Survie

AFD : agence française du dépouillement foncier

rédigé le 7 janvier 2013 (mis en ligne le 5 février 2013) - Yanis Thomas

A travers l’African Agriculture
Fund (AAF), l’Agence
française de développement
(AFD) et PROPARCO, sa
filiale pour le développement
du secteur privé, investissent
dans l’accaparement des
terres en Afrique sub-saharienne.

En avril 2009, Alain Joyandet, alors
secrétaire d’Etat à la Coopération
signe avec Donald Kaberuka,
le président de la Banque africaine de
développement, un accord prévoyant la
constitution d’un Fonds d’Investissement
pour l’agriculture en Afrique
(African
Agriculture Fund en anglais) constitué
de fonds publics mais aussi privés [1]. La
mise en place de ce fonds s’inscrit dans
la dynamique du Partenariat mondial
pour la sécurité alimentaire, initié par la
France à la suite de la crise alimentaire
de 2008.

C’est la façon que la France
a choisi pour s’engager concrètement
pour lutter contre la faim dans le monde,
officiellement en venant « en aide
aux entreprises agro-industrielles et
aux coopératives agricoles africaines
respectueuses des paysans modestes et
de l’environnement
 ».

Le même Joyandet
avait pourtant déclaré quelques mois plus
tôt, le 8 janvier 2009 devant les élèves
de l’Ecole polytechnique à Palaiseau,
que « le Fonds d’investissement dans
l’agriculture et l’agro-industrie réunira des investisseurs publics et
privés, recherchant soit une rentabilité
financière, soit une garantie de livraison
de produits alimentaires
 ». Pas vraiment
altruiste ni désintéressé, comme objectif !

D’autant plus que les promoteurs de ce
fonds, l’AFD en tête, ont, selon le réputé
cabinet d’avocats français Gide Loyrette
Nouel, « structuré leurs participations
en un mécanisme visant à supporter le
risque des premières pertes qui fournira
aux investisseurs privés d’AAF un
rendement accéléré
 ». Encore une fois,
on socialise les pertes mais les gains sont
privés !

Assaut foncier depuis un paradis fiscal

En guise de lutte contre la faim, ce fonds
semble plutôt satisfaire l’appétit des
financiers. En effet, pour le mettre en
place, l’AFD et les autres institutions
financières de développement ont
fait appel à Phatisa, un gestionnaire
de fonds enregistré à l’île Maurice,
un paradis fiscal notoire. Le premier
investissement de l’AAF a eu lieu en
2011 au Sierra Leone, à travers une
prise de participation de dix millions
de dollars dans la firme Goldtree,
elle aussi basée à l’île Maurice. Selon
l’ONG Grain, spécialisée dans l’étude
du phénomène d’accaparement des
terres, Goldtree possède au moins
5 200 hectares dans la région de
Kailahun, à l’Est du pays, dédiés à
la culture du palmier à huile.

Début
décembre 2012, on a appris que l’AAF
s’apprêtait à prendre une participation
de 10,5 millions de dollars dans Feronia
Inc., prenant au passage le contrôle de
près de 20% de cette entreprise cotée à
la Bourse de Toronto. Celle-ci a racheté
en 2009 à la firme américaine Unilever
les parcelles de Plantations et Huileries
du Congo (République démocratique
du Congo). Cette entreprise, fondée en
1911, possède une incroyable quantité
de terres, héritée de la colonisation
belge : 107 892 hectares [2] ! A l’heure
actuelle, 15 000 hectares sont cultivés
en palmiers à huile (province de
l’Equateur et Province orientale) et
500 en riz (province du Bas-Congo)
mais la compagnie compte faire
passer à terme ses surfaces cultivées
en palmiers à huile à 70 000 ha et ses
surfaces dédiées aux autres productions
agricole à 100 000 hectares. Soit doubler
la surface des terres héritées du temps
béni des colonies...

Faites comme je dis, pas comme je fais

Le document de positionnement publié
en juin 2010 par le ministère français des
Affaires étrangères sur la question des
acquisitions de terres à grande échelle,
mais aussi les déclarations du nouveau
ministre délégué au Développement
Pascal Canfin, ont beau jeu de faire
passer la diplomatie française pour une
force de régulation et d’encadrement du
processus d’accaparement des terres.

Car face aux discours, les faits sont là :
l’AFD, institution bancaire sous tutelle
publique, soutient le dépouillement
foncier du continent africain via l’AFF,
un fonds basé dans un paradis fiscal.

[1Des fonds ont entre autre été apportés par
l’AFD, PROPARCO, la Banque Africaine
de Développement, l’Agence espagnole
de coopération Internationale pour le
Développement, la Development Bank of
Southern, la Banque Ouest Africaine de
Développement, Banque de Développement et
d’Investissement de la Communauté économique
des Etats de l’Afrique de l’Ouest.

[2Sur son site internet, Feronia se vante même
du fait que cela représente la superficie cumulée
de Paris, Manhattan, San Francisco, Bruxelles,
Amsterdam, Zurich, Genève, Lisbonne, Dublin
et Montevideo !

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Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 220 - janvier 2013
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