Alors que la Chambre
d’appel du Tribunal
pénal international pour
le Rwanda (TPIR) a
prononcé récemment
des acquittements
incompréhensibles, un
premier procès de présumé
génocidaire pourrait se tenir
en France cette année. La
justice française est-elle à un
tournant en ce qui concerne
le génocide perpétré au
Rwanda ?
Les juges du Pôle « Génocide et
crimes contre l’humanité » du
tribunal de grande instance de
Paris ont décidé, le 4 février dernier,
de clôturer l’instruction dans l’affaire
Pascal Simbikangwa. Même si nous
n’avons à ce jour aucune certitude sur la
décision que prendront les juges quant
à un renvoi devant une cour d’assises
– un non-lieu n’est jamais totalement
exclu –, tout laisse cependant penser
que Simbikangwa sera le premier
génocidaire présumé à être traduit devant
une juridiction française. L’annonce
de la clôture de l’instruction dans ce
dossier ne peut donc que réjouir tous
ceux qui luttent depuis des années pour
que justice soit rendue aux victimes du
génocide des Tutsi perpétré au Rwanda
en 1994.
L’affaire Simbikangwa n’est pas la plus
ancienne, mais dans la mesure où cet
ex-capitaine des FAR (Forces armées
rwandaises) est incarcéré, il ne pourra
rester plus longtemps en prison sans
qu’une décision soit prise. Condamné
pour trafic de faux papiers sur l’île de
Mayotte où il avait trouvé refuge, il a
été aussitôt visé par une plainte déposée
par le Collectif des parties civiles pour
le Rwanda (CPCR). Son arrestation et sa
détention sont essentiellement dues à la
détermination de Marc Brisset-Foucault,
alors procureur sur cette île française
de l’océan Indien. Devrait suivre le
procès d’Octavien Ngenzi, arrêté lui
aussi à Mayotte et qui est en détention
provisoire depuis 2010. Leur situation
d’internés les rend prioritaires.
Parmi les autres plaintes (25 au
total) visant des présumés
génocidaires vivant en France,
et déposées par le CPCR
ou par d’autres associations
comme Survie, la Fédération
internationale des ligues des
Droits de l’homme (FIDH) ou
la Ligue internationale contre
le racisme et l’antisémitisme
(LICRA), deux se distinguent :
les dossiers Wenceslas Munye
shyaka et Laurent Bucyibaruta.
Ces deux affaires ont en effet été
confiées à la justice française par
le TPIR. Elles tardent à revenir sur le devant de la scène, malgré a gravité des accusations.
L’abbé Wenceslas Munyeshyaka, curé de la paroisse de la Sainte-Famille à Kigali en 1994, est
soupçonné d’avoir livré aux tueurs
des Tutsi réfugiés dans son église, et d’avoir accordé sa « protection » à des femmes tutsi en échange de faveurs sexuelles. Laurent Bucyibaruta, préfet de Gikongoro pendant le génocide, est l’un des organisateurs présumés du massacre de Murambi, qui fit entre 20 000 et 50 000 victimes le 21 avril 1994.
Même si des raisons techniques sont invoquées pour expliquer l’inaction apparente des magistrats français (adaptation du droit anglo-saxon à la justice de droit latin, en particulier), il est plus que temps que Munyeshyaka et Bucyibaruta rendent des comptes.
D’autres dossiers devraient aussi faire la Une de l’actualité. La plainte contre le médecin Sosthène Munyemana date de 1995 : peut-on parler de « délai raisonnable » sans se moquer des victimes ? Les docteurs Eugène Rwamucyo, idéologue extrémiste de la première heure, et Charles Twagira, en poste à l’hôpital de Kibuye en 1994,
ne devraient pas non plus échapper à a Justice. C’est aux juges de décider si l’instruction dans ces affaires doit être clôturée. D’autres dossiers sont en
souffrance, sans compter les nouvelles plaintes qui pourraient être déposées.
Le 1er mars 2013, une source judiciaire annonçait que Laurent Serubuga avait été mis en examen et qu’une commission rogatoire internationale pourrait être lancée contre lui. Chef d’état-major adjoint des FAR jusqu’en 1992, le colonel Serubuga doit à nos yeux être considéré comme un des plus grands responsables du génocide des Tutsi, au même titre que le colonel Théoneste Bagosora, condamné à la réclusion à perpétuité par le TPIR, avant de voir sa peine réduite à trente ans en appel.
Mis à la retraite en 1992, comme son alter ego le colonel Pierre-Célestin Rwagafilita, aujourd’hui décédé, et le colonel Aloys Simba, condamné par le TPIR, Serubuga avait repris du service en 1994, après s’être illustré, dans sa région natale de Ngororero, dans le massacre des Tutsi Bagogwe (janvier-mars 1991). On peut se demander pourquoi le TPIR ne s’est jamais intéressé à ce haut dignitaire du régime, membre éminent de l’Akazu, un proche de madame Habyarimana, la sans-papier la plus célèbre de France. Au vu des dernières décisions de ce tribunal (voir ci-dessous), peut-être n’avons-nous pas trop à le regretter.
La première plainte contre Laurent Serubuga avait été déposée en 2000, mais
elle avait un temps été classée sans suite,
pour « défaut de preuve ». Une nouvelle
plainte avait alors été déposée par Survie
et la FIDH. Le CPCR s’est à son tour porté
partie civile en 2007. Laurent Serubuga
est mis en examen pour « génocide et
complicité de crimes contre l’humanité ».
Avec lui, nous avons affaire à un véritable
responsable, dont la présence en France
depuis de trop nombreuses années est une
insulte faite à la mémoire des victimes.
Mais attention ! Un procès n’est jamais
gagné d’avance. Le TPIR nous a habitués
à des décisions incompréhensibles et
scandaleuses, tels les récents acquittements
prononcés par la chambre d’appel en faveur
de Justin Mugenzi et Prosper Mugiraneza.
Respectivement ministres du Commerce
et de la Fonction publique, ils étaient
membres du gouvernement intérimaire
rwandais qui a conduit le génocide à
son terme. Condamnés à trente ans de
réclusion en première instance, ils ont été
acquittés en appel sous prétexte qu’ils ne
connaissaient pas à l’avance le contenu du
discours que le président Sindikubwabo
avait prononcé à Butare, en leur présence,
et sans qu’ils s’en désolidarisent à
aucun moment, pour appeler les Hutu à
« continuer le travail ».
On pourrait aussi évoquer le cas de Protais
Zigiranyirazo, alias « Monsieur Z », frère
d’Agathe Habyarimana, membre éminent
du premier cercle de l’Akazu, également
acquitté en appel. Autant de décisions
qui peuvent faire souhaiter la fermeture
de cette institution qui aura condamné
quelques génocidaires notoires, mais aussi
rendu des décisions à nos yeux injustes.
Reste aujourd’hui à nous intéresser à
ce qui pourrait se passer en France. Un
premier procès serait le signal tellement
attendu, tant par les victimes que par les
associations plaignantes, ou par tous les
citoyens qui tentent de comprendre ce qui
s’est passé au Rwanda entre 1990 et 1994.
Un procès pour la Mémoire, un procès
pour l’Histoire, un procès qui doit en
appeler beaucoup d’autres. Un procès qui
donnerait un sens à notre combat, mais au
cours duquel il faudra se battre pour faire
admettre la vérité à des jurés populaires
pour qui le Rwanda reste un petit pays
lointain où des choses indicibles se sont
passées voici bientôt vingt ans. Le combat
pour la justice ne fait peut-être que
commencer.