En attendant les futures
actions du nouvel exécutif
français, le passé de ses
membres éclaire en partie
les intentions présentes de
changement.
S’il est trop tôt pour dire si, en matière
de Françafrique, le « changement »
promis par François Hollande
sera plus concret que la « rupture » de son
prédécesseur, on peut déjà chercher quelques
signaux et indices dans la composition du
gouvernement provisoirement nommé,
dans l’attente des résultats des élections
législatives.
A ce titre, on constate qu’au
moins une promesse a déjà été tenue :
l’équipe nommée le 16 mai respecte la
parité, avec autant de bonnes nouvelles que
de mauvaises ! Sans présager de l’action
future de chacun et chacune de ses membres,
on peut d’ores et déjà se permettre un coup
d’œil rapide et incomplet sur leur parcours.
Une exception : pour Manuel Valls, nouveau
ministre de l’Intérieur qui conserve, dans
ses prérogatives, toutes les compétences sur
l’immigration que les gouvernements Fillon
avaient regroupées place Beauvau, on peut
se permettre un procès d’intention. Il a, en
effet, très clairement annoncé quelle serait
sa « politique migratoire », qui annonce que
la chasse aux sans-papiers va se poursuivre.
Et tant pis si ceux-ci fuient des pays que la
Françafrique contribue à ravager.
Le PS avait promis la suppression de la
« cellule africaine » de l’Elysée, vestige
de l’ère Foccart. De fait, celle-ci avait
déjà été « supprimée » par Sarkozy,
qui l’avait opportunément renommée
« cellule diplomatique ». Cette fois, plus de
« cellule », mais toujours des « conseillers ».
Et une conseillère, pour commencer : Hélène Le Gal est en effet devenue la « madame Afrique » de François Hollande, ou, plus officiellement, « conseillère
auprès du conseiller diplomatique du chef de l’État, Paul Jean-Ortiz ». Cela sonne
moins « Françafrique » : il faudra voir si les pratiques s’en écartent aussi, et elle a les moyens de savoir ce dont il était question : après avoir été diplomate au Burkina Faso à la fin des années 90, la décennie sanglante d’un Blaise Compaoré soutenu à 100% par son ambassade, elle put prendre toute la mesure des dictatures du golfe de Guinée, en tant que sous-directrice Afrique centrale et orientale de 2005 à 2009. Entretemps, elle se frotta d’encore plus près à la Françafrique, en officiant comme conseillère du ministre de la Coopération Charles Josselin. Cette fois n°1 dans son domaine, elle va avoir l’occasion de montrer si ce parcours diplomatique lui a transmis ou non le virus de la Françafrique.
C’est ce qu’espèrent les émissaires africains qui ont déjà commencé à
la courtiser, selon la Lettre du Continent (31 mai 2012), et on peut penser que si Robert Dussey l’a rencontrée le 25 mai, c’est que ce conseiller diplomatique du potentat Faure Gnassingbé n’espère aucun « changement » dans les relations franco-togolaises.
Thomas Melonio, n°2 de cette cellule africaine qui ne dit pas son nom,
ou plus exactement son « conseiller technique », est un ancien attaché
parlementaire de Dominique Strauss Kahn et est cadre de l’Agence
française de développement depuis 2005. Devenu en 2006 le « Monsieur
Afrique » du PS, il avait publié l’année dernière l’essai « Quelle
politique africaine pour la France en 2012 ? », téléchargeable sur le site
de la Fondation Jean-Jaurès (un think-tank du PS). Il y ouvrait
notamment le débat sur le soutien à la démocratie – sans toutefois
utiliser une seule fois le mot de « dictateur » –, sur les bases
militaires françaises et sur le manque d’indépendance du franc CFA. On
attend de voir s’il fera de même maintenant qu’il est au cœur du pouvoir.
Du côté des ministres, on peut souligner quelques signaux positifs. La nomination
de Christiane Taubira comme Garde des Sceaux en fait partie : la députée qui a
arraché la reconnaissance comme crime contre l’humanité de la traite négrière
est incontestablement une artisane de la décolonisation de nos esprits. Surtout,
officiellement extérieure au PS, ouverte aux questionnements sur le rôle de la
France dans le génocide des Tutsis du Rwanda, on peut espérer qu’elle prête une
oreille plus attentive aux demandes de moyens pour le pôle judiciaire Génocides
et crimes contre l’humanité créé pendant la mandature précédente... mais dépourvu de ressources. Plusieurs procédures liées à la complicité de la France dans le génocide y sont en attente.
C’est également sous son autorité que vont ou non se poursuivre les procédures engagées contre des dirigeants africains dans l’affaire des biens mal acquis : le régime congolais salue cela comme une bonne nouvelle, en misant sur le fait que Sassou Nguesso connaît personnellement la nouvelle ministre.
A elle de prouver que cette propagande brazzavilloise est infondée...
L’autre signal positif, c’est évidemment la nomination de Pascal Canfin comme
ministre délégué au Développement. Il faut évidemment interroger l’idée même
de « développement », et les conceptions très ethno-centrées, très occidentales,
qu’elle véhicule. Mais on peut saluer la volonté claire de remplacer celle de « coopération », marquée par l’époque des années 60 où ce ministère est venu
remplacer celui des Colonies, substituant ainsi un néocolonialisme non assumé au
précédent système de prédation.
Surtout, on peut espérer que la nomination de l’euro-député Europe-Ecologie Les Verts, mobilisé depuis son élection en 2009 contre les paradis fiscaux, signale la
volonté de concevoir les problèmes de pauvreté au travers du pillage et des flux
financiers illicites plutôt que comme un besoin d’aide supplémentaire. Le recrutement au sein de son cabinet de Maylis Labusquière, chargée de mission
d’Oxfam France très active au sein de la plateforme d’ONG mobilisées contre les
paradis fiscaux et judiciaires, est un indice supplémentaire en ce sens. Certes, quand il était encore journaliste à Alternatives
économiques, en 2008, Pascal Canfin s’est laissé « enfumer » une fois par le WWF
qui l’emmena au Cameroun, avec d’autres journalistes, pour témoigner des prétendus succès de la certification forestière dont l’ONG était partenaire... au point que son article à ce sujet est un monument de publireportage pour l’industrie forestière, sans bien sûr être signalé comme tel.
Il n’empêche, cette erreur de parcours ne suffit pas à discréditer ce nouveau ministre, dont le bilan réel dépendra plutôt de sa liberté d’action vis-à-vis de son ministre de tutelle, Laurent Fabius.
François Hollande, en éléphant du PS qui se respecte et qui avait besoin d’entretenir
les vieux mythes socialistes pour être élu, n’est a priori pas du genre à remettre en
cause l’héritage mitterrandien. Mais en faisant nommer Laurent Fabius au Quai
d’Orsay, il met en place un gardien du temple socialiste : dès le lendemain de
la mort de « Tonton », l’ancien premier ministre avait rassemblé autour de lui tous
ceux qui refusaient catégoriquement le « devoir d’inventaire » de cet héritage que
Lionel Jospin se permettait d’évoquer une fois à Matignon.
Pilier du courant fabiusien, Paul Quilès est ainsi devenu le roi de la préservation des secrets mitterrandiens sur l’implication de la France dans le génocide des Tutsi au Rwanda, en pilotant à sa façon une mission d’information parlementaire censée suppléer à une commission d’enquête (Billets n° 212, avril 2012).
Cet attachement à un passé pourtant bien trouble se double d’autres amitiés coupables, comme Alassane Ouattara depuis ses premières tentatives de conquête du pouvoir ivoirien dans les années 90, mais aussi dans les milieux pétroliers. Ainsi, Michel Benezit, un ancien membre de son cabinet à Matignon, devenu le successeur d’André Tarallo comme « Monsieur Afrique » de la nouvelle TotalElf et même président d’Elf Gabon en 2000. Ce type de « pantouflage », s’il n’est pas exceptionnel, ne peut certes pas être imputé à l’ancien premier ministre, qui ne pouvait pas présager de la carrière de son collaborateur.
On ne peut pas en dire autant lorsqu’il débaucha le directeur de la communication de Total, Jo Daniel, pour le prendre dans son cabinet de président de l’Assemblée nationale en 1998. On peut imaginer les conseils que celui-ci lui prodigua lorsqu’il présida, cette même année, le colloque « La nouvelle politique africaine de la France ». L’histoire retient qu’il y avait plaidé pour « la coordination entre le franc CFA et un euro qui ne devra pas être surévalué » : quatorze ans plus tard, réalise-t-il que le problème principal du franc CFA n’est pas sa coordination avec l’euro, mais plutôt l’absence de souveraineté des pays concernés ?
Et bien sûr, comme tout responsable politique français de premier plan, Fabius
n’échappa pas aux entretiens avec Omar Bongo. Fin octobre 1996, on le retrouve
par exemple en « consultation » dans la suite Bongo de l’hôtel Crillon, à Paris,
avec d’autres dirigeants socialistes comme Roland Dumas, Lionel Jospin ou encore
Michel Roccard. Une « veille habitude » dont il semble avoir du mal à se défaire :
Bongo père n’étant plus là, il se permet de rencontrer Bongo fils lors d’un déplacement à Libreville, et d’y vanter aux médias les « excellentes relations » entre La France et le Gabon, tout en espérant « qu’elles se développent dans le futur ». Les lieutenants de campagne de François Hollande, invités à condamner ces propos, se contentèrent d’expliquer qu’ils n’étaient pas au courant de ce voyage, organisé à l’occasion d’une conférence dans une école de commerce.
Principaux fossiles de la mitterrandie au sein du nouveau gouvernement, « Laurent
Fabius et sa conseillère Afrique, Sophie Moal-Makame, constituent les rares interlocuteurs permettant de remonter jusqu’à l’Elysée » pour la dictature
gabonaise, selon la Lettre du Continent (31 mai 2012). Un véritable symbole de
« changement », à n’en point douter.
Avec sa nouvelle casquette de ministre, Fabius s’est tout de même fendu dans Le
Monde (29 mai) d’une déclaration que nous ne manquerons pas de lui rappeler : « notre doctrine est claire : quand la France vend des armes, elle veille à ce que celles-ci ne puissent pas être retournées contre les peuples ».
Le nouveau patron du Quai d’Orsay parlait alors de la Syrie, et on se souvient qu’il
s’était opposé en 2000, comme ministre de l’économie, à la vente d’hélicoptères au
Soudan... mais aussi qu’il avait proposé, deux ans plus tard, une taxe sur les
ventes d’armes comme nouveau mode de financement du développement (pratique :
plus on vend d’armes, plus on peut « développer » ! Pascal Canfin appréciera).
Il faudra éviter l’indignation sélective lors des prochains contrats d’armement avec le
Tchad, le Cameroun, le Togo, etc.
S’il est trop tôt pour savoir quelle sera l’attitude du nouveau ministre de la Défense, Jean-Yves Le Drian, vis-à-vis des demandes d’accès aux archives militaires sur l’implication française au Rwanda, il faut s’intéresser à Eric Bucquet, général de brigade fraîchement nommé auprès du général Puga à l’état major particulier de François Hollande. Alors capitaine, il avait participé à l’opération Turquoise au Rwanda en 1994, comme commandant du premier escadron du 3e Régiment
d’infanterie et de chars de marine (RICM de Vannes).
Il figurait ainsi dans le convoi qui est venu de Gisenyi à Kibuye, où l’armée française a collaboré avec le préfet Kayishema, condamné depuis à perpétuité par le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) pour les massacres qu’il a ordonnés et auxquel il a participé directement...
A la fin de Turquoise, Bucquet était à Gikongoro, dont le préfet Bucyibaruta vit paisiblement vers Troyes, alors que le TPIR a demandé en 2007 à la France de le
juger. S’il est trop tôt pour dire quel fut son propre degré d’implication, il a été amené de fait à collaborer avec des présumés génocidaires. On peut craindre que, ne
serait-ce que par esprit de corps avec les autres officiers de l’opération Turquoise, il
soit auprès du nouveau président un frein au « droit d’inventaire » sur l’implication
française au Rwanda qu’appelle de ses vœux l’éditorialiste Sylvain Bourmeau dans Libération du 1er juin.
@fhollande doit exercer son droit d’inventaire sur la responsabilité de François Mitterrand au Rwanda mon edito liberation.fr/monde/2012/05/…
— Sylvain Bourmeau (@bourmeau) Mai 31, 2012
Kader Arif sur les pas de Bockel
Kader Arif, qui s’était exprimé pendant
la campagne de François Hollande
sur la nécessité de tourner la page de
la Françafrique, se retrouve ministre
délégué aux Anciens Combattants. Il
connaît donc une carrière accélérée par
rapport à son prédécesseur Jean-Marie
Bockel, qui avait fait un détour par
le secrétariat d’état à la Coopération,
avant d’hériter de ce portefeuille
pour avoir exprimé le même souhait,
en 2008. Anciens combattants de la
Françafrique, unissez-vous !