Survie

Togo - un dictateur à bout de souffle ?

rédigé le 4 avril 2012 (mis en ligne le 5 juin 2012) - Régis Marzin

Le régime de Faure
Gnassingbé est
structurellement parmi les
plus faibles des régimes
maintenus par la force
en Afrique francophone.
Le président togolais ne
peut échapper aux suites
de son putsch militaro-constitutionnel et de ses
crimes contre l’humanité.

Le président togolais doit faire avec
l’ONU qui, depuis 2005, surveille
les droits humains au Togo,
même si l’efficacité de cette mission
est limitée. Le pouvoir togolais a réussi
à brider la commission Vérité, Justice
et Réconciliation mais cela ne suffit
pas face à des crimes imprescriptibles.
Faure Gnassingbé a pro­noncé des
excuses, il est surtout contraint depuis
2005 de lâcher du lest régulièrement,
alors que les autres principaux acteurs
criminels sont toujours présents à ses
côtés. Depuis sept ans, les compromis
en entraînent de nouveaux, sa marge
de manœuvre diminue, au contraire de
l’autre bénéficiaire d’une succession
familiale, Ali Bongo, qui parvient, au
Gabon, à renforcer son pouvoir.

Une des seules dictatures qui puisse être arrêtée par les urnes

Le peuple togolais espère sans doute
profiter des changements géopolitiques
dans la Communauté économique
des Etats de l’Afrique de l’Ouest qui
mettent l’accent sur la démocratisation,
malgré les crises et les compromissions.

L’élection présidentielle de 2010 avait
réveillé les espoirs de voir une opposition
l’emporter quand, ailleurs, les dictatures
empêchent facilement les démocrates de
s’organiser. Les fraudes ont eu raison
de ces espoirs mais le rapport de force
s’est équilibré. Les manifestations de
l’Alliance nationale pour le changement
(ANC) se font régulièrement chaque
samedi à Lomé. Des élections législatives
sont prévues avant la fin de la législature
le 14 octobre.

La fraude de l’élection
présidentielle s’étant principalement
faite au niveau de la centralisation des
résultats, cette méthode sera difficile
à mettre en œuvre aux législatives en
raison des vérifications dans chaque
circonscription. L’opposition soutenue
en cela par l’Union européenne
réclame un redécoupage électoral car
les électeurs du Nord plus favorable
au parti présidentiel sont lourdement
surreprésentés par rapport à ceux du
Sud. Cette question pourrait remettre
en cause la date du scrutin.

Le potentiel de conflit entre Nord et
Sud est difficile à estimer, et, l’ANC
très ancrée au Sud du Togo, n’offre que
peu de garanties pour éviter une montée
des tensions. Faure Gnassingbé peine à
créer un nouveau parti présidentiel pour
prendre la suite du Rassemblement du
peuple togolais (RPT). Il pourrait être
tenté de prendre le risque de truquer
de nouveau les élections, car s’il perd,
il devrait vivre une cohabitation qui
lui laisserait peu de chance lors de la
présidentielle en 2015.

La duplicité de la politique européenne

La
politique
européenne
de
développement et de démocratisation
sans heurts aurait pu être acceptable si
elle avait été menée avec fermeté sur les
principes. Au lieu de cela, les actions
du Belge Louis Michel, venu au Togo
en 2010 pour valider l’élection truquée,
ont décrédibilisé l’homme mais aussi
la politique européenne.

Le leader de
l’ANC, Jean-Pierre Fabre, a accusé
Louis Michel d’avoir touché de l’argent,
le surnommant « le démarcheur », qui
« a toujours joué le rôle de lobby du
pouvoir RPT au niveau de Bruxelles
 ».

Il est de notoriété publique que Faure
Gnassingbé distribue de l’argent, en sac
plastique par dizaine de milliers d’euros,
et parfois en carton, par centaines de
milliers d’euros, pour les interlocuteurs
de poids dans son jeu. Il a aussi tenté
d’arroser des journalistes pour passer le
cap en 2010.

La société belge Zetes, qui
semble obtenir facilement des contrats
de fourniture de kits électoraux dès
que Louis Michel intervient dans un
pays est soupçonnée d’avoir pratiqué
de la surfacturation pour sa prestation
au Togo. La facilité avec laquelle se
réalisent des surfacturations sur le
budget de l’aide européenne renvoie
aux responsabilités politiques dans un
contexte de dictature et corruption :
Louis Michel était un des principaux
défenseurs du Togo pour le redémarrage
des aides européennes après le putsch
de 2005.

Il est de nouveau intervenu en soutien au
régime en novembre 2011 dans l’affaire
de l’exclusion des députés ANC.
La validation de l’élection en 2010, par
Ashton et la Commission européenne,
malgré les observations sévères de
la mission d’observation électorale,
a eu aussi un impact continental car
elle est intervenue en faveur d’une
dictature dans un cas rare de rapport
de force proche d’une bascule en
faveur d’opposants. La Commission
européenne aura du mal à revenir à
la fermeté comme le souhaiteraient
certains députés européens indignés.

La diplomatie française silencieuse

Faure Gnassingbé ne peut justifier
d’intérêts français et de ressources
naturelles importantes pour se faire
valoir. En 2010, la coopération militaire
française a pris part à la mascarade avec
la formation de la Force de sécurité de
l’élection présidentielle (FOSEP) dirigée
par le lieutenant-colonel Yark, accusé
de tortures en 2005 par l’Organisation
mondiale contre la torture. Depuis
l’expulsion fin 2009 d’Eric Bosc, premier
conseiller de l’ambassade de France et
ami de Kofi Yamgnane, les relations
entre Faure Gnassingbé et l’exécutif
français sont mauvaises. Kofi Yamgnane,
proche de François Hollande, pense en
priorité à la situation togolaise. Deux
de ses collaborateurs de 2010, Innocent
Assima et Narcisse Azanléko, prisonniers
pendant deux ans, ont été torturés pendant
plusieurs mois et viennent d’être libérés.

Quel que soit le parti victorieux en
France, rien n’indique que les relations
puissent s’améliorer. La coopération
militaire française s’adapte, elle, à toutes
les situations. Les conseillers français
continuent d’être présents auprès de
l’armée et des forces de l’ordre togolaises,
pilier du régime. La coopération militaire
française avec les dictatures africaines est
structurellement si bien établie, tellement
assimilée, que le scandale semble être
invisible.

L’incident de l’altercation entre
le photographe togolais Didier Ledoux et
le lieutenant-colonel français Létondot
en août 2010 a été étouffé : Ledoux a
reçu une aide française et est réfugié en
France. La coopération militaire française
ne peut souffrir d’aucune publicité. Les
programmes de coopération impliquant la
France et l’Union européenne mélangent
maintenant formations au maintien de
l’ordre et dans la justice, pour rendre l’ensemble plus présentable.

La torture après les massacres

Les projecteurs éclairent enfin la torture
récurrente depuis 2005. Le 6 octobre 2011,
lors de l’Examen périodique universel des
Droits de l’homme de l’ONU à Genève,
l’accent a été mis sur la torture.

La délégation française y a indiqué que
« la France recommande au gouvernement
togolais de signer et ratifier le Statut de
Rome de la Cour pénale internationale
 »,
et, faisant référence aux « cas de torture
et autres peines ou traitements cruels,
inhumains ou dégradants, rapportés
notamment au sein de l’Agence nationale
de renseignement (ANR)
 », « de mettre en
place le mécanisme national indépendant
de prévention de la torture prévu par
le protocole facultatif à la Convention
contre la torture
 ».

L’affaire Kpatcha,
frère du président accusé de coup d’état et
emprisonné depuis avril 2009, n’en finit
pas de revenir comme un boomerang.
Les hommes de Kpatcha ont été torturés,
et sont accusés, entre autres, le colonel
Massina, chef de l’ANR, le commandant
Kulo et le capitaine Kadanga. Une plainte
a été déposée contre le colonel Massina
devant la CPI. La justice internationale
pourrait s’intéresser au Togo, et c’est en tout
cas la volonté de plus en plus de togolais
conscients des manipulations pour freiner
la justice, ce qui a été particulièrement
dénoncé concernant la commission Vérité
Justice et Réconciliation. L’échec de cette
commission, reconnu par son président
Mgr Barrigah, qui, en guise de bilan, a
qualifié son action de « mitigée », pourrait
pousser vers une investigation de la CPI.

Le Collectif des Associations contre
l’impunité au Togo a aidé les victimes
à déposer 72 plaintes devant la justice
togolaise pour les massacres de 2005 qui
impliquent, entre autres, le major Kouloun
dans la région d’Atakpamé, où les
massacres furent les plus nombreux, parmi
les 400 à 500 morts minimum indiqués
par le rapport de l’ONU. En février 2012,
l’affaire Kpatcha rebondit : la Commission
nationale des Droits de l’homme (CNDH)
a rédigé un rapport sur les tortures de
l’ANR, que le gouvernement togolais a
diffusé dans une version expurgée des
principales accusations. Le président de la
CNDH, Koffi Kounté, a fui en Europe.

Un régime qui s’use au fil des affaires

En octobre 2011, le Togo a été élu par
l’Assemblée générale des Nations unies
membre non permanent du Conseil de
sécurité, mais cette victoire a été de courte
durée. La tension avec les États-Unis, qui
surveillent le Togo en raison des transferts
de cocaïne entre Amérique du Sud et
Europe, s’est aggravée avec l’affaire,
révélée par le FBI fin 2011, d’un trafic de
véhicules d’occasion passant par Lomé au
profit du Hezbollah libanais et impliquant
des officiels togolais. Hillary Clinton est
venue en janvier à Lomé. Les affaires
de corruption touchent d’autres proches
du président tels la directrice générale
des Impôts, Ingrid Awadé, ou le ministre
de l’Intérieur et de l’administration
territoriale, Pascal Bodjona. La presse
togolaise, celle qui n’est pas soumise par
les cadeaux présidentiels, se permet de
sortir de plus en plus de vérités.

Les procès bâclés et amendes effrayantes
ont ralenti le travail des journalistes, mais
ont aussi poussé à plus de radicalité.
Paradoxalement, malgré les menaces
qui pèsent sur elle, la presse togolaise
est aujourd’hui plus libre que dans
d’autres pays plus démocratiques. Elle
commence à s’intéresser aux « biens
mal acquis
 » locaux. Les BMA ont eu
énormément de retentissement pour
la partie immobilière française des
fortunes du pétrole, et seul le journaliste
camerounais Jean Bosco Talla avait osé
s’attaquer à la fortune locale de Biya, ce
qui lui avait valu des menaces de mort.

Faure Gnassingbé possède au Togo
des propriétés luxueuses, et entretient
des maîtresses dont les villas sont
gardées par les forces de l’ordre. Le
rapprochement des législatives devrait
renforcer la volonté des opposants d’agir
pour de nouvelles révélations. Faure
Gnassingbé commence à être isolé à
l’extérieur et le recours à la force devient
délicat. Pourra-t-il tenir longtemps sans
échapper aux conséquences définitives
de sa prise de pouvoir ?

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Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 212 - avril 2012
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