Avec l’enlèvement de sept français, le grand public redécouvre l’existence du Cameroun, jusque-là havre de paix discret de la Françafrique. L’autocrate en place depuis plus de trente ans vient pourtant d’avoir droit à sa réception à l’Elysée, et parie déjà sur la visite de Hollande au printemps.
Le 30 janvier, François Hollande recevait à l’Élysée Paul Biya, président-dictateur à la tête du Cameroun depuis plus de trente ans, alors même que celui-ci s’apprête à organiser des élections municipales, législatives et sénatoriales cette année.
Comme c’est désormais l’habitude à chaque rencontre d’un potentat africain depuis le 6 mai 2012, l’Élysée s’est aussitôt fendu d’un communiqué mentionnant entre autres « les principes de dialogue et de franchise qui doivent guider les relations entre la France et le Cameroun », la sacro-sainte « coopération », le « développement économique » et un échange « sur les questions de gouvernance, le processus électoral au Cameroun, la protection des Droits de l’homme et la situation des prisons » – une hypocrisie à laquelle l’Élysée ne s’adonne pas encore quand il s’agit de la Russie de Poutine, d’ailleurs.
La « situation des prisons » (à propos de laquelle la France est pourtant mal placée pour donner des leçons, même si celle du Cameroun est encore plus cauchemardesque...) était en fait à l’ordre du jour pour évoquer plus spécifiquement le cas de Thierry Michel Atangana.
Cet homme d’affaires camerounais naturalisé français est derrière les barreaux depuis quinze ans suite à un procès qui, comme toute affaire de corruption au Cameroun, relève du règlement de compte politique. Une avancée obtenue par François Hollande : mi-février, son homologue camerounais a demandé l’ouverture d’une nouvelle enquête. Une grâce présidentielle de Biya, trop attendue par les observateurs camerounais, aurait été l’aveu public d’une trop grande soumission aux desiderata français.
Mais les autres prisonniers, innombrables victimes de l’arbitraire sécuritaire ou de complots politiques, peuvent continuer de croupir en tôle. Même les cas les plus emblématiques ne font pas sourciller le pouvoir français. Ainsi, pas un mot bien sûr pour l’ex-maire de Penja, Paul Eric Kingué, victime d’une terrible cabale judiciaire pour s’être opposé aux toutes puissantes entreprises françaises sur sa commune. Pas un mot non plus pour Enoh Meyomesse, écrivain et homme politique condamné à sept ans de prison par un tribunal militaire sous un prétexte farfelu, pourtant lauréat en janvier du « Oxfam Novib / PEN Award », décerné chaque année à des écrivains et journalistes persécutés pour leur travail. Leur cas n’intéresse pas le nouveau pouvoir français.
Pour ce qui est de la « gouvernance » (même pas affublée ici de l’adjectif « bonne »), du « processus électoral » et de « la protection des Droits de l’homme », qu’ils aient ou non effectivement été évoqués par Hollande, Paul Biya a montré depuis à quel point il s’en moque. Dans le mois qui a suivi, il a en effet rappelé à son opposition que lui seul fixe les règles.
A l’université de Buea, en zone anglophone, des étudiants en grève depuis le 6 février n’ont eu pour réponse qu’une violente répression, notamment contre les leaders du syndicat étudiant local, l’UBSU, University of Buea Students’ Union. L’Association pour la défense des droits des étudiants du Cameroun (ADDEC), organisation emblématique des luttes sociales dans le pays, a dénoncé publiquement « des actes de tortures et les disparitions d’étudiants ».
D’après l’UBSU, au moins cinq étudiants ont été arrêtés. Le pouvoir, sur les dents, durcit le ton depuis des mois et interdit toute expression réellement critique, et l’échange avec Hollande n’y change rien. Ainsi, le 31 janvier, la « Grande Palabre » prévue sur le thème « un printemps des libertés est-il possible sous les tropiques d’Afrique centrale ? » a été interdite, tout comme la conférence de presse du 22 février sur l’emprisonnement de Kingue et de Enoh, justement.
Dernier exemple en date, mardi 26 février. Alors que l’opposition organise un rassemblement à Douala en toute légalité pour dénoncer l’imposture d’ELECAM, l’instance faussement indépendante qui doit superviser l’organisation des élections, la police embarque deux leaders de l’Union des populations du Cameroun (UPC), le parti à l’initiative de la manifestation. Placés en garde à vue pour « trouble à l’ordre public », ils sont relâchés le lendemain contre « caution morale »... mais convoqués au tribunal le 4 mars, pour un simulacre de procès qui leur vaudra sans doute une amende susceptible de dissuader les militants camerounais d’exprimer leurs souhaits de changement, surtout si elle est suffisamment salée pour les envoyer en prison pour cause d’insolvabilité.
Le lendemain, alors que ces deux opposants sont encore en garde à vue, le gouvernement annonce que les premières élections sénatoriales du Cameroun auront lieu le 14 avril. La constitution de 1996 imposait théoriquement l’existence de cette haute chambre du Parlement, dont le président doit assumer l’intérim en cas de vacance du pouvoir : un rôle central qui justifiait sans doute que Biya repousse sa création depuis maintenant 17 ans, comme l’avait déjà raillé le chanteur Lapiro de Mbanga en 2008 dans son tube « Constitution constipée ».
Cette annonce soudaine serait-elle le résultat de la « franchise » de François Hollande ? A voir. Paul Biya avait annoncé la création du Sénat pour 2013, pourtant une année d’élections municipales, donc de modification de la liste des « grands électeurs » amenés à élire sénateurs et sénatrices.
Partis politiques d’opposition et médias indépendants n’avaient donc eu de cesse d’appeler à l’organisation d’élections municipales avant ces premières sénatoriales de l’histoire camerounaise... Mais Biya, en « bon gouvernant » averti, a préféré s’appuyer sur le vote des conseillers municipaux en place depuis 2007, en immense majorité encartés au parti au pouvoir, que de prendre le double risque d’avoir bientôt à la fois plus de communes d’opposition et trop d’adversaires au sein de ce nouveau Sénat. Donc les municipales attendront. Un raisonnement loufoque, quand on connaît le manque de fiabilité des élections au Cameroun, mais un signal de plus que la prétendue ouverture démocratique n’est pas pour tout de suite...
Fin janvier, les médias progouvernementaux camerounais avaient évidemment saisi l’occasion d’une propagande facile : communiquer sur la rencontre avec Hollande en taisant ses attitudes ou mots supposés fâcher.
On a ainsi vu les lèche- bottes du régime étaler des Unes sur les « retrouvailles » de Hollande et Biya, en écho à l’entretien accordé en aparté du sommet de la Francophonie, mi-octobre à Kinshasa. Malgré de fausses indiscrétions de l’ambassade de France à Yaoundé, envoyant à certains journaux d’opposition une photo illustrant l’accueil prétendument glacial et distant du président français, une des caisses de résonance du pouvoir camerounais a même été jusqu’à afficher comme titre « exclusif » le déplacement prochain de Hollande à Yaoundé à l’occasion de la fête nationale, le 20 mai... Ce média mercenaire s’est imposé une réserve selon laquelle « les services diplomatiques français (...) n’ont ni confirmé ni infirmé cette nouvelle » : on serait justement curieux de savoir si la diplomatie française va ou non condamner une telle annonce ? Ou si, à l’inverse, la complicité du président socialiste avec ce régime généreux pour les entreprises françaises va aller jusqu’à concrétiser ce déplacement.
Depuis, la « guerre contre le terrorisme » est venue relégitimer davantage cette énième amitié coupable. Déjà, dans la cour de l’Elysée, Paul Biya avait affirmé son soutien à l’opération Serval et avait eu le culot de se dire concerné par les exactions des djihadistes au Mali, en les qualifiant de « menace contre tous ceux qui aiment la liberté ».
L’enlèvement des sept expatriés français (dont quatre enfants) dans une réserve naturelle de l’extrême nord du Cameroun pourrait même alimenter cette hypocrisie : le Cameroun libre de Biya serait ainsi une victime collatérale de la lutte contre le terrorisme ! L’imposture intellectuelle est totale.
D’une part, la libre circulation de Boko Haram et de criminels en tout genre dans le Nord Cameroun était de notoriété publique, au point d’être détaillée dans un rapport publié en juillet dernier et en ligne sur le site internet de l’Institut français des relations internationales (IFRI).
La France, complice de toujours du délabrement institutionnel camerounais, ne pouvait l’ignorer, et, avec le déclenchement de l’opération Serval et les réactions hostiles aux discours martiaux de « lutte contre le terrorisme », il était évident que des Français pourraient être des cibles faciles dans la zone. Que les services consulaires français, sans doute trop sûrs de leur toute puissance au Cameroun, n’aient pas déconseillé cette zone aux expatriés dès début janvier est donc totalement irresponsable et criminel.
D’autre part, la compassion pour ces familles ne doit pas faire oublier que plus de vingt millions de Camerounais sont d’une certaine façon otages depuis des décennies d’un système politique archi-corrompu et violent. Un système installé et soutenu par des autorités françaises qui, pour préserver des intérêts prétendument stratégiques et surtout l’accès au super pactole des ressources naturelles camerounaises pour le patronat françafricain, ont décidé en 2013 de renouveler le bail.