Survie

Le cercle vicieux

(mis en ligne le 9 janvier 2012) - Odile Tobner

Démocratie : tel est le nouveau mantra de la France en Afrique. Avec les États-
Unis, qui n’hésitent pas à affubler de ce nom les régimes les plus brutaux,
pourvu qu’ils soient leurs alliés, et avec l’appui de l’ONU, dont le pouvoir de
nuisance n’est plus à démontrer sur ce continent, voilà que l’ancienne puissance
coloniale se présente sans vergogne comme le gardien de la sincérité des
élections africaines, garanties par des « commissions électorales » contrôlées
par les protégés des grandes puissances : tel est le cercle vicieux. On l’a vu en
Côte-d’Ivoire et au Cameroun ; on vient de le voir en République démocratique
du Congo, où les résultats d’une élection présidentielle truquée ont été
entérinés par les puissances occidentales.

C’est ainsi que le sort de l’immense RDC a été scellé sans autre forme
de procès, après ce qu’on n’a pas eu honte d’appeler une élection, en
dépit des irrégularités choquantes qui l’ont entachée. Il a suffi que la très
controversée commission électorale, présidée par un proche de Joseph
Kabila, proclame ce dernier vainqueur pour que la France « prenne note
des résultats définitifs
 » avant, comme l’ONU, d’ « appeler au calme ». La
Fondation Carter, bien qu’ayant relevé des « déficiences », ne les a pas jugées
de nature à invalider le scrutin – air connu. Rien ne changera donc dans
la situation scandaleusement inacceptable de la République du Congo.

Oublions l’épithète dont l’avait ambitieusement ornée Laurent Kabila, son
éphémère président. Il est vrai que ce mot n’a pas grand sens, jusqu’à ce
que les peuples africains trouvent eux-mêmes le moyen de briser le cercle
vicieux où la « communauté internationale » les a enfermés.

Quant à l’espoir qu’on avait pu placer dans des institutions internationales
théoriquement garantes des droits des peuples, il a été cruellement déçu.
L’ONU intervient en RDC depuis 1999, via la Monuc, mission de l’ONU en RDC,
devenue Monusco en 2010, mission de l’ONU pour la stabilisation en RDC,
forte d’un contingent de 20 000 soldats et de plusieurs centaines d’experts et
de conseillers en matière de police, de justice, d’administration, censés aider le
gouvernement congolais et apporter un soutien technique à l’organisation des
élections. À la suite de la proclamation des résultats et de la révolte qu’ils ont
suscitée chez les citoyens congolais, elle a déployé des soldats à Kinshasa. En
plus de dix ans, l’ONU n’est jamais parvenue à mettre fin aux crimes commis
par les milices qui ravagent l’Est du Congo, se contentant de sécuriser le
pouvoir de Joseph Kabila, pour le plus grand profit des multinationales, qui
peuvent ainsi opérer tranquillement en RDC.

Et que dire de la justice internationale, quand on voit la Cour pénale
internationale inviter Blaise Compaoré dans le cadre d’un colloque sur « La
paix, la justice internationale, l’ordre mondial
 », désigné par le procureur
Moreno Ocampo comme « personnalité de référence pour ses actions de
médiation
 ». Est-ce pour le remercier d’avoir éliminé Sankara, un des plus
grands espoirs de l’Afrique, protégé Charles Taylor, un de ses plus grands
monstres, ou bien pour avoir alimenté la rébellion en Côte-d’Ivoire ? Et
cette même cour prétend juger Laurent Gbagbo !

« C’est en prenant la route du développement que vous serez engagés sur la
route de la démocratie
 », tel fut le conseil paternellement dispensé aux Africains
par François Mitterrand dans le discours de La Baule. Or l’ordre qui vient d’être
pérennisé en RDC n’a qu’un but : capter les richesses de ce pays au profit
des multinationales, au détriment du peuple congolais. Voilà pourquoi, quand
la rhétorique perverse des puissances et d’une justice internationale à leurs
ordres ne convainc plus qu’elles-mêmes, l’appel à l’insurrection de Frantz
Fanon, cinquante ans après sa mort, résonne chaque jour plus fortement aux
oreilles des damnés de la terre.

#GénocideDesTutsis 30 ans déjà
Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 209 - janvier 2012
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