Survie

La poudrière djiboutienne

rédigé le 13 décembre 2011 (mis en ligne le 1er février 2012) - Jean-Loup Schaal

Alors que la gabegie et la corruption siphonnent les finances de l’Etat, la contestation sociale s’amplifie neuf mois après l’élection frauduleuse de Guelleh. Chaleureusement salué par Sarkozy pour ce troisième mandat, Guelleh accentue la répression au risque d’embraser le pays.

Asséchées par la corruption du gouvernement du président Ismaël Omar Guelleh et par les patrons des grandes entreprises nationales, les finances de Djibouti sont exangues. La voracité de Guelleh, sa famille et ses proches continue de plus belle avec des retraits considérables d’argent, plusieurs millions d’Euros à chaque fois. Et comme les aides internationales semblent avoir été pratiquement stoppées (notamment celle de la France), le Trésor djiboutien n’a plus de ressources financières.

Le désengagement de la France est visible alors que cet été, la 13e DBLE (demi-brigade de légion étrangère), l’un des deux régiments opérationnels et le plus emblématique, qui était stationné à Djibouti, a levé le camp pour rejoindre la nouvelle base française d’Abu Dhabi. Sans que l’information ne soit confirmée, le second régiment opérationnel, le 5e RIAOM, devrait faire ses valises dans les prochains mois. Ne resteront plus que la base aérienne, la base navale et le 10e bataillon de commandement et de service, puisque la fermeture de l’hôpital militaire Bouffard a été évoquée dans le projet budgétaire soumis aux députés français.

Depuis de nombreux mois, on parle de la renégociation des accords de défense entre les deux pays. Les négociations butent sur des points majeurs sans que l’on sache lesquels. On peut imaginer que les prétentions financières du président Guelleh quant au loyer de la base française dépassent le seuil maximal proposé par la France.

Amende record pour Total

Dans ce contexte de crise, il est tentant de voir dans la récente condamnation de deux filiales de Total à la somme record de 204 millions d’euros, une mesure de compensation. Total Djibouti et Total Marketing Djibouti ont été condamnés pour une affaire de pollution, des fuites d’hydrocarbures venant d’un réseau ancien d’oléoducs, découvertes en 1997. En réclamant un tel montant, Guelleh ne cherche-t-il pas à faire pression dans les négociations avec le gouvernement français.

Une thèse probable alors que Total avait suspendu récemment l’approvisionnement des véhicules des forces de police pour des arriérés de paiement. Ce jugement permettra-t-il de pratiquer des compensations dans le but d’annuler les dettes de l’Etat djiboutien auprès du pétrolier ?

Un avenir inquiétant

Dopée par les exemples du printemps arabe, la population djiboutienne commence à se rebeller et à réclamer ouvertement le départ du dictateur. La tension est palpable et n’a cessé de monter en puissance depuis la grande manifestation du 18 février 2011 puis la « réélection » de Guelleh.

Le niveau moyen de ressources par habitant continue à baisser : la moitié des familles ne ferait plus qu’un seul repas par jour. Le niveau de chômage est considérable avec un taux de 74 % de chômeurs dans la population en situation de travailler, généralement admis. Après les retraités, ce sont surtout les élèves, les étudiants et les jeunes diplômés-chômeurs, qui conduisent des actions quasi-quotidiennes dans les rues de la capitale.

La répression est violente ; les manifestants, y compris mineurs, sont arrêtés par centaines et transférés dans différents centres de la ville : brigades de gendarmerie, école de police de Nagad et parfois détenus dans des lieux de détention secrets. Les retards de paiement dans la fonction publique sont fréquents, la mise en liquidation d’entreprises privées et les licenciements massifs de personnels dans la construction et la gestion du port s’accélèrent.

Certains quartiers n’ont accès à l’eau qu’une heure par jour, l’alimentation électrique est souvent interrompue et les hôpitaux manquent de tout.

Pour toute réponse, le régime prend pour cible des membres de l’opposition, les journalistes et les défenseurs des Droits de l’homme. Certains ont passé plusieurs jours dans les salles de torture de la gendarmerie et du SDS (services secrets Djiboutiens), avant d’être remis en liberté par un juge intègre et courageux. Celui-ci, Mohamed Cheick Souleiman, paye d’ailleurs très cher son engagement pour la justice, puisqu’il a été à son tour arrêté et torturé avant d’être mis au secret.

Malgré tout, les langues se délient. Plusieurs opposants, dont Houssein Robleh Dabar, ont osé raconter publiquement le récit de leurs tortures. Il est à noter qu’un médecin français installé de longue date à Djibouti, a refusé, avec virulence, de délivrer des certificats médicaux aux victimes pour attester des tortures subies.

Alors que la répression s’accentue, Guelleh se prépare au pire. D’après plusieurs témoins, le régime assure la distribution d’armes et d’argent dans des quartiers connus pour être proches de l’ethnie du président avec des agents kenyans et éthiopiens qui font la tournée en pick-ups. De quoi embraser le pays à la moindre étincelle.

#GénocideDesTutsis 30 ans déjà
Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 208 - décembre 2011
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