Survie

Affaire Uramin : vers une nouvelle affaire Elf ? (2/2)

rédigé le 1er février 2012 (mis en ligne le 2 avril 2012) - Raphaël Granvaud

Résumé des épisodes
précédents
. Les promesses
des gisements africains
d’Uramin, start-up canadienne
rachetée à prix d’or par Areva
en 2007, se sont envolées,
laissant un trou de près
de deux milliards d’euros
dans la trésorerie du groupe
français (lire Billets d’Afrique
du mois dernier). Mais qui est
responsable ?

Une probable escroquerie du
groupe ont conclu deux enquêtes
barbouzardes, diligentées par le
responsable du pôle minier, Sébastien
Montessus, à l’insu de sa patronne – à
l’époque Anne Lauvergeon. Ce qui est
certain, c’est que, de jour en jour, il se
confirme que les conditions d’acquisition
d’Uramin ont été pour le moins troublan­tes, comme le rapporte en détail Martine
Orange dans une remarquable série
d’articles publiées sur Médiapart.fr1.

Non
seulement Areva n’aurait pas vérifié sur
le terrain la réalité des gisements qu’elle
achetait, notamment celui de Namibie
(grossièrement surestimé), se contentant
de l’étude d’une société rémunérée par
Uramin, mais elle a laissé les vendeurs
dicter toutes les modalités de la vente, aussi
défavorables soient-elles : changement de
procédure (brusque mise aux enchères)
en cours de négociation ; accélération des
délais empêchant toute étude sérieuse ;
absence d’échelle de prix initiale, comme
c’est l’usage pour se prémunir d’une
explosion des cours due à un possible délit
d’initié... laquelle explosion aura bien
lieu. Loin de décourager Areva, ces
éléments semblent avoir renforcé sa
détermination à s’emparer d’Uramin,
et emporté l’adhésion des représentant
de l’Agence des participation de l’Etat
(APE), actionnaire majoritaire d’Areva,
initialement réticents mais totalement
enfumés par l’enthousiasme, et peut-
être quelques cachotteries, de l’équipe
dirigeante en charge de l’opération. À la
tête de cette équipe, Anne Lauvergeon
bien sûr.

Les enquêtes barbouzardes, dont elle
et son mari, suspecté d’être impliqué,
ont fait l’objet, n’ont pas conclu à
l’enrichissement personnel. Mais il lui
est aujourd’hui reproché la légèreté de
l’opération, et aussi d’avoir dissimulé le
fiasco par la suite. Son successeur et ancien
bras droit, Luc Oursel, a ainsi décidé de
suspendre pour l’instant le paiement
de son parachute doré (1,5 millions
d’euros), décision contestée par Anne
Lauvergeon devant les tribunaux. Par
ailleurs, tous les bénéficiaires de la si
juteuse OPA d’Areva sur Uramin sont
loin d’avoir été identifiés. « Au cours
des six premiers mois de 2006, le capital
d’Uramin a beaucoup tourné
 », rappelle
Martine Orange.

A côté de requins connus de la finance et
des mines, on « retrouve aussi des fonds
canadiens, d’autres encore qui vont se
perdre dans les sables des îles Vierges et
des îles Caïmans. Qui se cache derrière
eux ? Des banques, d’autres fonds, des
particuliers ? Impossible de savoir.
 » Or,
comme l’explique un banquier d’affaires
qu’elle a interrogé, « les OPA peuvent être
un moyen rapide et sûr de blanchir des
fonds, d’enrichir certaines personnes, de
verser des commissions, sans que personne
s’en rende compte. Comment suivre les
déplacements d’argent dans une opération
boursière ?
 » La journaliste conclut : « Seule
une enquête judiciaire permettrait de lever
un coin du voile. Et encore. Les îles Vierges
n’ont jamais répondu à la moindre demande
de la justice française.
 » Cette enquête verra-
t-elle-même seulement le jour ?

Quatre enquêtes... et un enterrement ?

En 2010, alors que des négociations
étaient en cours pour marier Areva à
des investisseurs privés ou des fonds
souverains étrangers, l’expert-comptable
René Ricol, « démineur en titre de tous les
dossiers piégés de la présidence Sarkozy
 »
(Médiapart.fr, 14 janvier), avait été chargé
d’expertiser et surveiller les compte de
la société. C’est lui qui a fait inscrire une
première provision de 426 millions d’euros
pour éponger la perte de valeur d’Uramin,
mais, selon La Lettre A (15 juillet 2011),
« il semble qu’il n’ait pas voulu aller au-
delà pour ne pas désavouer les auditeurs
[des comptes] d’Areva, [les cabinets]
Deloitte et Mazars.
 » « Deux rapports
sont établis à la fin des travaux du
comité d’audit : l’un officiel, où toutes
les données gênantes ou confidentielles
sont soigneusement expurgées, l’autre
officieux, à diffusion restreinte avec
des exemplaires numérotés afin d’éviter
toute fuite.
 » (Médiapart.fr, 14 janvier).

Depuis, Ricol ne cesse de claironner
publiquement qu’il n’a trouvé aucu­n­ e anomalie dans les comptes de
l’entreprise. Jusqu’aux derniers rebon­
dissements de l’affaire l’ont obligé
à nuancer son propos : « Sauf si on
nous a sciemment menti
 », ajoute-t-il
prudemment aujourd’hui (Lemonde.fr,
14 janvier). Mais qui pourrait croire de
telles vilenies possibles dans le monde
si doux et si transparent des mines et du
nucléaire ?

Une deuxième enquête, parlementaire
celle-là, a été lancée après l’audition
d’Anne Lauvergeon par les députés, peu
de temps avant le non-renouvellement
de son mandat, lorsqu’elle « avait
perturbé des élus par l’imprécision de
ses réponses
 » (LeJdd.fr, 19 juin 2011).
A la suite de cette audition, Jérôme
Cahuzac, président socialiste de la com­mission des Finances de l’Assemblée
nationale, voulait « convaincre les
députés d’ouvrir une enquête sur
Areva
 » (Parismatch.com, 19 juin
2011) et le député socialiste Marc Goua
avait été chargé d’un rapport sur l’état
financier de la filière nucléaire, qui
n’est pas encore rendu public à l’heure
où nous écrivons. Le mois dernier,
il « n’exclu[ait] pas qu’il y ait eu des
commissions douteuses accordées à
des intermédiaires
 » (LesEchos.fr,
15 juin 2011). Entendus à huis clos
fin janvier, Luc Oursel et Sébastien
Montessus, selon un informateur ano­nyme, auraient témoigné devant les
députés en charge de l’enquête, qu’une
contre-expertise moins flatteuse sur les
réserves des gisements d’Uramin aurait
été dissimulée par Anne Lauvergeon
aux représentants de l’État (LeMonde.
fr, 25 janvier).

Dans l’entourage de Luc Oursel, cela
fait quelques semaines qu’on tire à
boulets rouges sur l’ancienne patronne
d’Areva, laissant entendre qu’il
pourrait y avoir « des suites judiciaires
pour déterminer qui a pu bénéficier de
ce deal
 », une plainte étant « envisagée
par un actionnaire qui se sentirait
lésé.
 » (Les Echos, 15 décembre 2011).
Pour l’instant, en interne d’Areva, un
comité de trois membres a été mandaté
par le conseil de surveillance « afin
d’examiner les conditions d’acquisition
et d’exploitation d’Uramin et d’en tirer
des enseignements pour le groupe
 ».
Pour faire bonne figure, le ministre de
l’Industrie, Eric Besson, a également
demandé à ses services « une étude sur
les conditions de cette acquisition pour
essayer de comprendre ce qui s’était
exactement passé.
 » (Lefigaro.fr, 13
décembre)

Mais si tout le monde fait mine de
vouloir tirer cette affaire au clair, il
n’est pas certain que cette volonté de
transparence soit réellement partagée.
A commencer par Luc Oursel, qui fut le
bras droit d’Anne Lauvergeon, membre
du directoire à partir de mars 2007 et
associé de ce fait à toutes les décisions
importantes.

Les représentants de l’Etat n’ont pas
brillé non plus par leur clairvoyance
et se sont fait tirer l’oreille pour
accepter de remettre leurs documents
au député Marc Goua qui enquête pour
le compte de l’Assemblée nationale.
Quant à Anne Lauvergeon, elle n’a
visiblement pas l’intention de servir
de fusible. A la radio, elle a dénoncé
à plusieurs reprises les tentatives de
déstabilisation qu’elle a connu à la
tête du groupe de la part de l’Élysée et
du « club du Fouquet’s », certains de
ses membres, comme Bouygues, étant
intéressés par un démembrement du
géant du nucléaire, comme on l’a déjà
rapporté. Elle se serait aussi rapprochée
de François Hollande, peut-être futur
président...

Il est tentant de faire le rapprochement
entre l’affaire Uramin et le déclen­chement de l’affaire Elf, lorsque les
règlements de comptes entre Philippe
Jaffré et son prédécesseur Loïk Le
Floch Prigent, avaient permis à Eva Joly
de tirer progressivement certains fils
parmi les affaires françafricaines. Pour
l’heure, on ne sait pas si la justice sera
sollicitée et trouvera de quoi se mettre
sous la dent. Mais si tel était le cas,
comme pour l’affaire Elf, on ne jugerait
de toute façon que les éventuelles fautes
individuelles, et non le système qui,
depuis un demi-siècle, au nom d’une
prétendue « indépendance énergétique »
de la France, perpétue l’ingérence
politique au Niger
, y sponsorise des
coups d’Etat et y maintient des forces
militaires, afin d’assurer le pillage de
son uranium.

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Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 210 - février 2012
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