On ne saurait construire aucun
pouvoir durable sur la force
pure, et la Françafrique comme
système de domination ne fait
pas exception : si les forces
armées et la technologie
militaire sont nécessaires,
elle ne sont rien sans la
propagande.
La propagande, c’est le mensonge d’État, mensonge organisé, incessamment
martelé par tous les canaux de la désinformation officielle. Confrontés à ce
formidable Goliath, qui vomit sans discontinuer ses mensonges par dix mille
bouches – juges aux ordres, fonctionnaires eichmanniens, barbouzes parés du
nom d’experts sur les plateaux télé, essayistes fumeux – les frêles David que nous
sommes se sentent parfois bien seuls. Il arrive pourtant que des juges soient assez
pénétrés du souci de la vérité judiciaire et du principe de la séparation des pouvoirs
pour refuser de s’en laisser conter. Le courage de quelques juges est en train de
provoquer l’effondrement de deux des plus gros mensonges de la propagande
françafricaine de ces dernières années : la thèse du suicide du juge Borrel, martelée
par les plus hautes autorités françaises et djiboutiennes dès la découverte du
cadavre de Bernard Borrel, le 19 octobre 1995 ; celle faisant du Front patriotique
rwandais l’auteur de l’attentat contre l’avion du président Habyarimana, le 6 avril
1994 : cette thèse, qui justifia, aux yeux des partisans du Hutu power, le génocide
des Tutsi au Rwanda, fut – et continue d’être – déversée sur l’opinion française par
des publicistes très impliqués dans la Françafrique, notamment Stephen Smith et
Pierre Péan. Dans les deux cas, une justice aux ordres tenta de toutes ses forces
de préserver une thèse officielle qui ne cessait pourtant de prendre l’eau.
Le nom de Bruguière symbolise désormais une magistrature à genoux devant le
pouvoir politique, quand le peuple français la veut assise. A peine bouclée une
instruction extravagante, ayant pour seul but de dédouaner les autorités françaises
de l’accusation de complicité de génocide, celui-ci ira se présenter aux élections
législatives sous l’étiquette UMP.
La thèse soutenue par cette instruction calamiteuse était cependant prêchée
sans trêve par des « journalistes » au diapason des autorités politiques, experts ès
manipulations françafricaines donnant le la de la désinformation. On ne sera pas
surpris de trouver parmi eux Stephen Smith, notre négrologue, alors à la tête du
département Afrique du journal Le Monde, l’organe quasi officiel du Quai d’Orsay
pour tout ce qui a trait à la Françafrique. Il y défendit avec acharnement la thèse
désignant Kagame, l’actuel président du Rwanda, comme le commanditaire de
l’attentat.
Le négrologue s’illustra même dans l’épisode rocambolesque dit de la boîte noire
de l’avion présidentiel, dont il affirma qu’elle se trouvait à l’ONU. Ce fait s’avéra
aussi inexact que tout ce qu’il écrivit sur la tragédie rwandaise. On n’est pas surpris
de retrouver, au côté du nauséeux négrologue, le fin connaisseur de l’âme tutsi,
Pierre Péan, dont l’ahurissant Noires fureurs, blancs menteurs noya le sujet dans
d’immondes attaques ad hominem et un flot d’affirmations hétéroclites destinées à
masquer l’absence de toute véritable investigation.
On sait de quelle pitoyable façon l’ensemble de l’œuvre « judiciaire » de Bruguière à la
cellule antiterroriste s’est effondrée : on est là devant une justice à la Poutine plutôt
que chez Montesquieu. Pour ce qui est de l’attentat les juges Marc Trévidic et Nathalie Poux n’eurent qu’à se rendre sur place avec des experts pour que les conclusions de Bruguière soient totalement invalidées par le rapport balistique rendu au juge.
L’État français semble penser qu’on élève la France en la faisant complice des
assassins de Bernard Borrel ; ils se trompent : ils l’abaissent. Les juges intègres sont
l’honneur d’une nation.