Survie

Cameroun, les fruits pourris de la « méthode Hollande »

rédigé le 5 mars 2013 (mis en ligne le 13 mars 2013) - Alice Primo

Avec l’enlèvement de sept
français, le grand public
redécouvre l’existence
du Cameroun, jusque-là
havre de paix discret de la
Françafrique. L’autocrate
en place depuis plus de
trente ans vient pourtant
d’avoir droit à sa réception
à l’Elysée, et parie déjà sur
la visite de Hollande au
printemps.

Le 30 janvier, François Hollande
recevait à l’Élysée Paul Biya,
président-dictateur à la tête du
Cameroun depuis plus de trente ans,
alors même que celui-ci s’apprête à
organiser des élections municipales,
législatives et sénatoriales cette année.

Comme c’est désormais l’habitude
à chaque rencontre d’un potentat
africain depuis le 6 mai 2012, l’Élysée
s’est aussitôt fendu d’un communiqué
mentionnant entre autres « les principes
de dialogue et de franchise qui doivent
guider les relations entre la France
et le Cameroun
 », la sacro-sainte
« coopération », le « développement
économique
 » et un échange « sur
les questions de gouvernance, le
processus électoral au Cameroun, la
protection des Droits de l’homme et la
situation des prisons
 » – une hypocrisie
à laquelle l’Élysée ne s’adonne pas
encore quand il s’agit de la Russie de
Poutine, d’ailleurs.

Protection des droits d’un homme

La « situation des prisons » (à propos
de laquelle la France est pourtant
mal placée pour donner des leçons,
même si celle du Cameroun est
encore
plus
cauchemardesque...)
était en fait à l’ordre du jour pour
évoquer plus spécifiquement le cas de
Thierry Michel Atangana.

Cet homme
d’affaires camerounais naturalisé fran­çais est derrière les barreaux depuis
quinze ans suite à un procès qui,
comme toute affaire de corruption
au Cameroun, relève du règlement
de compte politique. Une avancée
obtenue par François Hollande : mi-février, son homologue camerounais
a demandé l’ouverture d’une nouvelle
enquête. Une grâce présidentielle de
Biya, trop attendue par les observateurs
camerounais, aurait été l’aveu public
d’une trop grande soumission aux
desiderata français.

Mais les autres
prisonniers, innombrables victimes de
l’arbitraire sécuritaire ou de complots
politiques, peuvent continuer de
croupir en tôle. Même les cas les plus
emblématiques ne font pas sourciller
le pouvoir français. Ainsi, pas un mot
bien sûr pour l’ex-maire de Penja, Paul
Eric Kingué, victime d’une terrible
cabale judiciaire pour s’être opposé aux
toutes puissantes entreprises françaises
sur sa commune. Pas un mot non plus
pour Enoh Meyomesse, écrivain et
homme politique condamné à sept ans
de prison par un tribunal militaire sous
un prétexte farfelu, pourtant lauréat
en janvier du « Oxfam Novib / PEN
Award
 », décerné chaque année à des
écrivains et journalistes persécutés
pour leur travail. Leur cas n’intéresse
pas le nouveau pouvoir français.

Trouble à l’ordre privé du régime

Pour ce qui est de la « gouvernance » (même
pas affublée ici de l’adjectif « bonne »), du
« processus électoral » et de « la protection
des Droits de l’homme
 », qu’ils aient ou non
effectivement été évoqués par Hollande,
Paul Biya a montré depuis à quel point il
s’en moque. Dans le mois qui a suivi, il a en
effet rappelé à son opposition que lui seul
fixe les règles.

A l’université de Buea, en zone anglophone,
des étudiants en grève depuis le 6 février
n’ont eu pour réponse qu’une violente
répression, notamment contre les leaders du
syndicat étudiant local, l’UBSU, University
of Buea Students’ Union. L’Association
pour la défense des droits des étudiants
du Cameroun (ADDEC), organisation
emblématique des luttes sociales dans le
pays, a dénoncé publiquement « des actes
de tortures et les disparitions d’étudiants
 ».

D’après l’UBSU, au moins cinq étudiants
ont été arrêtés. Le pouvoir, sur les dents,
durcit le ton depuis des mois et interdit toute
expression réellement critique, et l’échange
avec Hollande n’y change rien. Ainsi, le
31 janvier, la « Grande Palabre » prévue
sur le thème « un printemps des libertés
est-il possible sous les tropiques d’Afrique
centrale ?
 » a été interdite, tout comme
la conférence de presse du 22 février sur
l’emprisonnement de Kingue et de Enoh,
justement.

Dernier exemple en date, mardi
26 février. Alors que l’opposition organise
un rassemblement à Douala en toute légalité
pour dénoncer l’imposture d’ELECAM,
l’instance faussement indépendante qui doit
superviser l’organisation des élections, la
police embarque deux leaders de l’Union
des populations du Cameroun (UPC), le parti
à l’initiative de la manifestation. Placés en
garde à vue pour « trouble à l’ordre public »,
ils sont relâchés le lendemain contre « caution
morale
 »... mais convoqués au tribunal le 4
mars, pour un simulacre de procès qui leur
vaudra sans doute une amende susceptible
de dissuader les militants camerounais
d’exprimer leurs souhaits de changement,
surtout si elle est suffisamment salée pour les
envoyer en prison pour cause d’insolvabilité.

Un Sénat de dinosaures avant l’heure

Le lendemain, alors que ces deux opposants
sont encore en garde à vue, le gouvernement
annonce que les premières élections
sénatoriales du Cameroun auront lieu le
14 avril. La constitution de 1996 imposait
théoriquement l’existence de cette haute
chambre du Parlement, dont le président
doit assumer l’intérim en cas de vacance du
pouvoir : un rôle central qui justifiait sans
doute que Biya repousse sa création depuis
maintenant 17 ans, comme l’avait déjà raillé
le chanteur Lapiro de Mbanga en 2008 dans
son tube « Constitution constipée ».

Cette
annonce soudaine serait-elle le résultat de la
« franchise » de François Hollande ? A voir.
Paul Biya avait annoncé la création du Sénat
pour 2013, pourtant une année d’élections
municipales, donc de modification de la
liste des « grands électeurs » amenés à élire
sénateurs et sénatrices.

Partis politiques d’opposition et médias
indépendants n’avaient donc eu de cesse
d’appeler à l’organisation d’élections
municipales avant ces premières sénatoriales
de l’histoire camerounaise... Mais Biya, en
« bon gouvernant » averti, a préféré s’appuyer
sur le vote des conseillers municipaux en
place depuis 2007, en immense majorité
encartés au parti au pouvoir, que de prendre le
double risque d’avoir bientôt à la fois plus de
communes d’opposition et trop d’adversaires
au sein de ce nouveau Sénat. Donc les
municipales attendront. Un raisonnement
loufoque, quand on connaît le manque de
fiabilité des élections au Cameroun, mais un
signal de plus que la prétendue ouverture
démocratique n’est pas pour tout de suite...

Hollande bientôt au Cameroun ?

Fin janvier, les médias progouvernementaux
camerounais avaient évidemment saisi
l’occasion d’une propagande facile :
communiquer sur la rencontre avec
Hollande en taisant ses attitudes ou mots
supposés fâcher.

Extrait du journal « la Météo », considéré par les Camerounais comme un des relais directs de la communication présidentielle

On a ainsi vu les lèche-
bottes du régime étaler des Unes sur les
« retrouvailles » de Hollande et Biya, en
écho à l’entretien accordé en aparté du
sommet de la Francophonie, mi-octobre à
Kinshasa. Malgré de fausses indiscrétions de
l’ambassade de France à Yaoundé, envoyant
à certains journaux d’opposition une photo
illustrant l’accueil prétendument glacial et
distant du président français, une des caisses
de résonance du pouvoir camerounais a
même été jusqu’à afficher comme titre
« exclusif » le déplacement prochain de
Hollande à Yaoundé à l’occasion de la fête
nationale, le 20 mai... Ce média mercenaire
s’est imposé une réserve selon laquelle « les
services diplomatiques français (...) n’ont ni
confirmé ni infirmé cette nouvelle
 » : on serait
justement curieux de savoir si la diplomatie
française va ou non condamner une telle
annonce ? Ou si, à l’inverse, la complicité du
président socialiste avec ce régime généreux
pour les entreprises françaises va aller
jusqu’à concrétiser ce déplacement.

Otages du système Biya

Depuis, la « guerre contre le terrorisme »
est venue relégitimer davantage cette
énième amitié coupable. Déjà, dans la cour
de l’Elysée, Paul Biya avait affirmé son
soutien à l’opération Serval et avait eu le
culot de se dire concerné par les exactions
des djihadistes au Mali, en les qualifiant de
« menace contre tous ceux qui aiment la
liberté
 ».

L’enlèvement des sept expatriés
français (dont quatre enfants) dans une
réserve naturelle de l’extrême nord du
Cameroun pourrait même alimenter cette
hypocrisie : le Cameroun libre de Biya serait
ainsi une victime collatérale de la lutte contre
le terrorisme ! L’imposture intellectuelle est
totale.

D’une part, la libre circulation de Boko
Haram et de criminels en tout genre dans le
Nord Cameroun était de notoriété publique,
au point d’être détaillée dans un rapport
publié en juillet dernier et en ligne sur le site
internet de l’Institut français des relations
internationales (IFRI)
.

La France, complice
de toujours du délabrement institutionnel
camerounais, ne pouvait l’ignorer, et, avec
le déclenchement de l’opération Serval et
les réactions hostiles aux discours martiaux
de « lutte contre le terrorisme », il était
évident que des Français pourraient être des
cibles faciles dans la zone. Que les services
consulaires français, sans doute trop sûrs de
leur toute puissance au Cameroun, n’aient pas
déconseillé cette zone aux expatriés dès début
janvier est donc totalement irresponsable et
criminel.

D’autre part, la compassion pour
ces familles ne doit pas faire oublier que plus
de vingt millions de Camerounais sont d’une
certaine façon otages depuis des décennies
d’un système politique archi-corrompu et
violent. Un système installé et soutenu par
des autorités françaises qui, pour préserver
des intérêts prétendument stratégiques
et surtout l’accès au super pactole des
ressources naturelles camerounaises pour le
patronat françafricain, ont décidé en 2013
de renouveler le bail.

#GénocideDesTutsis 30 ans déjà
Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 222 - mars 2013
Les articles du mensuel sont mis en ligne avec du délai. Pour recevoir l'intégralité des articles publiés chaque mois, abonnez-vous
Pour aller plus loin
a lire aussi