Promues à grand renfort de communication, les Assises du développement lancées par Pascal Canfin le 5 novembre à Paris veulent faire croire à un changement de méthode dans le dialogue avec la société civile, cumulant au passage beaucoup d’écueils : objectifs flous, occultation de thèmes sensibles, organisation « descendante ». Sans oublier le rôle ambigu accordé aux ONG dans le processus.
La volonté affichée du gouvernement et de son ministre délégué au Développement de se concerter avec la société civile sur le thème ambigu du « développement », dans le cadre du processus des « Assises du développement » est défendue comme la concrétisation d’une promesse de campagne. Celle de renouer avec la démarche « participative » érigée en 1999 par le gouvernement Jospin, via la création d’un Haut Conseil de la Coopération internationale, instance très rapidement neutralisée dans ses critiques et disparue en 2008. Six mois après l’élection de François Hollande, on peut aussi y voir un vaste attrape-nigaud, tant il ne fait aucun doute que les grandes lignes de la politique gouvernementale sont déjà bien définies et ancrées dans la continuité en matière monétaire, économique ou diplomatique, et les rares propositions réformatrices soigneusement balisées.
« Vous êtes le carburant de ces Assises », déclarait pourtant le ministre délégué aux participants des Assises dans son discours d’ouverture du 5 novembre, « [...] et sans carburant – c’est un écologiste qui vous le dit – [...] le moteur s’arrête ». En écho à la célèbre métaphore d’Omar Bongo sur la relation franco-africaine, la voiture sans chauffeur et sans carburant, on pourrait être déjà tenté d’extrapoler la philosophie de ces Assises : le gouvernement aux commandes, les ONG (remisées au rang de seul combustible) au charbon.
Au vu des premiers documents et compte-rendu produits, ces Assises ont tout l’air d’incarner un dialogue biaisé, destiné à faire converger un maximum d’acteurs vers une destination déjà tracée par la diplomatie française. Cette direction, c’est bien celle du développement économique de la France via la défense de ses intérêts à l’étranger, dans les pays émergents mais aussi encore et toujours en Afrique. Cela implique la poursuite de la domination monétaire française dans la zone CFA, le maintien de relations privilégiées avec des États présentant des intérêts stratégiques pour l’ancienne métropole, quelle que soit la nature de leur régime et la promotion des intérêts des acteurs économiques et financiers tricolores (à l’image des largesses octroyées par les contrats C2D aux entreprises françaises, en Côte d’Ivoire notamment). Autant de sujets absents ou à peine évoqués dans le programme de ces Assises.
Si la notion de « développement » promue par Pascal Canfin a clairement pour objectif d’enterrer la notion de « coopération » et d’inclure plus systématiquement des pays émergents, c’est bien l’Afrique, peu mentionnée dans le discours ministériel, qui concentre encore l’essentiel des flux d’APD et des interventions des ONG. Plus qu’une réforme sémantique, c’est bien une analyse critique des pratiques passées qu’a subies ce continent qu’il conviendrait donc aujourd’hui de mener avant de prétendre proposer une vision nouvelle du développement. On n’enterre pas la Françafrique en la cachant sous le tapis. Pas un mot non plus sur la corruption, les Droits de l’homme, dans le discours, ce qui confirme bien combien l’action du secrétaire d’Etat a été circonscrite aux thèmes les moins sensibles politiquement et les plus adaptés à son curriculum vitae personnel (flux financier, développement durable, dialogue avec la société civile), Laurent Fabius se chargeant des affaires jugées « sérieuses ».
Dans une interview à France Inter, le dimanche 25, Pascal Canfin conservait la même prudence, alignant les phrases creuses sur l’Afrique, sa démographie, sa croissance, son insertion dans la mondialisation (sous- entendant l’intérêt économique que la France pouvait y trouver), n’évoquant que très brièvement la corruption, le rôle des entreprises françaises, et le contenu de l’enterrement de la Françafrique promis.
De ces interventions et du programme des Assises ne ressortent que des incantations sur le développement soutenable et une vision (supposée nouvelle) du développement à défendre après 2015 (date de bilan du processus de promotion des objectifs du Millénaire pour le développement). Plus quelques éléments de cadrage technique sur les thématiques développées au cours des Assises (efficacité de l’aide, financement du développement, relation de l’Etat avec les partenaires du développement, etc.).
La part belle est une nouvelle fois laissée aux flux financiers, au volume et à l’efficacité de l’aide accordée aux pays en développement en bilatéral, multilatéral, via des mécanismes supposés « innovants ». Et, pour point d’orgue, la carotte agitée depuis toujours par les politiciens qui souhaitent amadouer les ONG en période électorale ou juste après les élections.
La part de l’APD transitant par ces dernières, qui regrettent depuis fort longtemps que proportionnellement cette part soit en France la plus faible de tous les pays de l’OCDE. Une promesse de doublement de cette part, réaffirmée par Pascal Canfin dans son interview à France Inter suffirait-elle à faire crier victoire à ces ONG ?
Notons tout de même, parmi les avancées, la concrétisation annoncée de quelques promesses faites aux ONG en matière de taxation financière ou d’encadrement des paradis fiscaux (processus déjà largement entamé sous le gouvernement précédent), maigre concrétisation d’un plaidoyer intense et tenace. Enfin, l’annonce de la volonté de la France de renégocier les Accords de partenariat économiques (APE) imposés par l’Union européenne aux pays africains, la promesse de ne pas intervenir auprès de la Justice dans les affaires de « Biens mal acquis » et la volonté annoncée de ne plus amalgamer les dispositifs de financement du développement avec ceux de contrôle des migrations peuvent également être considérées comme des avancées positives.
Après le fond, la forme. Pas plus reluisante. Le mode d’organisation même de ces Assises prouve leur manque d’ambition. Le processus de « concertation » a été lancé au mois d’octobre, dans le cafouillage le plus complet. Convoquées une semaine avant la date de la première réunion préparatoire, tenue le 23 octobre, les associations, ONG et autres structures « pressenties » et donc « présélectionnées » pour participer au processus n’ont pu que constater la logique prévalant dans cette organisation : calendrier imposé, format des premières rencontres pré-établi jusqu’au minutage des interventions. Plus grave, les cinq thématiques retenues, floues dans leur intitulé, non problématisées, ont été tout bonnement livrées clé en main aux futurs participants, avec peu de possibilités d’en ajouter de nouvelles.
Parmi les autres faiblesses relevées, l’absence de représentants des pays du Sud, hormis ceux choisis par les organisateurs, la mise en place de collèges de représentants avec des quotas, sans oublier la difficulté à savoir qui avait invité ou devait inviter qui, et au final, qui pourrait être représenté. De l’aveu de certains participants, le niveau des interventions au cours de la première session des Assises, le 5 novembre, était, au final, consternant.
Fallait-il s’attendre à autre chose ? Non, certainement, si l’on se fie à la nature du dialogue mené depuis quelques années par l’actuelle majorité présidentielle à l’égard des ONG françaises. En effet, si les campagnes électorales de 2007 et 2012 ont bien produit leur lot de rencontres de concertation entre le PS et la société civile, ces concertations ont rarement été à la hauteur des enjeux, faute d’un réel intérêt des candidats socialistes des deux dernières élections envers les problématiques de coopération internationale.
Hormis quelques échanges suivis d’engagements dénués de tout contenu précis sur la « Françafrique », la corruption ou les Droits de l’homme, les discussions avec les candidats eux-mêmes ont été réduites à leur plus simple expression, trop souvent tournées sur des revendications d’ordre corporatiste comme l’augmentation de l’APD et de sa part consacrée aux ONG.
En atteste la rencontre du 12 mars dernier au siège de campagne du candidat Hollande. Orchestrée par Coordination Sud, la campagne Action mondiale contre la pauvreté et le staff du candidat, la rencontre avait rassemblé un cortège hétéroclite d’ONG, fondations, personnes, ressources et autres erreurs de casting (dont Pierre Bergé, grand argentier de la lutte contre le Sida... et du PS). Une rencontre fourre-tout, brassant un nombre considérable de thématiques, où le candidat et son équipe ont alors pu enfiler les perles et les demi-promesses sans mécontenter grand monde, à part Survie (qui n’a obtenu aucune réponse satisfaisante à son interpellation sur les relations franco-africaines), à défaut de satisfaire qui que ce soit.
Cette formule de rencontre ayant prouvé son inefficacité, elle a été reconduite à la veille du départ de François Hollande à Kinshasa, en octobre dernier. Invitée à la dernière minute à une « réunion de préparation du déplacement présidentiel » rassemblant pêle-mêle des ONG peu concernées par les enjeux réels de ce déplacement, Survie a refusé de participer à cette rencontre.
Ces insuffisances interrogent la nature même du dialogue existant entre les ONG françaises et le gouvernement et posent la question du risque d’instrumentalisation des premières par le second, dans un contexte de fragilité économique, de recherche de visibilité qui font de la légitimité auprès des pouvoirs publics un enjeu en soi.
Comment expliquer, par exemple, l’absence quasi-totale de mobilisation des ONG françaises lors de la nomination du françafricain Dov Zerah à la tête de l’AFD en 2009 ou l’absence de propositions de réforme du rôle et du statut de cette Agence lors de la dernière campagne présidentielle ? Indifférence ou crainte de voir la source de financement se tarir ? Et plus récemment, comment, sans faire de procès d’intention, comprendre la présence aux côtés de François Hollande en octobre à Kinshasa de Jean-Louis Vielajus, le président de Coordination Sud (la principale plateforme d’ONG de développement et d’urgence) ? Cette présence ne risque-t-elle pas d’avoir pour principale fonction de permettre à la communication élyséenne d’insister sur le changement de style avec les président précédents (qui, eux, voyageaient avec des entrepreneurs), comme le soulignait La Lettre du Continent (n°645) ?
Les ONG anglo-saxonnes, de plus en plus présentes en France, ont poussé assez haut le curseur en matière de lobbying, de plaidoyer, de course à l’image. A telle enseigne que des fondations sans base sociale hormis celle du mécénat telles que One ou la Fondation Bill Gates sont désormais des interlocuteurs réguliers des dirigeants français. Elles ont leurs entrées à l’Elysée ou au Quai d’Orsay ou dans les instances de négociations internationales (G8-G20).
Ces ONG ont introduit la culture de la stratégie des petits pas et du plus petit dénominateur commun. De plus en plus, les communiqués « se félicitent de » la moindre petite avancée, qui n’« exigent » plus, ne s’indignent plus, se contentant de dire que le gouvernement « devrait » (traduction du « should » anglais) faire ceci ou cela.
De plus en plus concurrencées et dépendantes des financements publics, les ONG françaises tombent souvent dans la facilité du plaidoyer à tout prix. Elles multiplient les contacts avec les décideurs et cela leur confère un rang, une reconnaissance, attestant auprès des donateurs du sérieux des démarches accomplies.
L’aseptisation du ton, l’annihilation de la capacité de révolte sont des risques palpables quand, tout autant que la dépendance financière vis-à-vis des institutions et la quête du Graal du doublement de l’APD, les proximités partisanes constatées entre certains dirigeants et les responsables du PS, émoussent parfois les critiques. Sans aller jusqu’à parler de connivence, il est indéniable que l’élection d’une majorité socialiste et écologiste a multiplié les passerelles entre le monde des ONG et celui des pouvoirs publics, ce qui n’est pas condamnable a priori, pourvu que chacun sache rester à sa place et conserver son indépendance.
Ces constats ne sont pas nouveaux et chaque démarche de concertation ou de médiation avec la société civile initiée par les pouvoirs publics engendre son lot de réticences et de méfiance face à une possible instrumentalisation. Le Grenelle de l’environnement a eu un effet dévastateur à cet égard et le « Grand débat sur l’énergie » organisé au mois de novembre 2012 par le ministère de l’Environnement a suscité des prises de position hostiles (celle de Greenpeace en particulier).
Au terme de cette analyse, il apparaît que la seule vertu de ces Assises est peut-être de proposer la possibilité d’un cadre de confrontation entre institutions et acteurs issus de la société civile, donnant l’occasion aux seconds de réinvestir le champ revendicatif et de réfléchir à leur positionnement vis à vis des pouvoirs publics. A défaut de donner une place claire à la société civile dans un processus toujours attendu de redéfinition de la politique de coopération de la France.