grand jour, le
contexte 2012 est favorable
à l’irruption de la thématique
« Françafrique » dans le
débat de la présidentielle et
des législatives. A quelques
mois de l’échéance, Billets
d’Afrique inaugure une série
d’article d’analyse sur le
contexte de cette élection,
les forces en présence, les
propositions des candidats
et... ce que l’on peut en
attendre.

Même si cela est mal connu
du grand public, la relation
franco-africaine joue un rô­le déterminant en France sur le plan
politique, économique, militaire et
institutionnel. La réformer implique
de prendre des décisions importantes
notamment sur les bases militaires
françaises en Afrique, sur le franc CFA
et sur les relations amicales entretenues
avec ces régimes qui partagent des
secrets inavouables avec des dirigeants
français. Cela peut avoir des incidences
sur la sécurité des approvisionnements
énergétiques français ou sur les marchés
détenus par telle ou telle entreprise
en Afrique. Cela peut faire perdre à la
France son pré carré diplomatique sur
l’Afrique à l’ONU ou à l’UE, ce que peu
d’hommes d’Etat sont prêts à risquer une
fois au pouvoir. D’autant que les supposés
spécialistes des relations africaines qui les
entourent ont une influence excessive et
propagent le modèle néocolonial.

Cette relation s’est construite en marge,
voire aux antipodes des valeurs que par
ailleurs la France affiche sur la scène
diplomatique. Elle s’est institutionnalisée
en marge des valeurs constitutionnelles,
et dehors de tout contrôle des institutions.
Elle a en outre contribué au financement
occulte de la vie politique comme l’a
rappelé l’affaire récente des « mallettes ».

La réformer implique donc bien plus qu’un
simple ravalement de façade. C’est un
changement structurel majeur.

Un risque que n’ont pas pris les présidents
successifs car cela allait à l’encontre de leurs
intérêts politiques et personnels immédiats.

2012 - le choix

La réforme plébiscitée ?

L’échec de la politique franco-africaine
est tel, du fait de ses archaïsmes, de ses
dérives et de la contestation dont elle fait
l’objet, que l’intention de la réformer est
aujourd’hui affichée par l’essentiel de la
classe politique. Y compris, en 2006, au
Bénin, par le candidat Sarkozy avec la
conséquence que l’on connaît : la mise en
place d’une Françafrique décomplexée,
habillée d’une prétendue réforme mais
toujours au service du business français.
Les plus crédibles sont souvent ceux qui
ont tenu un discours de remise en cause
avant les autres, à l’exemple des députés
qui ont enquêté dans les années 90 sur les
financements pétroliers ou qui ont défendu
Survie à l’époque du procès intenté par des
chefs d’Etat à l’encontre de son président.

Ce ne sont pas forcément des personnalités
politiques de premier plan. Il y a parmi
eux quelques parlementaires et députés
européens communistes, socialistes et
écologistes, comme Noël Mamère, Jean-
Paul Lecoq ou Eva Joly. A droite, les
quelques tentatives de députés ou de
ministres d’interroger la politique de la
France en Afrique ont été vite découragées
par l’exécutif.
On se souvient, en 2008, des
déclarations de Rama Yade lors de la visite
de Kadhafi en France ou de l’éviction de
Jean-Marie Bockel du secrétariat d’Etat à
la Coopération.

La même année, le ministre de la Défense,
Hervé Morin, avait conduit l’intervention
militaire française au Tchad. L’ex-UDF
et partisan de Bayrou avait pourtant
annoncé sa volonté d’en finir avec la
Françafrique dans un courrier envoyé en
2004 à Survie. Chacun, à droite, a préféré
garder son strapontin (comme ce fut le
cas également à gauche lorsqu’elle était
au pouvoir, à l’exception de la démission
de Jean-Pierre Cot en 1983). Quant à la
mission parlementaire sur les relations
franco-africaines présidée par le député
UMP Jean-Louis Christ, en 2008, elle est
loin d’avoir produit un résultat probant,
se contentant d’analyses de prospectives
économiques et de poncifs sur les atouts
du continent en écartant soigneusement
les mots qui fâchent (dictature, corruption,
bases militaires, CFA, etc.).

Les tendances pour 2012

Aujourd’hui le mot Françafrique n’est plus
tabou. Le NPA et les Verts, Eva Joly en
tête continuent de la dénoncer. Jean-Luc
Melenchon, sans doute encore marqué
par l’héritage mitterrandien et par une
analyse ambiguë de l’universalité des
Droits de l’homme (voir ses déclarations
sur le Tibet), est particulièrement discret
sur ce point, beaucoup plus mobilisé
sur la géopolitique internationale et sur
l’Amérique latine, tandis que ses alliés
communistes manifestent une volonté de
réforme plus claire.

Quelques militants du Parti de gauche aux
côtés de militants communistes, écologistes
et du NPA participent cependant à Paris à
des réunions du Collectif de Solidarité avec
les luttes sociales et politiques en Afrique,
un cadre d’échange qui permet à chaque
force en présence de compléter son analyse
des problématiques politiques en Afrique,
électorales en particulier.

Le PS est lui aussi marqué par l’héritage
de Mitterrand, qui a encore ses défenseurs,
tous courants confondus, dont certains
« éléphants » comme Henri Emmanuelli,
très actif sur la défense du rôle de la France
lors du génocide au Rwanda.

Le parti est aussi marqué par le bilan du
gouvernement Jospin et sa doctrine du
« ni ingérence ni indifférence ». Il aborde
toutefois la question avec un peu moins
de tabous qu’auparavant, entraîné par les
nouvelles générations, le Mouvement
des jeunes socialistes (MJS) en tête, très
critiques par exemple sur le rôle de la
France dans le génocide au Rwanda.

Ségolène Royal et Martine Aubry ont produit
leur propre discours sur l’Afrique avec plus
ou moins de réussite en se démarquant du
discours de Dakar prononcé par Nicolas
Sarkozy. En février 2011, Martine Aubry
avouait ainsi à une délégation du CRID
reçue lors du Forum social mondial de
Dakar qu’il fallait mettre un grand coup de
balai sur la Françafrique. D’après elle, elle
est encore vivante principalement à droite
bien qu’il en reste encore des relents au PS.

Arnaud Montebourg est sans doute le plus
clair sur la remise en cause de la corruption
et des désordres de la mondialisation.
François Hollande, le candidat désigné
se montre davantage sur la réserve. Son
avis sur la question est mal connu, ce
qui tend à rendre déterminant le rôle des
personnalités socialistes qui le conseilleront
et l’entoureront en matière de politique
extérieure. Il faut relever toutefois que sa
première sortie publique au lendemain de
sa victoire aux primaires socialistes a été
une commémoration du 17 octobre 1961,
organisée, il est vrai, en marge de la grande
manifestation unitaire à Paris où tous les
autres partis de gauche et leurs leaders
étaient eux bien présents.

Au centre, on a du mal à distinguer la ligne
des différents candidats potentiels. Bayrou
se drape de vertu, mais on l’a vu rencontrer
Omar Bongo dans son hôtel particulier
pour y recueillir des « conseils » lors de la
campagne 2007 et même s’il affirme avoir
refusé des « mallettes », ses confidences
arrivent bien tard.

De Villepin est lui clairement marqué
par ses réseaux françafricains comme les
révélations récentes de Robert Bourgi l’ont
récemment remis en lumière. Nous avons
évoqué plus haut le cas d’Hervé Morin,
l’anti-françafricain repenti.

L’extrême-droite, et ce n’est pas nouveau,
s’empare du thème sous l’angle commode
de la dénonciation des élites et de la
corruption, bien que Jean-Marie Le Pen ait
lui-même été éclaboussé par l’affaire des
mallettes. Ce qui est davantage surprenant
c’est l’intérêt qu’accorde Marine Le Pen
aux ingérences françaises dans certains
pays comme la Côte d’Ivoire et sa volonté
de tisser des liens avec des forces politiques
d’Afrique ou de la diaspora en résistance
face à l’impérialisme français. Chose
inquié­tante, le FN parvient à s’attirer des
sympathies dans ces milieux.

Les enjeux

En matière de politique de la France en
Afrique, ce qui compte, ce n’est pas
l’affichage plus ou moins opportuniste
d’intentions, c’est bien la volonté de
réforme et la capacité d’assumer la prise de
risque politique qu’elle suppose. L’analyse
des programmes s’avérera certes une
activité importante, à laquelle se livrera
Billets d’Afrique dans les prochains
mois, mais elle sera à relativiser en
fonction des forces en présence et de
leur capacité réelle à influencer les
prises de décisions diplomatiques au
plus haut niveau.

A gauche comme à droite, il ne sera
donc possible de tirer des conclusions
qu’au moment de la mise en pratique des
promesses. Les principales questions étant
déjà posées. Les alliés au sein de coalitions
éventuelles feront-ils de ce thème un enjeu
de négociation, voire un thème « clivant »,
comme celui du nucléaire ? Retrouvera-t-on à la Coopération une personnalité qui
s’est illustrée sur le thème de la rupture
avec la Françafrique ? Des ministres
écologistes, communistes ou centristes,
en fonction de la majorité au pouvoir,
seront-ils prêts à démissionner si les
promesses sont trahies ou continueront-
ils à considérer cette thématique comme
un enjeu mineur, comme cela a été le
cas lors de coalitions gouvernementales
précédentes ?

Survie et Billets d’Afrique se montreront
évidemment particulièrement vigilants
sur ces points.

#GénocideDesTutsis 30 ans déjà
Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 207 - novembre 2011
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