Survie

Cameroun : des assassins au service de l’État ?

rédigé le 3 septembre 2012 (mis en ligne le 2 novembre 2012) - Odile Tobner

Depuis 25 ans, une
série d’assassinats de
personnalités religieuses
ou civiles ponctue la vie du
pays et défraie la chronique.
Aucun de ces crimes n’est à
ce jour élucidé.

Le 25 octobre 1988, l’abbé Joseph
Mbassi, directeur de L’Effort
camerounais
, journal catholique,
est retrouvé assassiné chez lui à Yaoundé.
Rien n’a été volé.

Le 30 octobre 1988, Me
Ngongo Ottou, avocat réputé, proche du
clergé catholique est agressé chez lui à
Yaoundé. Sportif très entraîné, il se défend et
met en fuite ses agresseurs mais, grièvement
blessé il est transporté à Paris où il décède le
13 novembre. Le pouvoir camerounais s’est
occupé de son évacuation et de ses obsèques.
La famille sera tenue à l’écart. Les auteurs
courent toujours.

On attribue au pouvoir
politique ces deux assassinats. L’abbé
Mbassi enquêtait sur différents trafics.

Le 3 septembre 1991, Mgr Plumey, évêque
français qui a passé toute sa vie au nord
Cameroun et est à la retraite, est retrouvé
chez lui, à Ngaoundéré, nord Cameroun,
étranglé dans son lit. Pas de vol. Son gardien
et son chauffeur sont arrêtés. L’enquête
stagne. Aucun procès n’aura jamais lieu.
Il était en contact avec le chef de l’État
camerounais. On pense aussi qu’il était en
relation avec les services français.

En août
1992 deux religieuses françaises vivant à
Djoum, dans le sud-est du Cameroun, sont
retrouvées dans la brousse près de leur
demeure, affreusement frappées à mort et
violées. Rien n’a été volé chez elles. On
accuse un jeune homme de leur entourage
qui est arrêté. Il sera libéré par la suite mais
cela a permis à Juppé, ministre français des
Affaires étrangères d’affirmer que l’enquête
était close. Aucun procès n’a jamais eu lieu.

La France a gardé le plus complet silence
sur cette affaire. Ah, si elles avaient été
assassinées au Mexique ou au Kamchatka, je
ne vous dis pas le vacarme médiatique ! Fin
92, un ecclésiatique proche des religieuses
françaises – il avait officié à leurs obsèques
en état de très grande émotion –, le père
Amougou, meurt brusquement probablement
empoisonné. On attribue ces assassinats aux
connaissances qu’auraient eues les religieuses
des secrets de la première épouse de Biya,
Jeanne Irène, décédée le 29 juillet 1992 dans
des circonstances étranges, probablement
assassinée par l’entourage de Biya.

Jeanne Irène pressait, paraît-il, Biya de quitter
le pouvoir après le scandale de la faillite de
la Société camerounaise de banque et la
fuite de son directeur général au Canada, où
il accorda, en mai 92, un entretien fracassant
à Célestin Monga, qui mettait en cause le
couple Biya et particulièrement Jeanne
Irène et décrivait les décaissements en leur
faveur.

Le 21 avril 1995, on découvre le
père Engelbert Mveng, jésuite, savant de
renommée internationale, sur son lit, dans
sa résidence près de Yaoundé, étranglé, le
crâne ouvert. Aucune enquête n’est rendue
publique. L’affaire est enterrée. Jean-Marc
Ela, jésuite, écrivain renommé, qui a fait
une allocution en chaire dans sa paroisse sur
les étrangetés de cet assassinat est amené à
fuir au Canada, sous la pression de menaces
à son encontre. Il y est décédé en 2009.
La rumeur attribue cet assassinat aux
rosicruciens du pouvoir dont Mveng
connaissait les pratiques criminelles.

Le 8 janvier 2009. On découvre, chez elle
à Ebolowa, étranglée et violée, Marthe
Moumié, 78 ans, veuve de Félix Moumié,
président de l’UPC assassiné à Genève en
1960 par les services français. Un de ses
proches est arrêté. Aucune suite. L’enquête
est close. Pas de procès.

Tous ces assassinats ont d’évidents point
communs dans leur déroulement et dans
leurs suites. Le pouvoir camerounais
manque d’imagination mais pas d’efficacité
dans l’impunité.

La sinistre série s’est poursuivie le 8 juillet
dernier avec l’assassinat du jeune professeur
français Eric De Putter, poignardé à son
domicile sur le campus de l’université
protestante d’Afrique Centrale, où il
enseignait la théologie depuis deux ans.

Il était à quelques jours de son retour en
France. Un étudiant, pasteur centrafricain,
puis le vice-recteur de l’UPAC, ont été
arrêtés par la suite soupçonnés d’avoir
entretenu de mauvaises relations avec la
victime. Eric De Putter aurait découvert des
faits de corruption. C’est vague dans un pays
où la corruption imprègne l’ensemble de la
société de la base au sommet. Comme pour
le juge Bernard Borrel trouvera-t-on jamais
l’assassin et les causes de son crime ?

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Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 216 - septembre 2012
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