On peut mesurer les enjeux impériaux qui gravitent autour du franc CFA à l’ampleur des mensonges qui se déploient effrontément dans les discours officiels et à l’importance des omissions, bien plus difficiles à cerner, dans ces mêmes discours.
Célébrer en grande pompe le quarantième anniversaire d’une réalité qui a soixante- dix ans : aucune vieille haridelle, usée sur les planches, n’aurait osé se refaire ainsi une virginité. La palme du mensonge revient sans doute à Pierre Moscovici qui affirme, dans une interview à Jeune Afrique le 4 octobre : « Si on fait le bilan des accords monétaires des zones franc, on constate qu’il n’y a pas de tutelle de la France. Ce sont des monnaies souveraines. » Dans le style plus c’est gros plus ça passe il n’y a que Jeune Afrique pour oser relayer, sans réaction, une telle énormité.
Plus sournois, on trouve, sur le site du ministère de l’Economie tout un dossier consacré à ce « quarantième anniversaire ».
Ce dossier est d’un jésuitisme consommé.Un petit article intitulé « autres exemples de coopération monétaire » tend à faire croire, de façon mensongère, qu’il y aurait une zone sterling ou une zone escudo analogue à la zone franc. Or elles n’ont pas grand chose de commun. Il s’agit, dans ces zones, de simples accords de change fixe. Aucun mot n’est dit sur les nettes différences qui changent tout. Tchoundjang Pouemi, en 1980, distinguait déjà une monnaie coloniale, le franc CFA, et une « monnaie satellite », avec un taux de change fixe, qui nuisait à l’indépendance monétaire des pays mais ne l’obérait pas totalement.
Peut-on comparer d’ailleurs des pays minuscules, comme le Cap-Vert et Sao-Tomé et Principe, dont la monnaie reste arrimée à celle du Portugal – alors que les grands pays lusophones que sont le Mozambique et l’Angola ont depuis longtemps une entière indépendance monétaire – avec les 14 pays africains, dont certains pourraient être de vrais leaders régionaux, toujours assujettis au CFA. Quant à la zone sterling, il y a belle lurette qu’elle n’existe plus, même si les monnaies du Kenya ou du Ghana ont eu quelque temps un taux de change fixe avec la livre dans les années soixante-dix.
Autre mensonge : écrire, dans le chapitre « Histoire », « L’accession des anciennes colonies françaises à l’indépendance est rapidement suivie de la signature d’accords bilatéraux de coopération monétaire entre la France et ses anciennes colonies. Celles-ci demeurent néanmoins libres d’émettre leur propre monnaie, et de quitter ainsi la Zone franc, tout en maintenant une coopération monétaire avec la France ».
On sait, depuis le témoignage de Maurice Robert, chef du service Afrique au SDECE de 1958 à 1968, qui a confirmé le fait puisqu’il en a été l’ordonnateur, que les services français, ont inondé la Guinée, après son indépendance, de faux billets de sa monnaie nouvellement créée pour couler avec succès son économie. Bel avertissement pour ceux qui désireraient profiter de leur « liberté », tel le Togolais Sylvanus Olympio, assassiné au moment où il allait quitter la zone CFA.
Mais le plus gros mensonge, martelé à longueur de discours, est le fait que le franc CFA, tout comme la colonisation qui lui a donné son nom, serait « bienfaisant » pour les pays africains. C’est toute la substance du discours de Ouattara qui est un long panégyrique du CFA, conclu par de vibrants remerciements de l’obligé à la puissance tutélaire. Il omet de préciser qu’il a été un grand artisan de la dévaluation de 1994, chargé de persuader de son bien-fondé tous les présidents africains unanimement hostiles. Il s’agit, dans tous ces discours, d’une inversion totale de la réalité.
Le franc CFA n’existe et n’est bienfaisant que pour la France. Jamais on ne parle de l’intérêt de la France. Pourquoi le cacher ? Il est pourtant multiple : rapatriement des bénéfices de ses entreprises, achat des matières premières dans sa propre monnaie, fixation d’une clientèle captive pour ses productions. Tout cela est très concret.
Les avantages des Africains sont théoriques. La « garantie illimitée » est une pure hypothèse d’école. La France garantit les achats en cas de manque de devises de l’acheteur, mais, comme les devises de l’acheteur sont dans le trésor français, cela ne peut pas se produire. Les Africains paient donc de la perte de leur indépendance un avantage qu’ils se procurent seuls à eux- mêmes.
On a vu, avec la dévaluation de 1994 ce qu’il en est des changes fixes et comment la France s’assoit dessus quand ça lui chante. Tant pis pour les dégâts. Imagine-t-on les Français avec, du jour au lendemain, deux fois moins de pouvoir d’achat ? Ce serait l’explosion sociale. Le motif prétendu, doper les ventes des pays africains, est aussi mystificateur.
Ce serait le cas si les pays africains étaient des pays industrialisés. Leurs produits pourraient concurrencer d’autres produits. Cela protègerait l’emploi. Or ces pays n’exportent pratiquement que des matières premières. Ils n’ont guère de concurrents. Leur intérêt est de vendre leurs matières premières le plus cher possible.
Le discours de Camdessus, au colloque, sur ce qu’il nomme pudiquement « le réalignement monétaire de janvier 1994 », est un chef-d’œuvre d’enfumage par un « expert ». Il assène le seul argument de la « croissance », qui ne mesure que la croissance en effet du volume des matières premières exportées, seule activité économique de ces pays. Ce qui croît ce sont les bénéfices des multinationales mais absolument pas le niveau de vie des populations. C’est la croissance sans développement, phénomène qui affecte principalement les pays africains de la zone franc, et sur lequel on se garde bien de faire le moindre colloque.