Survie

Ali Bongo : un gangster protégé !

rédigé le 1er mars 2012 (mis en ligne le 2 mai 2012) - Bruno Ondo, Régis Marzin

Le pouvoir gabonais
particulièrement répressif
et dictatorial mériterait
une attention toute
particulière dans l’actualité
internationale. Mais, il
conserve toujours un
rôle stratégique dans la
Françafrique.

E
n décembre 2011, Ali Bongo
or­ganisait une nouvelle mas­-
carade électorale. Des légis­
latives surtout destinées à installer
durablement son régime deux ans après
s’être installé à la place de son père
Omar. L’opposition réelle avait donc
choisi de ne pas participer à ce scrutin
législatif et, le boycott a été soutenu
par la société civile engagée contre la
dictature emmenée par le Mouvement
« Ça suffit comme ça » !
Résultat : une Assemblée nationale
monocolore
représentative
d’une
minorité politique de 5% du corps
électoral. Ali Bongo a donc plus que
jamais la mainmise sur des institutions
aux ordres et plus personne ne se fait
d’illusion sur la véritable nature de
la « démocratie gabonaise ». Ainsi,
Ali Bongo a profité des dernières
élections législatives pour renouveler
son gouvernement. Il a opté pour
un nouveau Premier ministre qui
incarnerait le changement : Raymond
Ndong Sima. Ce théâtre relève de la
distraction politicienne. Le changement
d’acteurs politiques ne règle en rien le
problème du Gabon essentiellement
lié à la confiscation du pouvoir par
une famille qui a mis sur pied, depuis
cinquante ans, le pillage organisé du
pays. Pour tenir et garantir le système,
le régime gabonais a donc aussi besoin
de soutiens extérieurs et notamment en
France.
La faute politique de Fabius
Si Nicolas Sarkozy a bien accepté de
recevoir son homologue congolais,
Sassou N’Guesso, Ali Bongo a dû lui
se contenter de la visite de Laurent
Fabius, potentiel futur ministre des
Affaires étrangères d’une présidence
Hollande. L’ancien Premier ministre
socialiste s’est rendu naïvement au
Gabon, pour une conférence d’HEC,
alors qu’il est devenu hautement suspect
de fréquenter le pouvoir gabonais à
quelques mois des élections françaises.
Il faut dire que l’affaire des mallettes
est dans toutes les têtes. En tous les
cas, la visite de Fabius a été perçu par
les Gabonais comme la traditionnelle
caution française au potentat, même s’il
s’agissait d’une initiative personnelle,
selon certains socialistes. Il faut dire
que les déclarations de Fabius ne sont
pas passées inaperçues. En affirmant
que les relations entre la France et
le Gabon étaient « excellentes » et
souhaiter « qu’elles se développent
dans le futur », au moment où la Cour
constitutionnelle, menée par la belle-
mère d’Ali Bongo, venait de « valider »
le résultat des législatives, Fabius a
découvert, à ses dépens, qu’il ne fait
plus bon de s’afficher avec Bongo.
A quoi a servi l’argent du
foot ?
Ali Bongo a aussi tenté de profiter
de la Coupe d’Afrique des Nations
(CAN) organisée conjointement par le
Gabon et la Guinée-Equatoriale pour
faire oublier les élections truquées
du 17 décembre. Le 12 février, à
Paris, devant un parterre d’invités qui
assistait à la finale, l’ancien ministre
de l’Économie du Gabon, a annoncé
une réforme de la fiscalité à l’avantage
exclusif des investisseurs, une réforme
du code du travail gabonais, et a parlé
des garanties pour les investisseurs
français pour rapatrier ses capitaux.
Il imite ainsi Sassou N’Guesso, venu
lui-même à Paris pour rencontrer les
entreprises françaises. Depuis la fin de
la CAN, les Gabonais s’interrogent sur
le bilan de l’enveloppe de l’évènement,
estimée à 400 milliards de francs CFA,
soit 610 millions d’euros. Un premier
scandale a éclaté autour de l’achat
de vingt bus jamais arrivés au Gabon
pour une valeur de 3,6 milliards de
francs CFA. Par ailleurs, certaines
infrastructures réalisées pour la
circonstance appartiennent déjà à
certains dignitaires du régime, sachant
que le principal stade réalisé est un don
du gouvernement chinois. Quels sont
les comptes exacts de la CAN ? Voilà
une affaire qui pourrait intéresser la
justice française puisque les principaux
détournements réalisés laissent souvent
des traces sur le sol français, à l’instar
des révélations du Parisien (n°20985)
dans son article intitulé « détournement
de fonds des présidents africains au
train de vie scandaleux », mettant
en relief les scandales financiers du
couple Ali Bongo.
Bongo est bien un dictateur
La justice française vient également de
rejeter la plainte d’Ali Bongo contre
le porte-parole d’Eva Joly, Yannick
Jadot, qui l’avait traité de dictateur dans
les colonnes de Libération. Comme
pour la plainte d’un autre président
visé par la plainte sur les « biens mal
acquis » (BMA), le président de Guinée
Equatoriale, Obiang, contre le CCFD,
la justice exprime une nouvelle fois
son refus d’être instrumentalisée par
des dictateurs. L’affaire des « biens
mal acquis » rebondit d’ailleurs en ce
début d’année avec la perquisition de
l’hôtel particulier du fils Teodorin. Une
affaire n’en finit pas de secouer le petit
mon­de de la Françafrique et d’inquiéter
les présidents kleptocrates au grand
dam de la diplomatie française. Cette
actualité concerne particulièrement le
Gabon à quelques mois des élections
en France. L’excellent livre de
Xavier Harel et Thomas Hoffnung,
« Le scandale des biens mal acquis »
sorti en décembre 2011 cite (p 202)
l’ancien directeur adjoint de cabinet
du président Ali Bongo, Mike Joktane :
« Ce que dit Robert Bourgi au JDD
est vrai, mais incomplet : Omar
Bongo a contribué au financement
de la campagne présidentielle de
2007 du candidat Nicolas Sarkozy. »
Démenti immédiat de la présidence
gabonaise mais il n’empêche que le
révérend évêque pentecôtiste subit
des représailles politique et judiciaire
pour avoir reconnu la réalité des
mallettes d’argent. « Ça Suffit Comme
ça ! » a dénoncé ces attaques, dans
un communiqué du 22 février, « une
imposture, une manipulation éhontée
et par-dessus tout à une transgression
inacceptable des normes de droits aux
fins de règlements de compte
contre
les
adversaires
politiques. »
Aujourd’hui, la société
civile gabonaise s’interroge
sur la focalisation des
médias sur
la Guinée-
Equatoriale. Le mouvement
« Ca suffit comme ça »
constate en effet qu’il y a
eu une forte mobilisation
sur les différents procès
du président de la Guinée
Equatoriale, ou le rejet
de ses offres de don à
l’Unesco. La société civile
gabonaise qui a multiplié
des actions pour dénoncer
la dictature gabonaise en
lien avec les questions des
BMA et des détournements
de l’argent du pétrole, a été
très peu entendue. Pourtant,
les mutiples scandales tant
sur le plan de la démocratie,
du respect des Droits de
l’homme que dans les
détournements massifs qui
entachent le régime Bongo
mériteraient aussi toute
l’attention des médias. Y
aurait-il plus de mansuétude pour
des dictatures « amies de la France »
comme au Congo-Brazzaville et au
Gabon ?
La situation politique du Gabon suscite
beaucoup d’inquiétudes et ne cesse
de se dégrader depuis la succession
dynastique d’Ali Bongo. Quel crédit à
donner à un gouvernement que 90% des
Gabonais ne reconnaît pas ? Le silence
tant des politiques que des acteurs
de la société civile internationale,
notamment de défense des droits
humains en devient donc assoudissant.
Faudra-t-il attendre une effusion de
sang considérable pour que l’on prête
attention à ce petit peuple ?
La voix de son
maître français
En attendant la libération, le Gabon reste
toujours aux mains de la Françafrique.
En sus de ses fonctions de tiroir-caisse,
elle donne toute sa dimension dans la
guerre diplomatique qui l’oppose en ce
moment avec l’Afrique du Sud. Car
la bataille a été féroce pour contrer
la réélection du gabonais Jean Ping
à la présidence de la Commission
de l’Union africaine. L’Afrique du
Sud qui entend jouer sa partition de
puissance régionale a très peu goûté
l’instrumentalisation de l’Onu par
la France dans les interventions en
Côte d’Ivoire et en Libye. Le dossier
malgache est aussi source de conflits,
la France protégeant toujours le
putschiste Andry Raojelina. L’Afrique
du Sud avait
donc pour objectif
d’imposer son candidat Kosazana
Dlamini-Zuma, ancienne ministre et
ex-épouse du président sud-africain.

Ce qu’elle n’a pas réussi à faire à l’issue
du vote du dix-huitième sommet de
l’organisation qui s’est tenu les 29 et
30 janvier à Addis-Abeba. L’élection
a dû être reportée faute de vainqueur
des deux côtés. La France dont le
journal sud-africain Daily News
évoquait « les interférences [qui] ont
couté le poste à Ping a encore montré
l’étendue de son influence jouant de la
concurrence politique entre l’Afrique
du Sud et l’autre géant africain, le
Nigéria d’une part et de la fidélité sans
faille des présidents dictateurs amis.
Bongo, comme les autres servent aussi
à cela. Au final, l’intérêt des gabonais
important peu.

#GénocideDesTutsis 30 ans déjà
Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 211 - mars 2012
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