Survie

Afrique Caraïbes Pacifique - l’Union européenne poursuit son offensive

rédigé le 11 juin 2012 (mis en ligne le 1er août 2012) - Marie Bazin

Au point mort depuis
plusieurs années, les
négociations entre l’UE et les
pays ACP (Afrique, Caraïbe,
Pacifique) pour les Accords
de partenariat economique
(APE) sont relancées, la
Commission européenne
espérant balayer enfin les
réticences et oppositions des
pays ACP.

L
es négociations pour les APE ont été
lancées en 2002 et s’inscrivent dans le
cadre du programme de libre-échange
de l’Organisation mondiale du commerce
(OMC) et des accords de Cotonou. Les
APE, appelés à tort accords de « partenariat »
tant ils consolident la domination des pays
européens sur le continent africain, visent la
libéralisation du commerce des marchandises
et des services, des investissements, des
marchés publics, de la propriété intellectuelle.
Ces accords sont fondés sur le postulat selon
lequel le libre-échange est nécessairement
facteur de développement (le même postulat
qui domine le processus de construction
européenne depuis plus de 50 ans) et placent
le commerce au centre du « partenariat »
entre l’Europe et l’Afrique. Preuve en est le
fait que le principal acteur des négociations
côté européen est la direction générale du
Commerce de la Commission européenne (la
DG Développement étant reléguée au second
plan). A ce jour, les négociations n’ont abouti
que dans la zone Caraïbes (un accord régional
a été signé en 2008) et se poursuivent entre
l’UE et les pays d’Afrique subsaharienne et
du Pacifique.
Des accords largement
défavorables aux pays ACP
Quelles dispositions se cachent derrière ces
projets d’APE ? Il s’agit d’ouvrir les marchés
africains aux importations européennes et
vice-versa permettre à ces pays d’exporter
leur production vers l’Europe, au moyen
de la suppression des barrières douanières
(entre autres dispositions). Il est prévu que
les marchés européens s’ouvrent à 100% aux
importations des pays ACP et que ceux-ci
s’ouvrent à 80% aux produits européens (la
Commission européenne laissant pour l’instant
la possibilité aux Etats ACP de ne pas libéraliser
20% de produits déclarés comme sensibles par
l’Etat signataire, par exemple certains produits
de la pêche, des produits agricoles comme les
fruits frais ou encore les produits laitiers). Les
conséquences seraient multiples pour les pays
de la zone ACP : l’ouverture de leurs marchés
fragiliserait profondément leur économie car
l’UE y exporterait massivement ses produits
faiblement taxés et fortement subventionnés
(en particulier dans le secteur agricole) mettant
en danger les productions locales. Dans les
Caraïbes, l’accord signé en 2008 fait mourir
à petit feu l’agriculture vivrière, remplacée par
l’extension des monocultures d’exportation et
l’importation de produits européens.
Autre conséquence grave pour les pays ACP :
la libéralisation des échanges commerciaux
et des investissements participe du pillage
du continent africain en permettant à l’UE
de s’assurer un accès pérenne aux matières
premières. En effet les exportations des pays
ACP vers l’UE concernent principalement
quatre produits : le pétrole, le diamant, le bois
et le cacao. Autant de ressources capitales
pour l’économie européenne, auxquelles
s’ajoutent d’autres matières particulièrement
stratégiques : l’uranium, le cobalt, le tantale
(les deux dernières étant identifiées comme
« matières premières critiques » dans
l’Initiative matières premières publiée par
l’UE en 2008). L’UE se dote donc d’une
arme économique redoutable qui profite à
la fois à son industrie et à ses entreprises
multinationales qui exploitent les matières
premières en Afrique.
A noter également que la suppression des frais
de douane privera les pays ACP d’importantes
rentrées fiscales. Alors que la plupart de ces
pays sont fortement endettés et doivent sous
la pression de leurs créanciers diminuer
leurs dépenses publiques et consacrer une
partie importante de leurs ressources au
remboursement de la dette, en partie héritée
de l’époque coloniale et souvent creusée par
des régimes illégitimes, les priver d’une telle
soure de ressources semble aller à l’opposé
du bon sens. Ce serait oublier que les APE
ne sont pas des accords de développement
mais bien de commerce.
Oppositions vs. pressions
européennes
Certes des accords de commerce existent
déjà entre l’UE et les pays d’Afrique
subsaharienne et les populations africaines en subissent déjà les effets pervers. Mais
les APE marqueraient une nouvelle
étape fondamentale en inscrivant dans le
marbre la libéralisation et en l’étendant
aux services, aux investissements, à la
propriété intellectuelle. Le caractère
profondément inégal des APE explique
la levée de boucliers de la société civile
européenne comme africaine : on peut
par exemple citer le Comité d’initiative
citoyenne contre les APE au Sénégal,
la coalition « Bare APE » en Haïti, la
campagne « Stop APE ! » en Europe,
particulièrement actifs en 2007-2008.
A cette période les critiques sont aussi
venues du Parlement européen et de
certains parlements nationaux1, ainsi que
de plusieurs Etats ACP qui sont parvenus
à freiner les négociations, demandant
des conditions plus favorables. La
Commission européenne n’ayant pas
l’habitude que des Etats lui résistent sur
la scène du commerce international, elle a
usé de diverses stratégies et pressions pour
faire avancer les négociations. Les APE
devaient être un accord unique entre l’UE
et l’ensemble des pays ACP, mais plus de
la moitié des pays ACP ayant refusé de
signer les accords au 31 décembre 2007
(date prévue de la fin des négociations),
la Commission a entrepris de segmenter
la zone ACP, en lançant des négociations
bilatérales ou par pôles régionaux,
suivant l’adage bien connu « Diviser
pour régner ». Des accords intérimaires
bilatéraux ont été signés avec certains
Etats-clés dans les relations commerciales
UE-Afrique : la Côte d’Ivoire (accord
intérimaire sur les marchandises signé en
2008), le Cameroun (accord intérimaire
signé en janvier 2009). Ils permettent
de faire pression sur les autres pays du
pôle régional qui craignent de voir leur
commerce avec l’UE chuter. Récemment
la Commission a menacé ces pays de
les priver de leur accès préférentiel
aux marchés européens (inscrit dans
l’accord de Cotonou qui fixe le cadre
commercial en attendant la signature
de ce nouvel accord) s’ils ne ratifiaient
pas les APE intérimaires d’ici 2014.
La Commission a également trouvé un
allié de poids dans le secteur privé. Lors
d’un séminaire à Yaoundé en décembre
2011, intitulé « Exporter vers l’Union
européenne : Comment votre entreprise peut bénéficer de l’Accord de partenariat
économique entre l’Afrique centrale et
l’Union européenne », la représentante
de la DG Commerce de la Commission a
déclaré : « Le premier bénéficiaire après
la conclusion des accords de partenariat
économique sera le secteur privé »2.
Une logique que le ministre du Commerce
camerounais, également président du
conseil d’administration de l’entreprise
PHP (filiale de la Compagnie fruitière)
avait compris depuis bien longtemps...
depuis 2008 lorsqu’il a négocié l’accord
intérimaire bilatéral. Il semble que cette
stratégie de division et les pressions
de la Commission paient, puisque les
négociations régionales, au point mort
depuis 2007, ont repris à un rythme
intense en 2011-2012. Le 14 mai 2012,
l’APE intérimaire avec l’Afrique orientale
et australe est entré en vigueur. Depuis fin
septembre 2011, la Commission et les pays
du pôle Afrique de l’Est se sont réunis à six
reprises et les sessions de négociations des
18-20 avril et des 8-12 mai laissent penser
que les négociations seront conclues avant
la fin de l’année. Une réunion technique a
également eu lieu du 18 au 20 avril avec
le pôle Afrique de l’Ouest, la prochaine
étape étant la consultation en interne des
pays d’Afrique de l’Ouest. Cependant,
et malgré les efforts de la Commission
européenne pour convaincre les différents
acteurs en présence des bienfaits des
APE, à grand renfort de communication3,
les voix contestataires continuent de se
faire entendre4. Lorsque les négociations
aboutiront, la balle sera dans le camp du
Parlement européen, qui doit approuver
tout accord international signé entre
l’UE et des pays tiers. Aux citoyens et
associations de faire alors pression sur les
parlementaires pour qu’ils rejettent ces
accords iniques.
1 - Rapport d’information sur la négociation des
accords de partenariat économique avec les pays
d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique, déposé par
Jean-Claude Lefort, 2006. Rapport de Christiane
Taubira au Président de la République « Les APE
entre l’Union européenne et les pays ACP : Et si la
politique se mêlait enfin des affaires du monde ? »,
2007. Résolution du Parlement européen sur
l’impact des accords de partenariat économique sur
le développement, 23 mars 2006
2 - Communiqué de presse de la Commission
européenne du 2 décembre 2011
3 - La Commission a publié en 2011 une brochure
intitulée « APE : les voix africaines, caribéennes et
du Pacifique se prononcent pour le commerce et le
développement ».
4 - On peut citer par exemple la récente proposition
de résolution du Sénat de Belgique sur les APE
entre l’UE et les pays ACP du 13 mars 2012 qui
appelle à renégocier le mandat de négociation de la
Commission et à trouver des solutions alternatives
aux accords tels que négociés actuellement.

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Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 214 - juin 2012
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