Deux des auteurs de « Noir
Canada » (2008, éditions
Ecosociétés), ouvrage qui
avait suscité les foudres
de la multinationale de l’or
Barrick Gold, publient un
nouveau livre coup de poing
contre l’industrie extractive.
Ils y décrivent en effet
l’origine et les mécanismes
du paradis réglementaire
qu’est le Canada pour la
majorité des pillards du
sous-sol de la planète.
Dans le contexte de concurrence
internationale croissante sur les
ressources minières, les intérêts
canadiens pourraient bien menacer
les intérêts français en Afrique. C’est
en tout cas l’une des contre-vérités
auxquelles donne régulièrement naissance
l’observation du nombre croissant de
contrats avec des entreprises canadiennes
dans ce secteur rentable et hautement
stratégique de l’industrie minière. On
note en particulier cette prééminence
canadienne avec les « juniors », ces
petites entreprises qui œuvrent comme
des poissons pilote, en supportant les
risques liés aux contrats d’exploration
nécessaires à la découverte de nouveaux
gisements, dont l’accès sera ensuite
revendu à prix d’or aux mastodontes du
secteur. Aujourd’hui, notamment grâce à
elles, près des trois-quarts des entreprises
qui ont fait du sous-sol mondial leur fonds
de commerce sont canadiennes.
Mais en quoi ces entreprises sont-elles
finalement « canadiennes » ? Cela se
limite en général à une caractéristique
réglementaire : leur enregistrement à la
Bourse de Toronto. Dépendant alors de la
juridiction canadienne, elles mobilisent des
capitaux qui affluent de toute la planète,
pour financer cette industrie mondiale
depuis le havre réglementaire qu’ont
concocté les gouvernants successifs du
pays.
C’est cette évidence que démontrent
les auteurs de « Paradis sous
terre », en prenant justement pour
point de départ ces gouvernants :
la recension des différents cas de
« pantouflage », cette pratique
consistant pour des personnalités
influentes à naviguer entre les
responsabilités politiques et des
postes haut placés dans l’industrie,
donne la mesure de la collusion
entre le monde politique canadien
et le business minier.
A partir de
là, on les suit dans l’historique
de la construction de ce paradis
réglementaire qu’est le Canada
pour l’industrie extractive : celle-
ci y jouit en effet d’un code minier
particulièrement favorable, tout en
bénéficiant de l’image de marque
positive d’un pays prétendument
soucieux de son environnement
et peu impliqué dans les guerres
d’influence impérialiste qui rava
gent régulièrement les économies
africaines et latino-américaines.
La contradiction de ce mythe
national, par sa mise en parallèle
avec les ravages sociaux et
environnementaux de cette industrie
mortifère et corruptrice, n’est pas sans
rappeler celle entreprise par Survie
depuis tant d’années pour déconstruire
l’image d’une France « pays des Droits
de l’homme » si utile au camouflage des
crimes françafricains.
Mais cet ouvrage est surtout indispensable
pour révéler les mécanismes désormais
transnationaux du pillage, fondés sur
la spécialisation de certains pays ou
territoires comme bases arrière où affluent
les capitaux de toute la planète, France
comprise évidemment. Le « recul des
intérêts français », plus souvent affirmé
que démontré, et en général scandé en
faveur du traditionnel interventionnisme
politique et économique français en
Afrique, connaît ainsi au moins un gros
bémol : les intérêts économiques n’ont
pas de nationalité, et trouvent pleinement
satisfaction dans ces spécialisations
taillées sur mesure par des dirigeants
complices.
Ainsi, de même que le
développement du secteur bancaire
du Luxembourg ou des Îles Vierges
est propice aux banques françaises, la
scandaleuse réalité du secteur extractif
« canadien » est synonyme de profits sans
contraintes pour toute l’industrie minière
mondiale, en toute impunité vis-à-vis
des crimes sociaux et environnementaux
qu’elle commet.
Aussi,comme l’écrivaient déjà les
auteurs de cet ouvrage dans Billets
d’Afrique (n°204, juillet-août 2011),
« cette prédation économique et les
désastres environnementaux et sociaux
qui l’accompagnent ne sont donc pas une
« affaire canadienne », ni surtout « l’affaire
des Canadiens » : ce sont les résultats
d’une internationalisation du pillage et de
la criminalité économique qui, en Afrique,
conjuguent donc désormais les réseaux
d’influence françafricains et ces circuits
économiques canadiens. »
« Paradis sous terre - Comment le Canada est devenu la plaque tournante de l’industrie minière mondiale » Alain Deneault et William Sacher, Coédition Rue de l’Echiquier et Ecosociétés, 15 euros