Survie

Togo « Montrer la vraie nature du régime »

rédigé le 1er juillet 2012 (mis en ligne le 16 juillet 2012) - André Kangni Afanou, Mathieu Lopes

Depuis quelques mois, le
Togo vit au rythme d’une
forte contestation populaire.
Regroupés au sein du Comité
Sauvons le Togo ! (CST),
plusieurs organisations de
la sociéte civile et des partis
politiques d’opposition
réclament une amélioration
des règles électorales,
le respect des droits de
l’homme et la lutte contre
l’impunité.Témoignage
d’André Kangni Afanou,
juriste et directeur du Cacit
(Collectif des associations
contre l’impunité au Togo).

Billets d’Afrique (BDA) :
Le Togo est en ébullition.
Comment expliquez-vous ce
phénomène ?

André Kangni Afanou (AKA) :
Effectivement, depuis quelques semai­nes, il y a, au sein de la population
togolaise, un profond malaise qui
s’explique par trois principales raisons :
la persistance de l’impunité liée aux
actes de tortures et violations graves
de Droits de l’homme aux actes de
torture ainsi que l’instrumentalisation
du pouvoir judiciaire aux seuls fins
d’opprimer les faibles et de protéger
les forts, le caractère inéquitable et
injuste des règles qui régissent les
compétitions électorales au Togo et
le manque de volonté des autorités de
poser les bases pour une réconciliation
véritable et durable.

En effet, cela fait deux ans qu’il y a des
allégations de torture au sein de l’ANR
(Agence nationale de renseignement).
Interpellé à plusieurs reprises, l’État
a fini par confier à la Commission
nationale des Droits de l’homme
(CNDH) une mission d’enquête sur
la question. A la remise du rapport,
les autorités togolaises ont publié sur
leur site un faux rapport niant les actes
de torture. La réaction de la CNDH a
été de publier sur internet le véritable
rapport, qui démontrait clairement les
circonstances dans lesquelles des gens
ont été torturés.

Au final, le président
de la Commission a du fuir le pays
faisant état de menaces qui pèseraient
sur lui. Je rappelle qu’entretemps,
plusieurs missions internationales
ont séjourné dans le pays et insisté
sur le fait que le gouvernement
devrait réserver une suite pénale aux
conclusions du rapport de la CNDH.
Jusqu’à ce jour, il n’en est rien.

Déjà, il y a quelques mois, la
commission Vérité, Justice et Récon­ciliation a rendu les conclusions de
ses travaux et M gr Barrigah qui en est
le président déplorait, en même temps
que tous les Togolais, le fait que les
présumés auteurs d’actes de violations
de Droits de l’homme n’aient pas jugé
utile de fait acte de contrition mais se
sont plutôt présentés en victimes. Et
les autorités semblent cautionner cette
situation en donnant un blanc-seing
aux bourreaux.

Pour en venir au processus électoral,
il faut relever que, au Togo, les règles
qui régissent la compétition électorale,
sont très injustes. Outre le fait que
le pouvoir contrôle presque toutes
les institutions qui interviennent
en amont et en aval du processus
électoral notamment la Commission
électorale (CENI), la Haute Autorité
de la communication (HAAC), la Cour
constitutionnelle, il faut relever que
tant les missions des Nations unies et
de l’Union Européenne ont déploré le
caractère injuste de la loi électorale
et du découpage électoral.

Ainsi,
lors des législatives de 2007, plus de
1 100 000 Togolais ont donné leur
voix à l’opposition, tandis que le parti
au pouvoir (RPT) a recueilli 900 000
voix. Au final, seulement 30 sièges de
députés ont été attribués à l’opposition
alors que le parti du chef de l’Etat qui
était minoritaire en nombre de voix a
eu une très grande majorité de sièges
de députés.

Ce sont ces événements et bien
d’autres qui expliquent la mobilisation
d’une grande partie des organisations
de défense des Droits de l’homme, des
partis politiques et des médias au sein
d’une coalition dénommée Collectif
Sauvons le Togo.

Opération de maintien de la « paix » : fusil mitrailleur et bombe lacrymo pour disperser les manifestants

Parlez-nous de ce vaste mouvement
de contestation. Quels sont ses modes
d’action et ses revendications ?

Les revendications du CST portent
justement sur la mise en œuvre effective
du rapport de la CNDH relativement
aux actes de torture commis à l’Agence
nationale de renseignement, la fin
de l’impunité, la bonne gouvernance
et l’amélioration de la loi électorale
pour la rendre plus juste et plus
équitable. Les organisations membres
du
CST ont organisé beaucoup
de manifestations notamment des
meetings, des marches et des sit-in de
jour comme de nuit. Du 12 au 14 juin
2012 par exemple, à la place Dékon, la
place Tahir du Togo, plusieurs centaines
de milliers de personnes ont manifesté
au point de faire dire au représentant
de l’Union européenne au Togo, qui
avait fait le déplacement, qu’il n’avait
jamais vu « une marée humaine aussi
importante
 » dans les rues de Lomé.

Des manifestations ont aussi eu lieu
dans certaines villes de l’intérieur du
pays.

Quelle a été la réaction des autorités à
ce mouvement ?

Après avoir semblé appeler au
dialogue, les autorités ont opté pour
la répression. Les manifestations sont
violemment réprimées : on a dénombré
de très nombreux blessés parmi les
manifestants mais aussi des cas de décès
dont une dame à Lomé qui a reçu des
gaz lacrymogènes dans son domicile. En
outre, à l’intérieur du pays, à Sokodé,
un vieil homme a été brutalisé par les
forces de l’ordre et en est décédé.

Des cas d’arrestation ont aussi été
enregistrés : trois avocats et défenseurs
de Droits de l’homme, responsables
du mouvement CST ont été arrêtés
puis libérés deux jours après. Ils ont
été présentés devant le juge le lundi
2 juillet 2012 et inculpés. Près de
54 jeunes ont aussi été interpellés et ils
sont actuellement détenus à la prison
civile de Lomé.

Les violences ont aussi touché les lieux
de culte. Des gaz lacrymogènes ont été
lancés jusque dans une église où des
chrétiens étaient en train de prier ; les
enfants de l’école catholique n’ont pas
été épargnés, ils ont subi aussi les gaz
lacrymogènes.

Ceci a valu une lettre de protestation
de la Conférence épiscopale du Togo
demandant fermement que les auteurs de
ces actes soient identifiés et punis. Des
miliciens ont aussi infiltré les cortèges
et ont gazé les manifestants. La situation
à ce jour est très inquiétante.

Faites-vous confiance à la justice
pour situer les responsabilités dans
ces événements ?

Non, justement, nous avons l’impres­sion que notre justice est aux ordres
et que l’on fait du deux poids, deux
mesures. En effet, alors que l’appareil
judiciaire est prompt à « juger »
les manifestants arrêtés, on note
que la même promptitude n’est pas
observée pour déclencher l’action
publique contre les auteurs clairement
identifiés d’actes de torture.

En outre,
notre justice semble impuissante face
à d’autres forces qui donnent des
ordres parallèles pour faire régner
la loi de la force. Je n’en veux pour
preuve que deux affaires, notamment
une où la libération sous caution d’un
homme affaires a été prononcée par
la Cour suprême mais celui-ci est
toujours gardé en détention ; une autre
libération d’un Franco-colombien a
été prononcée par la cour d’assises
mais l’intéressé est toujours détenu.

Le constat est triste : notre justice n’est
pas indépendante et impuissante.

N’est-ce pas surprenant qu’à l’ap­proche d’élections, le pouvoir réprime
ainsi le mouvement alors qu’il mène
depuis des années une opération de
communication pour restaurer son
image ?

Je pense qu’au fur et à mesure des
événements, la vraie nature du
régime qui nous gouverne depuis
plus de quarante-cinq ans et qui n’a
d’autre souci que de conserver le
pouvoir va se dévoiler à l’ensemble
de la communauté internationale.

La capitale togolaise Lomé sous tension. Les manifestations et les face-à-face entre protestaires et forces de l’ordre se multiplient.

Ce régime se caractérise par des
déclarations de bonnes intentions et
des vœux pieux qui contrastent avec
la réalité des violations de Droits de
l’homme, des institutions qui ne sont
pas indépendantes et ne fonctionnent
pas du tout, un cadre électoral très
injuste.

Si les réformes en profondeur
ne sont pas opérées, il y a de fortes
chances que les élections à venir ne
soient ni justes, ni transparentes. Les
frustrations d’une grande partie de la
population risquent de continuer et la
paix sociale compromise.

Quelles ont été les réactions de la
France, de l’Europe et des États-Unis
après la répression du mouvement ?

Il faut reconnaître que le groupe des
5
(UE, France, Allemagne, États-Unis
et le Programme des Nations unies
pour le développement – PNUD)
a fait une déclaration publique
dès que la répression a commencé
affirmant que l’État togolais avait
le devoir d’engager des discussions
avec l’opposition afin que des règles
consensuelles soient adoptées dans le
cadre des élections.

Le représentant
de l’Union européenne s’est rendu en
personne sur la place Dékon. Même
l’ambassade de France a envoyé un
représentant auprès du CST après que
la répression a commencé.

Jusque-là ces réactions ont été de
nature à encourager les autorités à
écouter la population. Cela donne de
l’espoir par rapport à un passé récent,
notamment le discours de la France :
un porte-parole du Quai d’Orsay a
demandé que le dialogue soit entamé.

Espérons que ce discours sera constant
car il s’agit de rompre avec un certain
nombre de pratiques d’un autre âge. Si
on en croit ces déclarations, en tout cas,
on a l’impression qu’avec le nouveau
pouvoir français, il y a une meilleure
prise en compte des populations.

Cette logique va-t-elle être maintenue ?
La France ne va-t-elle pas revenir à une
logique ancienne qui voudrait qu’elle
se contente de défendre ses intérêts
au détriment de la soif de liberté et
de justice des Togolais ? J’espère que
ce ne sera pas le cas et que la « Patrie
des droits de l’Homme
 » va être
encore plus ferme envers les autorités
togolaises.

Toute autre position consisterait à
cautionner la dictature, l’oppression,
l’injustice et l’impunité qui est
devenue la règle au Togo. La
France, l’Allemagne, les Etats-Unis
d’Amérique, l’Union européenne et
toutes les puissances doivent œuvrer
dans le sens de l’amélioration de la
gouvernance au Togo.

Propos recueillis par Mathieu Lopès

Le Cacit

Ce collectif a été créé à la suite des violences
politiques commises en 2005 après que
Faure Eyadema a succédé à son père
Gnassimbé. Le collectif accompagne les
victimes de violations des Droits humains
dans leur démarche et mène un plaidoyer
pour que leurs auteurs soient traduits en
justice et que les recommandations en
matière de Droits de l’homme soient mises
en place. Le Cacit a déposé 72 plaintes,
dont aucune n’a encore été instruite et
produit également des rapports alternatifs
sur la situation des droits de l’homme dans
le pays.

#GénocideDesTutsis 30 ans déjà
Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 215 - juillet-août 2012
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