C’est lors de l’audience
du 11 janvier de la Cour
d’appel de Paris que l’on
apprenait que le dossier
d’extradition de Hyacinthe
Rafiki Nsengiyumva, ancien
ministre des Transports dans
le gouvernement génocidaire
rwandais en 1994 avait été
égaré en novembre dernier !
Résultat : pas de dossier, plus
d’affaire.
Visé par un mandat d’arrêt émis par
la justice rwandaise en 2008 pour sa
participation présumée au génocide
de 1994, M. Nsengiyumva avait été arrêté
le 9 août à Créteil, puis incarcéré à Paris,
avant d’en être libéré fin septembre. Par
ailleurs, membre fondateur des Forces
démocratiques de libération du Rwanda
(FDLR) dont les crimes contre l’humanité
perpétrés au Congo sont régulièrement
dénoncés, M.Nsengiyumva était depuis
sous contrôle judiciaire. Qu’à cela ne
tienne donc, l’audience de la chambre
d’instruction était reportée au 22 février.
D’ici là, disaient les magistrats, ou bien
le dossier serait retrouvé, ou bien il serait
reconstitué. Or la chancellerie n’a transmis
au parquet général que des copies simples,
non certifiées conformes, donc sans valeur
juridique. Le 22 février, la situation n’avait
donc pas évolué et force fut de constater
que, sans dossier, il ne pouvait y avoir
d’affaire. En renvoyant la décision au
29 février, la présidente de la Chambre,
Edith Boizette, ne disait pas autre chose
en rassurant monsieur Nsengiyumva et son
avocat sur l’issue de la procédure : « Vous
connaissez la jurisprudence de cette Cour !
Nous en tirerons toutes les conséquences. »
Autrement dit, l’extradition vers le Rwanda
sera refusée et le contrôle judiciaire qui y
est rattaché sera automatiquement levé ! Ce
qui fut effectivement le cas le 29 février.
Gourmande, la défense de M.Nsengiyumva
regrettait que « la cour n’a pas rendu un
avis défavorable à l’extradition ». Et se
souvenant opportunément du contenu du
dossier d’extradition égaré, elle déplorait
même que « le Rwanda va pouvoir relancer
une procédure d’extradition comme si la
première n’avait pas existé, or nous avons
bien eu un dossier entre les mains qui avait
des irrégularités manifestes ».
Le plus choquant lors de cette audience,
comme dans les autres affaires d’ex
tradition, c’est la complaisance avec
laquelle les magistrats et l’avocat général
semblent se comporter à l’égard des
présumés génocidaires rwandais. Rien à
voir avec les propos toujours très durs,
voire cinglants quand il s’agit d’étudier des
demandes d’extradition en provenance des
pays européens. Ces roumains, polonais ou
basques ne sont pourtant pas accusés de
crimes contre l’humanité !
Pas de réaction non plus des magistrats
lorsque Me Courcelle-Debrousse, l’avocat
de Nsengiyumva, traite, en pleine audience,
Alain Gauthier, le président du Collectif
des parties civiles pour le Rwanda (CPCR)
d’« auxiliaire du gouvernement rwandais »,
lui reprochant la plainte avec constitution de
partie civile à l’encontre de son client ! Deux
poids deux mesures donc qu’il est difficile
d’accepter pour les victimes du génocide et
les associations qui les soutiennent.
Les responsables politiques français répètent
depuis longtemps que les
présumés génocidaires
rwandais qui seront
trouvés sur le sol
français devront être
poursuivis en justice.
Or, que voyons-nous
depuis dix-huit ans ?
Une indigence de la
justice française qui,
par manque de moyens,
ne parvient pas à faire
son travail. Les juges
d’instruction en charge des dossiers se sont
plaints eux-mêmes, à plusieurs reprises,
de ne pouvoir travailler dans de bonnes
conditions. Une certaine hypocrisie des
politiques qui, officiellement, affichent leur
détermination à poursuivre des personnes
soupçonnées des crimes les plus effroyables
et qui, en réalité, ne manifestent aucun
entrain pour que fonctionne la justice.
Un pôle d’enquêteurs pour crimes contre
l’humanité a bien été mis en place mais
nous pouvons craindre que les moyens
mis à sa disposition ne soient toujours pas
suffisants pour traiter des affaires d’une
telle ampleur.
Si on veut croire encore en la capacité de
la justice française à juger les présumés
génocidaires rwandais présents sur le
sol français, celle-ci a encore des efforts
à faire pour démontrer son impartialité.
Cette justice a été et est rendue au Rwanda.
Cette justice a été rendue au Tribunal
pénal international pour le Rwanda
(TPIR), même si certaines décisions ont
été scandaleusement favorables à plusieurs
présumés génocidaires.
Des pays comme par exemple la Belgique
ont eu le courage d’organiser des procès
qui ont condamné des ressortissants
rwandais pour crimes contre l’humanité.
Pourquoi la France, qui se targue d’être
le pays des Droits de l’homme, n’aurait-
elle pas une justice à la hauteur de ses
idéaux ?
En attendant que ces procès soient organisés,
la France est encore le refuge favori des
présumés génocidaires rwandais.