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TOGO : Coopération militaire et discrétion diplomatique

rédigé le 1er août 2019 (mis en ligne le 2 avril 2020) - Emma Cailleau

Ce 14 juillet de futurs officiers africains, dont des soldats togolais formés en France, défilaient sur les Champs Élysées. En écho, à Lomé, l’ambassadeur de France Marc Vizy soulignait dans son discours, lors de la réception traditionnelle de la fête nationale, le soutien français aux forces armées togolaises et le professionnalisme de celles-ci. Deux scènes en miroir qui soulignent l’importance du militaire dans les relations bilatérales.

En 2017, Faure Gnassingbé, porté au pouvoir par l’armée après la mort de son père en 2005, se soucie de son maintien à la tête du pays et, face à la contestation croissante de la Constitution qui ne limite pas le nombre de mandats, annonce une réforme qui lui permettrait tout de même d’être candidat en 2020. Si des manifestations avaient déjà eu lieu auparavant, notamment en 2015 au moment de l’élection présidentielle, les mobilisations dans tout le pays prennent une nouvelle ampleur dès août 2017. En face, l’armée, pilier fondamental du pouvoir, répond violemment. Malgré les répressions et interdictions, les manifestations perdurent à l’automne 2017 et reprennent fin 2018 à l’approche des élections législatives. Aucun bilan précis n’a été fait de façon indépendante, mais en deux ans, plus d’une vingtaine de personnes auraient été tuées par l’armée selon Amnesty international, dont un jeune adolescent en décembre 2018.

Pour résoudre cette crise, une médiation mise en place par les pays ouest-africains regroupés au sein de la CEDEAO aboutit à une feuille de route non contraignante. Des élections législatives boycottées par l’opposition ont alors lieu précipitamment en décembre 2018 avant le vote d’une réforme constitutionnelle par le parlement en mai dernier, qui laisse libre cours à deux nouveaux mandats pour Faure Eyadema.

Complaisances « démocratiques »

Si l’écart entre la volonté du peuple et le passage en force des élections législatives puis du vote de la réforme est manifeste, le soutien français reste constant, mais se fait discret. Ignorant les contestations massives, l’ambassadeur de France a salué « les réformes » (au pluriel) comme si elles contribuaient à la « démocratie » [1] . Surtout, l’appui français s’opère via un surprenant « groupe des cinq », appelé aussi plus récemment G5 Togo qui rassemble la France, l’Allemagne, l’Union européenne, les Etats-Unis et les Nations Unies. Cette coordination diplomatique émet des avis et incitations sur la situation politique. Ainsi, en mars 2018, une déclaration conjointe de cette coordination appelle les parties à mieux coopérer dans le cadre de la médiation initiée par la CEDEAO. Rebelote en novembre. Mais aucun commentaire n’est fait sur les interdictions de manifestations ou la violence de la répression, comme en avril 2019 [2]. Ce soutien discret du bloc des 5 contribue à verrouiller la situation.

De même, l’Union européenne se complaît dans ce simulacre de perspectives démocratiques. Alors qu’un débat était prévu au parlement en janvier, celui-ci a été ajourné et reporté sine die, au prétexte d’une mission Afrique Caraïbes Pacifique (ACP) et Union Européenne qui permettrait de mieux évaluer la situation. Mais cette mission d’évaluation, menée par Louis Michel, député européen, ancien commissaire au développement, artisan de la reprise de la coopération Union européenne/Togo en 2007 et considéré proche de Gnassingbé (cf. Billets n°212, avril 2012), était d’emblée biaisée. Le ministre des Affaires étrangères du Togo, Robert Dussey, qui dit ne pas voir « comment [Faure Gnassingbé] ne peut ne pas être candidat » à sa propre succession (RFI, 25/07), est le négociateur pour les pays ACP d’un nouvel accord commercial avec l’Union européenne : il promeut à cette occasion la suppression de « l’article 96 », qui permettait dans le précédent accord de conditionner, comme en 2004 avec le Togo, la coopération de développement européenne en cas de graves violations des droits humains.

Une coopération militaire ancrée dans la durée

Côté français, malgré les violences, le maintien de la coopération militaire et policière n’a pas été remis en question. Des coopérants, conseillers techniques, sont pourtant incorporés dans l’armée togolaise et des formations au profit des forces armées ont lieu régulièrement. De plus, du matériel de répression de fabrication française a été utilisé par les forces de l’ordre togolaises contre des manifestants en 2017 [3]. La place qu’occupe de plus en plus la question terroriste et sécuritaire dans la coopération bilatérale est inquiétante. À la suite d’une « importante séquence de coopération de défense » [4] en janvier 2019, qui couvrait différents domaines (formation de formateurs, tirs de combat, maintien de la paix…), l’ambassade de France soulignait « l’intérêt de ces formations pour une meilleure connaissance mutuelle entre les armées françaises, togolaises et de la sous-région appelées à opérer ensemble dans les opérations de maintien de la paix ou la lutte contre le terrorisme. » La coopération tend à s’inscrire dans l’optique de la lutte contre le terrorisme menée par la France et dans la logique de formation de forces alliées, comme des forces supplétives.

Depuis la guerre au Mali enclenchée en 2013 par la France, les zones d’insécurité avec la montée du terrorisme ne cessent de s’étendre dans la sous-région, justifiant le renforcement de la militarisation, le déploiement de l’armée française et le soutien à des régimes répressifs, avec comme conséquence de verrouiller davantage les sociétés et les espoirs des peuples, et d’alimenter le terreau propice à la montée des extrémismes. Ainsi Faure Gnassingbé s’est félicité de l’action des forces togolaises sur des opérations anti-terroristes et a annoncé « une nouvelle loi sur la sécurité intérieure » (AFP, 27/04). Alors qu’une loi controversée sur la cybersécurité, contenant des dispositions vagues sur le terrorisme (Amnesty International, 13/12/18) vient d’être votée et que le régime se durcit, cette perspective est peu rassurante. Comme dans d’autres pays, la menace terroriste risque de devenir un argument pour la stabilité d’un dictateur.

Avec la rhétorique de la guerre contre le terrorisme, la coopération militaire française, déjà bien ancrée dans l’histoire du Togo, a encore de beaux jours devant elle, en dépit des violations des droits humains.

[1« Marc Vizy : ’Les réformes vont dans le bon sens’ », republicoftogo.com, 13/05/2019

[2« Interdiction déguisée des manifestations au Togo : Le Silence Complice du "Groupe des 5" », Fraternité No.311 du 17 avril 2019

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