Survie

“Je crains le pire pour mon pays”

rédigé le 4 décembre 2012 (mis en ligne le 5 février 2013) - Raphaël de Benito

Lamine est le pseudo
d’un journaliste ivoirien
réfugié en France depuis
quelques mois. Il a dû fuir
précipitemment son pays
après avoir réalisé une
enquête environnementale
qui a eu un énorme
retentissement auprès
des populations. Au grand
dam des autorités. Pour
des raisons évidentes
de sécurité, nous avons
choisi de taire son
identité et tous les détails
susceptibles de l’identifier,
ses proches résidant en
Côte d’Ivoire.

Dans quelle circonstance avez-
vous fui la Côte d’Ivoire ?

J’ai réalisé et diffusé un
reportage environnemental. J’ai voulu
à travers ce reportage faire entendre la
voix d’une couche sociale vulnérable
dans la société ivoirienne. Cette frange
de la population manque de tout et se
sent exclue. Ce qui naturellement,
réveille en elle un sentiment de
révolte et de colère contre l’autorité.

Les autorités ivoiriennes ont considéré
mon reportage comme incitatif à la
violence et à la désobéissance. Pour
exprimer leur mécontentement, mon
lieu de travail a été saccagé. J’ai été
ensuite sommé de me rendre à la police
judiciaire. Une convocation-ordre que
j’ai refusée, connaissant les méthodes
d’interrogatoires barbares de la police
judiciaire ivoirienne. J’ai pu fuir vers
la France où j’ai déposé une demande
d’asile.

Quel est le sort fait aux journalistes
convoqués par la police ?

Torture et emprisonnement très long.
Pis pour certains sans possibilité de
jugement. J’exhorte la communauté
internationale à faire pression sur le
pouvoir ivoirien pour qu’il libère mes
confrères qui se trouvent depuis plus
d’un an derrière les murs de la maison
d’arrêt et de correction d’Abidjan
(Maca). La liberté d’expression est
universelle.

Quelle est la situation sociale
aujourd’hui ?

Très difficile. Les prix sur les marchés
flambent, le panier de la ménagère
est plus que vide au sens propre du
terme. L’Ivoirien n’a plus de pouvoir
d’achat. « C’est mal dur » comme on le
dit chez nous. En Côte d’Ivoire, on ne
vit plus, on survit. Cette situation de
précarité généralisée va de pair avec
la question sécuritaire. Les attaques à
répétition, les exécutions sommaires,
les règlements de comptes entre les
anciens rebelles et les enlèvements
sèment le doute chez les investisseurs.

Le blocage est total même si le pouvoir
ivoirien tente de prouver le contraire.
Ce qui est certain, c’est qu’Alassanne
Monsieur Ouattara n’a aucun contrôle
sur son armée.

Plusieurs mois après l’installation de
Ouattara, la situation sécuritaire n’est
toujours pas maîtrisée. Y a t-il un
problème avec les anciens com’zones
installés à Abdijan ?

Les com-zones, vous faites allusion
aux anciens chefs rebelles ... Oui, ils
veulent leur part du gâteau. Le partage
vient de commencer : trois d’entre
eux viennent d’être nommés préfets
de régions. Ne cherchons surtout pas
à savoir s’ils ont le niveau intellectuel
ni même les compétences. Car,
Ouattara en a décidé ainsi.

La Côte
d’Ivoire n’est pas encore sortie de la
crise. La réconciliation est en panne,
les Ivoiriens ne se parlent plus. Les
frustrations de part et d’autre se font
de plus en plus sentir. Si rien n’est fait
très rapidement, je crains le pire pour
mon pays.

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Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 219 - décembre 2012
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