Survie

Le PS (enfin) prêt pour la « rupture » ?

(mis en ligne le 9 janvier 2012) - Fabrice Tarrit

Le Parti socialiste est en
ordre de bataille, avec
l’intention de remporter
au printemps une élection
qui lui échappe depuis
1995. S’il ne fait pas de la
politique étrangère et de la
relation franco-africaine un
enjeu clé de la campagne,
tout en affichant des
volontés de réforme, son
historique et son passif en
la matière appelle à une
certaine vigilance.

Arithmétique sondagière oblige,
nul besoin d’être devin pour
annoncer qu’au printemps pro­chain, il y a une chance sur deux pour
que la France soit gouvernée par une
équipe ministérielle à forte composante
socialiste. Sur les sujets qui préoccupent
Survie, les positions défendues par ce
parti, son candidat et ses conseillers
et les négociations amorcées avec ses
partenaires politiques revêtent donc une
certaine importance (Billets d’Afrique
n°208). Même si l’on sait d’expérience
que les points de vue exprimés lors
d’une campagne ou inscrits dans un
programme ne sont pas nécessairement
suivis d’effets.

Davantage que les annonces de
campagne, ce sont bien l’étude des
dynamiques à l’œuvre à l’intérieur
du parti, les personnalités clé de son
positionnement à l’international avec
ses partenaires qui peuvent permettre
d’apprécier la future ligne du PS sur
l’épineux sujet des relations franco-
africaines.

L’encombrant héritage Mitterrand

Le PS est, comme l’UMP, un parti qui a
fait partie intégrante de la Françafrique
du fait de ses compromissions et
renoncements tout au long des deux
septennats de François Mitterrand et
des cinq années de gouvernement de
Lionel Jospin.

Le parti n’a pas fait de réelle
autocritique sur ce point, vantant même
parfois la clairvoyance de François
Mitterrand à La Baule en 1990 ou la
réforme de la coopération menée sous
le gouvernement Jospin et sa doctrine
« ni ingérence ni indifférence » qui n’a
jamais empêché les réseaux officiels et
occultes de prospérer et de réinstaller
Sassou au pouvoir à Brazzaville à
l’issue d’une funeste guerre civile.

Installé dans son rôle d’opposant
depuis 2002, le PS s’est ensuite montré
de plus en plus critique vis à vis de la
politique africaine de Jacques Chirac,
en particulier à partir de 2005, comme
l’ont attestés quelques communiqués
de presse et interventions de par­lementaires sur la politique française
au Tchad ou au Togo. Les élections de
2007 ont constitué une occasion pour
Survie et le CRID de demander au parti
de clarifier son positionnement dans le
cadre d’une campagne d’interpellation
qui s’est prolongée après 2007 dans
le cadre de la Plateforme citoyenne
France-Afrique. Ces démarches ont
permis de cerner quelques tendances :
effacement progressif de l’influence des
personnalités telles que Guy Labertit
et Hubert Védrine, lente émergence
de nouvelles générations critiques sur
le bilan de Mitterrand et de Jospin (au
sein notamment du Mouvement des
jeunesses socialistes), difficulté à faire
« bouger les lignes » sur la question
du Rwanda et, surtout, positionnement
modéré et discret, parfois même très
ambigu des « éléphants » socialistes,
en particulier de Ségolène Royal.

Cette dernière, comme l’ont révélé
ses déclarations souvent alambiquées
(discours à Dakar en avril 2009) voire
totalement compromettantes (éloges du
régime de Compaoré à Ouagadougou
en novembre dernier), n’a jamais eu
une vision clairvoyante sur les relations
franco-africaines.

Un casting partiellement renouvelé

Depuis 2007, les positions n’ont pas
beaucoup évolué au sein du Parti
socialiste.
Plusieurs
personnalités
s’expriment cependant régulièrement
sur les questions liées à la politique de
la France en Afrique. A l’Assemblée,
le président du groupe socialiste, Jean-
Marc Ayrault, qui répond fréquemment
aux courriers d’interpellation de Survie
et intervient parfois à la tribune,
comme le 2 mars 2011, lors d’un
débat organisé spécifiquement sur
les relations franco-africaine. Parmi
les autres députés actifs, citons Henri
Emmanuelli, spécialiste de l’aide
publique au développement, Gaétan
Gorce (sur le Tchad) et les députés
François Loncle et Jean-Paul Bacquet,
qui ont tous deux participé à la Mission
d’information parlementaire de 2007-2008 sur les relations France-Afrique.

Dans l’appareil du parti on peut noter la
place spécifique de Pouria Amirshahi, le
secrétaire national à la coopération, à la
francophonie et aux Droits de l’homme,
aujourd’hui candidat au poste de député
de la 9 e circonscription des Français
de l’étranger (qui englobe le Maghreb
et l’Afrique de l’Ouest) et de Thomas
Melonio, chargé de l’Afrique au sein
du parti. Ce sont eux qui rédigent une
partie importante des communiqués
de presse socialistes portant sur
les relations franco-africaines. On
entend plus rarement Jean-Christophe
Cambadélis, en charge des questions
internationales mais très en retrait sur
Afrique, à l’exception d’un déplacement
à Abidjan en octobre 2010 et au FSM
de Dakar en février 2011 où il a brillé
par sa discrétion. Les principaux cadres
dirigeants du parti ne s’exposent pas
davantage, hormis lorsque les caméras
sont braquées sur eux, à l’occasion
d’une actualité spécifique permettant de
critiquer la position de la France ou lors
d’un déplacement en Afrique. Martine
Aubry avait cependant affiché lors du
dernier FSM sa volonté de « mettre un
coup de balai sur la Françafrique
 »,
avouant même qu’il en existait des
relents dans son propre camp.

Son rival à la primaire socialiste,
François Hollande, s’est quant à lui
toujours
montré
particulièrement
discret sur le sujet, ne faisant jamais de
la politique extérieure un enjeu de débat
national, ce qui n’est pas de bon augure
si l’on attend qu’une place significative
soit donnée à la contestation des
dérives de la Françafrique dans le
débat électoral. Hollande, qui vient de
dévoiler son équipe de campagne, aura
pour conseiller sur l’Afrique l’ancien
secrétaire d’Etat Koffi Yamgnane,
revenu de son expérience électorale
manquée au Togo.

Dans les cercles influents du PS
pour ce qui concerne l’élaboration
de positionnements sur la politique
étrangère, on peut citer les think tank
proches du parti comme la Fondation
Jean Jaurès. Son délégué général,
Gilles Finchelstein, est aussi directeur
des études d’Euro RSCG, entreprise de
communication, propriété, via Havas,
du groupe Bolloré et fournisseur
régulier de « conseils » tarifés à
quelques chefs d’Etat africains.
Euro RSCG a également des liens
organiques et financiers avec l’autre
think tank du PS, Terra Nova. C’est
cependant la Fondation Jean Jaurès
qui a édité « Quelle politique africaine
pour la France en 2012 ?
 » de Thomas
Melonio, employé de l’AFD depuis
2005 et ancien attaché parlementaire
de Dominique Strauss Kahn.

La Fondation Jean Jaurès, a compté de
1997 à 2006 parmi ses responsables,
l’ancien « Monsieur Afrique » du PS,
Guy Labertit, toujours très actif parmi
les soutiens de Laurent Gbagbo.

Une doctrine hésitante

Du fait de ces interventions peu
coordonnées, on ne distingue pas de
positionnement clair au sein du parti
sur la relation franco-africaine. Cette
difficulté à définir une nouvelle ligne a
plusieurs explications.

Il y a d’une part les débats existants
sur l’héritage Mitterrand et sur le
bilan du gouverne­ment Jos­pin. Certaines
per­sonnalités ont eu
un rôle clé dans ces
périodes et continuent
de conseiller certains
membres du parti
(Sé­golène Royal a par
exemple
auditionné
Hubert Védrine avant
de rédiger son discours
de Dakar) tandis que
pour d’autres, elles
incarnent une forme de
cynisme d’Etat dont il
faut se défaire.

Des réseaux d’amitiés
avec des personnalités
africaines telles que
Laurent Gbagbo peu­
vent également avoir
une influence sur les
prises de position du
parti ou de certaines
individualités
(Jack Lang, Henri
Emmanuelli,
Jean-
Marie
Le
Guen),
d’où la cacophonie
régnant
au
sein
du PS sur la Côte
d’Ivoire.

Des amitiés
ont, en effet, souvent
lié le PS à des chefs
d’Etat membres de
l’Internationale so­­cia­
liste, comme Ben
Ali ou Moubarak, ce qui a ouvert, au
moment du printemps arabe de 2011,
un débat opportun mais tardif au
sein du parti. La première secrétaire,
Martine Aubry, promettant de faire
le ménage au sein d’une organisation
dont la vice-présidente n’était autre
que... Ségolène Royal.

Le PS, lorsqu’il était au pouvoir, a
aussi et surtout maintenu des liens
étroits avec des régimes pourvoyeurs
en valises et autres services, comme
l’a illustré l’affaire Elf, bien avant
les révélations de Robert Bourgi. Les
déclarations embarrassées du parti lors
du décès d’Omar Bongo et la présence
de l’ancien ministre socialiste Charles
Josselin à ses obsèques illustrent cette
difficulté à se démarquer des liens du
passé. Dans son livre d’entretiens
« Blanc comme nègre » (page 196),
Omar Bongo, donne ainsi la liste de
ses amitiés à gauche, nommant en
par exemple Michel Rocard, Pierre
Mauroy, Laurent Fabius et Elisabeth
Guigou.

Lorsque le PS paraît trahir cette
« fidélité », il est vite rappelé à
l’ordre par ses anciens amis. Le
récent communiqué de presse sur les
législatives au Gabon a ainsi suscité
une réaction musclée dans la presse
gabonaise.

Un programme aux ambitions ambiguës

Sur la question du soutien aux dictateurs,
le discours a cependant un peu évolué,
grâce sûrement aux révolutions tuni­
siennes et égyptiennes et aussi peut-être
à des interpellations directes menées par
des associations comme Survie.

Mais au-delà du programme socialiste
ou des communiqués de presse citant
le Tchad ou le Congo Brazzaville, des
prises de positions fortes se font souvent
attendre sur la diplomatie de la France
à l’égard des dictatures africaines, à
l’exemple de l’« élection » du 9 octobre
au Cameroun qui n’a pas suscité de
réaction officielle. Le PS n’a pas vu venir
les révolutions arabes et ne paraît pas, à
cette heure, avoir suffisamment tiré de
conclusions sur l’attitude à adopter face
aux régimes soutenus depuis trente ans
par la France.

L’autre problème majeur du posi­
tionnement du PS, c’est aussi sa
propension à formuler des pro­
positions grandiloquentes sur le plan
géostratégique (volonté de définir une
« vision » prospective du continent
africain en étudiant son économie et
sa démographie, etc.) ou à verser dans
l’anecdotique par rapport aux enjeux
réels. Les programmes de 2007 et de
2012 ont ainsi en commun de vouloir
mettre en avant des thématiques telles
que l’aide publique, la coopération
culturelle et la Francophonie, mais
aussi le micro-crédit, la coopération
décentralisée,
tout
en
restant
extrêmement discrets par exemple sur
le franc CFA, les bases militaires ou
les entreprises françaises. Si Thomas
Melonio s’est risqué à aborder ces
thèmes dans son ouvrage publié à la
Fondation Jean Jaurès (op cit), celui-ci
n’est pas reconnu comme un document
émanant du parti.

Il faut donc s’en tenir pour l’heure au
programme formel établi par le PS et à
son accord avec son allié électoral EELV qui, parmi les ministères potentiels
à se partager, lorgne sans doute celui
de la coopération. Les propositions
du candidat François Hollande, qui
envisagerait un déplacement en Afrique
au cours de la campagne, se font encore
attendre. Contentons-nous d’espérer
que les promesses qui ne manqueront
pas d’être émises à cette occasion ne
connaîtront pas le même sort que celles
de Nicolas Sarkozy en 2006 à Cotonou.

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Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 209 - janvier 2012
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