Survie

Assises du développement : une concertation en trompe-l’œil

rédigé le 4 décembre 2012 (mis en ligne le 11 décembre 2012) - Fabrice Tarrit

Promues à grand renfort
de communication, les
Assises du développement
lancées par Pascal Canfin le
5 novembre à Paris veulent
faire croire à un changement
de méthode dans le
dialogue avec la société
civile, cumulant au passage
beaucoup d’écueils : objectifs
flous, occultation de thèmes
sensibles, organisation
« descendante ». Sans oublier
le rôle ambigu accordé aux
ONG dans le processus.

La volonté affichée du gouvernement
et de son ministre délégué au
Développement de se concerter
avec la société civile sur le thème ambigu
du « développement », dans le cadre du
processus des « Assises du développement »
est défendue comme la concrétisation
d’une promesse de campagne. Celle de
renouer avec la démarche « participative »
érigée en 1999 par le gouvernement Jospin,
via la création d’un Haut Conseil de la
Coopération internationale, instance très
rapidement neutralisée dans ses critiques et
disparue en 2008. Six mois après l’élection
de François Hollande, on peut aussi y voir
un vaste attrape-nigaud, tant il ne fait aucun
doute que les grandes lignes de la politique
gouvernementale sont déjà bien définies
et ancrées dans la continuité en matière
monétaire, économique ou diplomatique,
et les rares propositions réformatrices
soigneusement balisées.

« Vous êtes le carburant de ces Assises »,
déclarait pourtant le ministre délégué aux
participants des Assises dans son discours
d’ouverture du 5 novembre, « [...] et sans
carburant – c’est un écologiste qui vous
le dit – [...] le moteur s’arrête
 ». En écho
à la célèbre métaphore d’Omar Bongo sur
la relation franco-africaine, la voiture sans
chauffeur et sans carburant, on pourrait
être déjà tenté d’extrapoler la philosophie
de ces Assises : le gouvernement aux
commandes, les ONG (remisées au rang
de seul combustible) au charbon.

Au vu des premiers documents et compte-rendu produits, ces Assises ont tout l’air
d’incarner un dialogue biaisé, destiné à
faire converger un maximum d’acteurs
vers une destination déjà tracée par la
diplomatie française. Cette direction, c’est
bien celle du développement économique
de la France via la défense de ses intérêts
à l’étranger, dans les pays émergents mais
aussi encore et toujours en Afrique. Cela
implique la poursuite de la domination
monétaire française dans la zone CFA, le
maintien de relations privilégiées avec des
États présentant des intérêts stratégiques
pour l’ancienne métropole, quelle que soit
la nature de leur régime et la promotion
des intérêts des acteurs économiques
et financiers tricolores (à l’image des
largesses octroyées par les contrats C2D
aux entreprises françaises, en Côte d’Ivoire
notamment). Autant de sujets absents ou à
peine évoqués dans le programme de ces
Assises.

La relation avec l’Afrique occultée

Si la notion de « développement » promue
par Pascal Canfin a clairement pour objectif
d’enterrer la notion de « coopération »
et d’inclure plus systématiquement des
pays émergents, c’est bien l’Afrique, peu
mentionnée dans le discours ministériel,
qui concentre encore l’essentiel des flux
d’APD et des interventions des ONG. Plus
qu’une réforme sémantique, c’est bien
une analyse critique des pratiques passées
qu’a subies ce continent qu’il conviendrait
donc aujourd’hui de mener avant de
prétendre proposer une vision nouvelle
du développement. On n’enterre pas la
Françafrique en la cachant sous le tapis.
Pas un mot non plus sur la corruption,
les Droits de l’homme, dans le discours,
ce qui confirme bien combien l’action
du secrétaire d’Etat a été circonscrite aux
thèmes les moins sensibles politiquement
et les plus adaptés à son curriculum vitae
personnel (flux financier, développement
durable, dialogue avec la société civile),
Laurent Fabius se chargeant des affaires
jugées « sérieuses ».

Dans une interview à France Inter, le
dimanche 25, Pascal Canfin conservait la
même prudence, alignant les phrases creuses
sur l’Afrique, sa démographie, sa croissance,
son insertion dans la mondialisation (sous-
entendant l’intérêt économique que la
France pouvait y trouver), n’évoquant que
très brièvement la corruption, le rôle des
entreprises françaises, et le contenu de
l’enterrement de la Françafrique promis.

Lots de consolation

De ces interventions et du programme des
Assises ne ressortent que des incantations sur
le développement soutenable et une vision
(supposée nouvelle) du développement
à défendre après 2015 (date de bilan du
processus de promotion des objectifs du
Millénaire pour le développement). Plus
quelques éléments de cadrage technique sur
les thématiques développées au cours des
Assises (efficacité de l’aide, financement
du développement, relation de l’Etat avec
les partenaires du développement, etc.).

La
part belle est une nouvelle fois laissée aux
flux financiers, au volume et à l’efficacité de
l’aide accordée aux pays en développement
en bilatéral, multilatéral, via des mécanismes
supposés « innovants ». Et, pour point
d’orgue, la carotte agitée depuis toujours
par les politiciens qui souhaitent amadouer
les ONG en période électorale ou juste après
les élections.

La part de l’APD transitant
par ces dernières, qui regrettent depuis fort
longtemps que proportionnellement cette part
soit en France la plus faible de tous les pays
de l’OCDE. Une promesse de doublement
de cette part, réaffirmée par Pascal Canfin
dans son interview à France Inter suffirait-elle à faire crier victoire à ces ONG ?

Notons tout de même, parmi les avancées,
la concrétisation annoncée de quelques
promesses faites aux ONG en matière de
taxation financière ou d’encadrement des
paradis fiscaux (processus déjà largement
entamé sous le gouvernement précédent),
maigre concrétisation d’un plaidoyer intense
et tenace. Enfin, l’annonce de la volonté
de la France de renégocier les Accords de
partenariat économiques (APE) imposés
par l’Union européenne aux pays africains,
la promesse de ne pas intervenir auprès de
la Justice dans les affaires de « Biens mal
acquis » et la volonté annoncée de ne plus
amalgamer les dispositifs de financement
du développement avec ceux de contrôle
des migrations peuvent également être
considérées comme des avancées positives.

Un processus descendant

Après le fond, la forme. Pas plus reluisante.
Le mode d’organisation même de ces
Assises prouve leur manque d’ambition. Le
processus de « concertation » a été lancé au
mois d’octobre, dans le cafouillage le plus
complet. Convoquées une semaine avant
la date de la première réunion préparatoire,
tenue le 23 octobre, les associations, ONG
et autres structures « pressenties » et
donc « présélectionnées » pour participer
au processus n’ont pu que constater la
logique prévalant dans cette organisation :
calendrier imposé, format des premières
rencontres pré-établi jusqu’au minutage
des interventions. Plus grave, les cinq
thématiques retenues, floues dans leur
intitulé, non problématisées, ont été tout
bonnement livrées clé en main aux futurs
participants, avec peu de possibilités d’en
ajouter de nouvelles.

Parmi les autres faiblesses relevées,
l’absence de représentants des pays
du Sud, hormis ceux choisis par les
organisateurs, la mise en place de collèges
de représentants avec des quotas, sans
oublier la difficulté à savoir qui avait
invité ou devait inviter qui, et au final,
qui pourrait être représenté. De l’aveu
de certains participants, le niveau des
interventions au cours de la première
session des Assises, le 5 novembre, était,
au final, consternant.

Continuité dans la forme

Fallait-il s’attendre à autre chose ? Non,
certainement, si l’on se fie à la nature du
dialogue mené depuis quelques années
par l’actuelle majorité présidentielle à
l’égard des ONG françaises. En effet,
si les campagnes électorales de 2007
et 2012 ont bien produit leur lot de
rencontres de concertation entre le PS
et la société civile, ces concertations
ont rarement été à la hauteur des
enjeux, faute d’un réel intérêt des
candidats socialistes des deux dernières
élections envers les problématiques de
coopération internationale.

Hormis quelques échanges suivis
d’engagements dénués de tout contenu
précis sur la « Françafrique », la
corruption ou les Droits de l’homme,
les discussions avec les candidats eux-mêmes ont été réduites à leur plus simple
expression, trop souvent tournées sur
des revendications d’ordre corporatiste
comme l’augmentation de l’APD et de
sa part consacrée aux ONG.

En atteste
la rencontre du 12 mars dernier au siège
de campagne du candidat Hollande.
Orchestrée par Coordination Sud,
la campagne Action mondiale contre
la pauvreté et le staff du candidat, la
rencontre avait rassemblé un cortège
hétéroclite d’ONG, fondations, per­sonnes, ressources et autres erreurs
de casting (dont Pierre Bergé, grand
argentier de la lutte contre le Sida... et du
PS). Une rencontre fourre-tout, brassant
un nombre considérable de thématiques,
où le candidat et son équipe ont alors pu
enfiler les perles et les demi-promesses
sans mécontenter grand monde, à part
Survie (qui n’a obtenu aucune réponse
satisfaisante à son interpellation sur les
relations franco-africaines), à défaut de
satisfaire qui que ce soit.

Cette formule de rencontre ayant prouvé
son inefficacité, elle a été reconduite à
la veille du départ de François Hollande
à Kinshasa, en octobre dernier.
Invitée à la dernière minute à une
« réunion de préparation du déplacement
présidentiel
 » rassemblant pêle-mêle
des ONG peu concernées par les enjeux
réels de ce déplacement, Survie a refusé
de participer à cette rencontre.

Les ONG, dupes ou complices ?

Ces insuffisances interrogent la nature
même du dialogue existant entre les ONG
françaises et le gouvernement et posent
la question du risque d’instru­men­talisation des premières par le second,
dans un contexte de fragilité économique,
de recherche de visibilité qui font de la
légitimité auprès des pouvoirs publics
un enjeu en soi.

Comment expliquer,
par exemple, l’absence quasi-totale de
mobilisation des ONG françaises lors
de la nomination du françafricain Dov
Zerah à la tête de l’AFD en 2009 ou
l’absence de propositions de réforme
du rôle et du statut de cette Agence lors
de la dernière campagne présidentielle ?
Indifférence ou crainte de voir la
source de financement se tarir ? Et
plus récemment, comment, sans faire
de procès d’intention, comprendre la
présence aux côtés de François Hollande
en octobre à Kinshasa de Jean-Louis
Vielajus, le président de Coordination
Sud (la principale plateforme d’ONG
de développement et d’urgence) ? Cette
présence ne risque-t-elle pas d’avoir
pour principale fonction de permettre à
la communication élyséenne d’insister
sur le changement de style avec
les président précédents (qui, eux,
voyageaient avec des entrepreneurs),
comme le soulignait La Lettre du
Continent (n°645) ?

Les ONG anglo-saxonnes, de plus en plus présentes en
France, ont poussé assez haut le curseur
en matière de lobbying, de plaidoyer,
de course à l’image. A telle enseigne
que des fondations sans base sociale
hormis celle du mécénat telles que
One ou la Fondation Bill Gates sont
désormais des interlocuteurs réguliers
des dirigeants français. Elles ont leurs
entrées à l’Elysée ou au Quai d’Orsay
ou dans les instances de négociations
internationales (G8-G20).

Critiques émoussées

Ces ONG ont introduit la culture de la
stratégie des petits pas et du plus petit
dénominateur commun. De plus en plus,
les communiqués « se félicitent de » la
moindre petite avancée, qui n’« exigent »
plus, ne s’indignent plus, se contentant
de dire que le gouvernement « devrait »
(traduction du « should » anglais) faire
ceci ou cela.

De plus en plus concurrencées et
dépendantes des financements publics,
les ONG françaises tombent souvent
dans la facilité du plaidoyer à tout prix.
Elles multiplient les contacts avec les
décideurs et cela leur confère un rang,
une reconnaissance, attestant auprès
des donateurs du sérieux des démarches
accomplies.

L’aseptisation du ton, l’annihilation de
la capacité de révolte sont des risques
palpables quand, tout autant que la
dépendance financière vis-à-vis des
institutions et la quête du Graal du
doublement de l’APD, les proximités
partisanes constatées entre certains
diri­geants et les responsables du PS,
émoussent parfois les critiques. Sans
aller jusqu’à parler de connivence, il est
indéniable que l’élection d’une majorité
socialiste et écologiste a multiplié les
passerelles entre le monde des ONG et
celui des pouvoirs publics, ce qui n’est
pas condamnable a priori, pourvu que
chacun sache rester à sa place et conserver
son indépendance.

Ces constats ne sont pas nouveaux et
chaque démarche de concertation ou de
médiation avec la société civile initiée
par les pouvoirs publics engendre son
lot de réticences et de méfiance face à
une possible instrumentalisation. Le
Grenelle de l’environnement a eu un
effet dévastateur à cet égard et le « Grand
débat sur l’énergie
 » organisé au mois
de novembre 2012 par le ministère de
l’Environnement a suscité des prises de
position hostiles (celle de Greenpeace en
particulier
).

Au terme de cette analyse, il
apparaît que la seule vertu de ces Assises
est peut-être de proposer la possibilité d’un
cadre de confrontation entre institutions et
acteurs issus de la société civile, donnant
l’occasion aux seconds de réinvestir le
champ revendicatif et de réfléchir à leur
positionnement vis à vis des pouvoirs
publics. A défaut de donner une place
claire à la société civile dans un processus
toujours attendu de redéfinition de la
politique de coopération de la France.

Soutenez l'action en justice contre Total !
Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 219 - décembre 2012
Les articles du mensuel sont mis en ligne avec du délai. Pour recevoir l'intégralité des articles publiés chaque mois, abonnez-vous
a lire aussi