La domination des grands groupes industriels occidentaux en Afrique apparaissait jadis comme le prélude de risques qui planaient sur les États du Nord. Elle est aujourd’hui le franc reflet spéculaire d’une domination qui a cours selon la même méthode dans toutes les régions du monde.
Trouvé parmi les câbles diplomatiques diffusés sur le site Wikileaks, cet envoi daté du 7 janvier 2010, émis par le consulat des États-Unis à Montréal, à propos des investissements de Power Corporation, groupe appartenant à la famille Desmarais, dans l’industrie fort controversée des sables bitumineux canadiens, via Total.
L’empire québécois est le plus important actionnaire de Total (4,5 % des parts), indique le consul montréalais des États-Unis en rappelant la présence de Paul Desmarais Jr au sein du conseil d’administration de l’entreprise.
Le document diplomatique s’enquiert avec insistance de l’influence qu’a Power Corporation au Canada sur les médias, d’une part, et sur le milieu politique, d’autre part. Pourquoi, se demande-t-on, le Premier ministre du Québec a-t-il subitement interrompu la critique qu’il servait au gouvernement fédéral canadien, lors de son passage à la Conférence environnementale de Copenhague en décembre 2009, à savoir que ce dernier ne met pas en œuvre les politiques nécessaires pour réduire l’émission de gaz à effet de serre ?
Est-ce parce que le quotidien La Presse de Montréal, que Power Corporation détient, a été prompt et virulent dans la dénonciation de ses propos ? « Il est difficile de dire si Charest se trouvait à agir en fonction [des positions éditoriales] de La Presse ou s’il le faisait en raison d’un tout autre facteur » ; la question reste donc entière.
On sait, par ailleurs, que l’empire médiatico-financier est très influent politiquement au Canada et maintenant en France. Plusieurs Premiers ministres du Canada proviennent de l’écurie de Power Corporation, de Pierre-Elliott Trudeau à la fin des années soixante à Paul Martin en poste jusqu’en 2006, en passant par les longs règnes de Brian Mulroney et de Jean Chrétien.
Par ailleurs, Nicolas Sarkozy a déclaré de Paul Desmarais Sr en 2008 : « Si je suis aujourd’hui président, je le dois en partie aux conseils, à l’amitié et à la fidélité de Paul Desmarais », au moment de le décorer de la grand-croix de la Légion d’honneur.
Forts de ces soutiens politiques, le câble diplomatique estime que Total a investi six milliards de dollars dans l’exploitation des sables bitumineux de l’Alberta, une province de l’Ouest canadien. Total prévoit investir encore 20 milliards de dollars dans le domaine. Dans son livre intitulé Les sables bitumineux, la honte du Canada (Montréal : Écosociété, 2010), Andrew Nikiforuk voit dans ce projet d’exploitation une folie écologique, sociale et économique. Les risques de pollution sont réels tandis que les populations s’exposent à de graves dangers. De surcroît, les redevances que versent les minières à l’État sont dérisoires.
« La mauvaise gestion des revenus miniers a fait émerger en Alberta un État pétrolier corrompu et intolérant, dont le système de réglementation est une vraie farce. »