Survie

Les grands cimetières sous la mer

(mis en ligne le 10 mai 2012) - Odile Tobner

Dans la plainte dont ils viennent de saisir la justice française, quatre des survivants
du naufrage d’un Zodiac en Méditerranée accusent l’armée française d’avoir refusé
de leur porter secours.

On se souvient qu’en mars 2011, à la suite de l’intervention militaire en Libye, soixante-douze migrants d’origine subsaharienne, dont deux bébés, s’embarquaient de Tripolià destination de Lampedusa. En panne de carburant, l’embarcation part à la dérive dans une odyssée cauchemardesque avant de s’échouer sur la côte libyenne, avec seulement neuf survivants à son bord. Alors que les garde-côtes italiens avaient
largement diffusé l’appel de détresse lancé par les naufragés, aucun des bâtiments
présents sur le secteur ne s’est porté à leur secours.

Pourtant, comme le souligne
maître Maugendre, avocat des plaignants, « les militaires français ne pouvaient pas
ignorer la présence du bateau dans le secteur, ni ignorer qu’il était en détresse. Entre
ses différents bateaux, les sous-marins et les hélicoptères, la France était l’armée
la plus présente en Méditerranée
 ». D’ailleurs, dans un rapport publié le 24 avril, le
Conseil de l’Europe demande au commandement de l’Otan et aux États dont des
bâtiments se trouvaient sur zone d’enquêter sur ce « dysfonctionnement » des secours
en mer. Il faut rappeler que des navires de guerre de France, de Grande-Bretagne,
d’Italie, d’Espagne, des États-Unis et du Canada patrouillaient alors dans le secteur.

Ce drame effroyable n’est hélas qu’un épisode de la tragédie qui se déroule en
Méditerranée, où périssent chaque année plus d’un millier de migrants africains
dans l’indifférence générale. Pis, non contents de refuser de porter secours à ces
malheureux, les États européens organisent leur refoulement et pénalisent leur
sauvetage, au mépris des conventions internationales et des principes immémoriaux
du droit de la mer. L’ONG belge Centre Avec a exposé de façon détaillée, dans une
étude publiée en décembre 2010
, comment des États européens interdisent en fait
de porter secours aux naufragés en sanctionnant lourdement les patrons pêcheurs
qui passent outre. Au mieux, ils sont empêchés d’accoster et subissent de longs
jours d’immobilisation. Au pire, leur bateau est confisqué et ils encourent des peines
de prison pour « aide à l’immigration illégale ». Conséquence de cette politique, les
bateaux de pêche s’éloignent quand ils aperçoivent l’une de ces embarcations
maudites, au mépris de tous les usages qui font l’honneur des gens de mer. L’ONG
souligne avec raison que ce sont les valeurs européennes qui font naufrage en
Méditerranée.

Cette situation rappelle la tragédie que vit l’archipel des Comores, où,
chaque année, des centaines de personnes disparaissent en tentant de traverser,
à bord d’embarcations de fortune, le bras de mer qui sépare Anjouan de Mayotte.
Le 23 février à Mamoudzou, une marche a été organisée en leur mémoire, mais en
dépit – ou à cause – de la responsabilité de l’État français dans cette situation, le
terrible sort de ces malheureux ne mobilise pas les médias français comme avait
pu le faire celui des boat people de 1979. Aucun French Doctor ne lance en leur
faveur d’opérations de sauvetage similaires au « Bateau pour le Vietnam » destiné à
porter secours en mer de Chine aux Vietnamiens fuyant le régime communiste. C’est
que les boat people d’aujourd’hui ont le malheur d’être les victimes de l’oppression
économique de l’Afrique par les maîtres du monde, pour qui les êtres humains, quand
ils ne leur servent à rien, ne sont que des déchets à rejeter.

Suivant l’exemple du patron du Francisco y Cataluna, bloqué une semaine sans
pouvoir pêcher au large du port maltais de La Valette pour avoir recueilli à son bord
des naufragés et qui avait déclaré qu’il recueillerait à nouveau des perdus en mer
parce que c’était pour lui une obligation, des associations ont formé le projet boats
4 people
. En juillet 2012 une flottille appareillera, de Tunisie et de Sicile, pour faire en
sorte que la Méditerranée ne soit plus le tombeau des Africains, chassés de chez eux
par le désordre mondial.

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Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 213 - mai 2012
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