Survie

Un Monde retors

(mis en ligne le 1er février 2012) - Odile Tobner

Le Monde du 26 janvier
a publié sur une double
page un article aussi long
qu’inutile intitulé Rwanda une
passion française
, signé de
Christophe Ayad et Philippe
Bernard.

Le thème aussi bien que le discours sont
amphigouriques à l’extrême. Il s’agit
d’affirmer que, sur ce qui s’est passé
au Rwanda en 1994, deux thèses s’affrontent.

Tout l’article consiste à exposer ces deux
thèses d’une manière faussement impartiale,
prétendant ménager la chèvre et le chou
et renvoyer tout le monde dos à dos : un
exercice sophistique qui ne fait pas avancer
la question d’un iota. On tourne en rond.
Rien que la présentation de la confrontation
est significativement asymétrique puisqu’on
la situe « entre deux camps, que l’on pourrait
caricaturer sous les traits de « l’anti-France » contre la « France éternelle ».
 »
Qui nomme ceux qui exigent la transparence
sur le génocide, « anti-France » ? Qui se
nomme soi-même « France éternelle » ?

Même traitée de caricature cette position
du problème est bizarrement unilatérale. Il
aurait fallu, en bonne symétrie, citer ou les
deux dénominations que se donnent à eux-
mêmes les deux camps : la « France de la
justice
 » contre « la France éternelle » par
exemple, ou celles qu’elles se donnent l’une
à l’autre « L’anti-France contre la France
colonialiste
 ». Ce procédé court tout au long
du texte, ainsi on oppose « les contempteurs
du rôle de la France
 » et « les défenseurs de
l’armée française
 ».

Une psychanalyse à la Diafoirus

La nouvelle donne, après la publication du
rapport Trévidic, est exposée ainsi : « Les
deux « vérités » judiciaires, diamétralement
opposées, que la même procédure semble
avoir tour à tour établies, reflètent les thèses
inconciliables défendues par les deux camps
en présence dans le débat public français.
 »
Admirons les guillemets mis à « vérités », à
diverses reprises dans le texte, et l’appellation
« deux thèses » appliquée à deux démarches
très différentes, celle de Bruguière, dont le
rapport final était marqué par l’idéologie,
ce que personne ne peut nier, et celle de
Trévidic, qui est modestement allé à la quête
des faits. Entre les deux, il me semble que le
mot « progrès » aurait servi l’objectivité.

Quand la formulation se fait un peu plus
neutre : « Les anti-Kagamé regroupent les tenants d’une France civilisatrice et sans
reproche, assiégée par l’impérialisme anglo-saxon, chargée d’une mission particulière
en Afrique. Les tenants de la responsabilité
de la France dans le génocide rwandais
insistent, au contraire, sur la tradition contre-
insurrectionnelle de son armée, de l’Indochine
au Rwanda en passant par l’Algérie et le
Cameroun mais aussi sur la complaisance de
ses élites politiques envers le fait colonial ou
son avatar contemporain, la Françafrique
. »
On se garde de développer et on se lance dans
des considérations parasites sur la Shoah pour
finir par se jeter dans un long développement
verbeux sur les « motivations », celles d’un
seul camp bien sûr. Patrick de Saint-Exupéry
et Annie Faure auraient subi un ébranlement
émotionnel, seraient victime du syndrome de
« Fabrice à Waterloo » (Ah bon !).

On tombe dans la psychanalyse à la
Diafoirus : « De cette forme de culpabilité
ressentie par les témoins, a pu naître une
forme de militantisme thérapeutique à base
d’anti-impérialisme et de solidarité avec
les victimes
 » et, plus perfide, « l’atrocité
du génocide est telle qu’elle permet de
faire passer ses idées sur l’armée, sur la
France et l’Afrique, sans risquer d’être
critiqué, surtout si l’on prétend se placer
du côté des victimes.
 »

Un manque de courage

Par une bizarre symétrie il n’y a pas
d’analyse critique des « motivations » de
« l’autre camp », qui sont exposées comme
allant de soi. Leurs noms, simplement
énumérés, sont regroupés sous la rubrique
« nationalisme », entre guillemets dans le
texte, on ne voit pas pourquoi. La plainte
posée contre des soldats français par
des femmes Tutsi violées est qualifiée
de « controversée », le livre de Saint-
Exupéry L’inavouable l’est de « pamphlet
au vitriol
 », tandis que celui de Pierre
Péan, Noires fureurs, Blancs menteurs est
inventorié avec sérénité.

Article bien dans la manière retorse des
journalistes du Monde sur l’Afrique.
S’emparer d’une bonne question : « La
France porte-t-elle une part de responsabilité
dans le génocide rwandais qui fit 800 000
morts en un mois ?
 » (lapsus pour trois
mois, chercher la mo­ti­vation), dénigrer
sournoisement ceux qui la défendent,
noyer le poisson, lui laisser cependant
pointer le nez en conclusion : La France
aurait un « devoir de transparence ».
Alors que le bon sens est là pour dire :
poser cette question c’est y répondre.
Mais il y faudrait un brin de courage.

#GénocideDesTutsis 30 ans déjà
Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 210 - février 2012
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