Survie

Djibouti - Affaire Borrel : l’armée en position délicate

rédigé le 9 janvier 2012 (mis en ligne le 1er mars 2012) - Jean-Loup Schaal

C’est le 21 décembre, le jour même de la signature de l’accord de défense entre la France et Djibouti, qu’un nouveau témoin affirmait que l’armée française savait qu’il s’agissait d’un assassinat dès les premières heures de la mort du juge Borrel le 18 octobre 1995.

Selon le témoignage de cet appelé, employé à l’époque comme chauf­­feur dans une unité chargée des écoutes au sein de l’armée française à Djibouti, celle-ci a été informée de l’assassinat du juge Borrel, via des écoutes de la police djiboutienne, peu après son décès. Ce qui est fort vraisemblable tant l’armée française est chez elle à Djibouti.

Ce témoignage fait au juge Clément, en charge de l’enquête française, et révélé la veille par France Culture, n’apporte néanmoins aucun élément concernant les meurtriers présumés ou leurs commanditaires. Il laisse surtout supposer une complicité franco-djiboutienne dès le jour de l’assassinat (confirmée par la suite par les notes récupérées à l’Elysée) et soulève un point fondamental : pour quelles raisons, les autorités françaises ont-elles maintenu contre vents et marées la thèse du suicide pendant douze ans ?

Car il a fallu attendre 2007 et le commu­niqué du procureur Jean-Claude Marin reconnaissant l’évidence. Ce communiqué, qui précisait que l’instruction privilégiait la thèse de l’assassinat, avait été rendu public, immédiatement après la réception à l’Élysée, de Mme Borrel par Nicolas Sarkozy. Celui-ci lui avait alors assuré à Elisabeth Borrel que le secret-défense serait levé. Visiblement la parole était de bois.

Devant cette nouvelle révélation, le ministre de la Défense, Gérard Longuet, est monté en première ligne précisant que son ministère fournirait toutes les pièces demandées par la commission sur la déclassification du secret défense. Enfin devrait-on dire ! Car pour l’ancien appelé, « il y a forcément une trace » de l’écoute de la police djiboutienne. « Sauf si elle a été délibérément supprimée », dit-il, précisant que les informations du jour étaient transmises par télex au ministère de la Défense.

« J’attends que M. Longuet fournisse les documents qui font état de l’assassinat de mon mari. Ces documents existent. Il lui suffit de lever le secret défense pour que ces documents puissent servir, enfin, à la manifestation de la vérité judiciaire », a confirmé Elisabeth Borrel.

Dans ces conditions, la ligne de défense serinée sur les médias par Gérard Longuet était aussi grossière que les innombrables mensonges de l’Etat dans cette affaire : « l’armée ne savait pas ». A vrai dire, le ministère est dans une position délicate car ce témoignage pourrait mener l’armée française devant les tribunaux. « Je veux dire aujourd’hui à M. Longuet que le fait de tromper la justice pendant seize ans constitue une infraction pénale », a d’ailleurs souligné Elisabeth Borrel, elle-même magistrate. Longuet le sait bien puisqu’il déclarait dans son démenti à France 2 : « Si l’armée savait, elle a l’obligation, c’est dans le code pénal, article 40, de transmettre au magistrat toute information sur une affaire juridique ».

Une bouffée d’oxygène pour Guelleh

Comme un symbole, cette information capitale a été révélée alors que Nicolas Sarkozy et Ismaël Omar Guelleh paraphaient le nouvel accord de Défense entre la France et Djibouti après de longues négociations sur le loyer de la base française. Car c’est bien pour préserver à tout prix le vieil ami Guelleh, hôte de la plus importante base française à l’étranger et régent sans scrupules de ce petit pays stratégique à l’entrée de la mer Rouge et face au golfe d’Aden, que l’Etat français ment éhontément depuis 1995. Des témoignages, dont celui d’un ex-membre de la garde présidentielle Mohamed Saleh Alhoumekani, mettent en effet directement en cause le président Guelleh et son entourage dans l’assassinat du juge Borrel.

Quoi qu’il en soit, la signature de ce nouvel accord de coopération militaire en remplacement de celui conclu en 1977 tombe bien pour le président djiboutien alors que les finances du pays sont à sec. Une bouffée d’oxygène pour ce régime dictatorial alors qu’il peine à payer les arriérés de salaire de la fonction publique, ce qui risquait de provoquer des manifestations populaires dangereuses pour la survie de son régime.

#GénocideDesTutsis 30 ans déjà
Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 209 - janvier 2012
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