Survie

Tunis Connection : le who’s who des relations franco-tunisiennes sous le règne de Ben Ali

(mis en ligne le 13 mars 2012) - Mathieu Lopes

« D’un coup, la mer s’est retirée.
Vendredi 14 janvier 2011,
le président tunisien Zine el
Abidine Ben Ali s’enfuit pour l’Arabie
Saoudite. [...] À Paris, la France officielle
est pétrifiée. Elle n’avait cessé de soutenir
Ben Ali.
 »

Fruit d’une enquête menée au cours de
l’année 2011, Tunis Connection livre
un panorama, qui vise l’exhaustivité,
des relations entre les élites françaises
et tunisiennes. Car au-delà d’un soutien
diplomatique d’un pays à un allié, cette
proximité s’est caractérisée par des liens
personnels forts de part et d’autre de la
Méditerranée. Les auteurs, Lenaïg Bredoux et Mathieu
Magnaudeix, journalistes à Mediapart,
ont mené plus de 110 entretiens avec
les personnes qui ont tissé cette relation.

Lorsqu’il s’agit d’évoquer rétrospective­
ment leur positionnement vis-à-vis de Ben
Ali, nombreuses sont les personnalités
politiques, à l’UMP ou au PS, qui préfèrent
invoquer un « aveuglement collectif » qui
offre la confortable possibilité de noyer
leur complicité individuelle avec cette
dictature. Les entretiens revèlent pourtant
toujours une certaine réticence à admettre
la réalité du régime de Ben Ali : pour Henri
Guaino, l’erreur n’a été que d’avoir « sous-
estimé l’usure du régime
 », qui « de loin,
[...] paraissait solide
 », pour Jean-Pierre
Raffarin, « la France n’a pas anticipé
ce qui allait se passer. Elle a surestimé
la force du régime et sa stabilité.
 », pour
Hervé de Charette, aujourd’hui président
de la Chambre de commerce franco-arabe,
« il aurait fallu instaurer une relation plus
distante, plus respectueuse de nos intérêts
à long terme
 ». En lieu d’erreur, ceux qui
parlent de la faute de la France, celle d’avoir
soutenu la dictature de Ben Ali, sont rares.

Les raisons de ce soutien sont à chercher,
d’une part dans la sempiternelle doctrine de
stabilité, privilégiant un régime autoritaire
qui contient par la force l’islamisme.
D’autre part, Tunis Connection décrit les
intérêts d’affaires de nombreux groupes
français (Monoprix, Société générale,
Orange, Renault, Havas, etc.) avec le clan
Ben Ali, ou, par exemple, le recyclage de
certains personnels – jusqu’au plus niveau - de l’ambassade de France à Tunis dans
le secteur privé : des raisons bien plus
matérielles au soutien français. Les auteurs
ont aussi pu consulter certaines des archives
du 36, rue Botzaris, l’ancien siège du RCD
à Paris, où étaient scrupuleusement notés
tous les petits cadeaux du régime à la
sphère politique française.

Souhaitons que ce travail inspire la
profession, pour que le même genre
d’enquête soit menée sur les liens de
différentes personnalités et entreprises
françaises avec des régimes tout aussi
autoritaires mais toujours en place dans
d’autres pays. Du Tchad au Congo-Brazzaville en passant par le Cameroun,
le Togo ou le Burkina Faso, il n’y a que
l’embarras du choix.

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Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 211 - mars 2012
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