Survie

Eux, c’est eux

(mis en ligne le 12 mars 2012) - Odile Tobner

Une fois encore, l’actualité françafricaine révèle l’état de délabrement de
la République française, confisquée par une partitocratie cynique, dont les
oppositions superficielles recouvrent une profonde communauté d’intérêts : à
l’aube d’une campagne électorale qui s’annonce animée, deux leaders des deux
partis qui gèrent la France depuis trente ans ont rendu hommage à deux dictateurs
d’Afrique francophone. Sarkozy, chef de l’État, mais surtout de l’UMP, a reçu Sassou
Nguesso, le despote congolais, le 8 février à l’Élysée, ce qui lui a valu les critiques
du PS.

Pourtant l’apparatchik socialiste Laurent Fabius, dont on dit qu’il convoite le
ministère des Affaires étrangères, est allé lui-même serrer la pince à Ali Bongo, le
tiroir-caisse gabonais, le 14 février à Libreville. Ce parcours n’est pas sans rappeler
celui d’Alain Juppé, autre ex-gloire de la politique française, parti cautionner le
fantoche camerounais Biya avant de revenir prendre la tête du Quai d’Orsay. Si tel
est le parcours obligé pour les ex-meilleurs d’entre les apparatchiks ambitionnant
un dernier tour de piste, on ne s’étonne plus de l’état de nos institutions : imagine-
t-on un Premier ministre britannique allant se prosterner devant Idi Amin Dada ?

Ces oligarques ne manqueront pas de beaux discours pour justifier leurs
génuflexions. L’apparatchik de gauche évoquera, débonnaire, la nécessité
d’accompagner ces
grands enfants de
tyrans sur la voie
d’une démocratie, cer­
tes imparfaite, mais
que l’on n’améliorera
que graduellement ;
l’oligarque de droite
allèguera,
martial,
l’amour du drapeau,
qui lui impose une
realpolitik dont il lui
importe peu qu’elle
semble cynique aux
yeux des naïfs « droits-de-l’hommistes », pourvu qu’elle soit profitable à la France.

Mais les faits sont têtus qui démentent ces belles paroles. Cinquante ans de
Françafrique, loin de permettre à l’Afrique francophone de progresser sur la voie
du développement, l’ont enfoncée dans l’impasse où nous la voyons se débattre.
Quant à la France, le pillage de l’Afrique auquel on procède en son nom ne lui a
pas évité de tomber dans l’état où nous la voyons : en pleine faillite économique et
financière, bientôt sociale et surtout morale, à comparer avec les brillants résultats
de l’Allemagne, qui ne se porte pas plus mal d’avoir appris à se passer de son
empire, bien au contraire : quand la France imposait sa grotesque zone franc à
des pays misérables entre les misérables, l’Allemagne se taillait par ses propres
moyens une zone deutschmark au cœur même de l’Europe. On ne joue pas là dans
la même cour.

La Françafrique ne fait pas que révéler les tares d’une oligarchie dont le cynisme
arrogant peine à masquer l’incompétence absolue : elle est en elle-même une des
causes de la faillite de la République française en ce qu’elle favorise – ironie de
l’histoire – le développement en France des maladies qu’elle a cultivées en Afrique :
corruption, anéantissement des contre-pouvoirs et toute-puissance de réseaux
occultes assurant la promotion des plus nuls et le triomphe de la kleptocratie : tout
cela, dont l’ Afrique francophone souffre depuis cinquante ans, c’est la France qui en
pâtit aujourd’hui. Les Français prennent peu à peu conscience qu’en Françafrique
comme en France, cette oligarchie est au service d’intérêts particuliers, et non du
peuple qu’elle prétend représenter. Il n’est pas loin le temps où, à cette oligarchie
gâteuse, les citoyens adresseront les mots par lesquels Laurent Fabius avait, dans
l’insolence de sa jeunesse, qualifié l’accueil par Mitterrand d’un dictateur polonais
– “lui c’est lui, et moi, c’est moi” – : eux c’est eux, et nous, c’est nous.

#GénocideDesTutsis 30 ans déjà
Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 211 - mars 2012
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