En moins de trente ans, le mot-valise
de « gouvernance » s’est imposé
avec la prétention de conceptualiser
et structurer toute notre vie politique : depuis
l’intérieur de l’entreprise, milieu duquel il a
surgi à la faveur de travaux universitaires
d’économie et de gestion sur les firmes
(des « organisations » qu’il fallait rendre
plus rentables), jusqu’au fonctionnement
de toute société humaine, d’une collectivité
publique aux institutions étatiques, et même
à l’ensemble des Nations.
« Gouvernance
mondiale » et « bonne gouvernance »
sont aujourd’hui ses déclinaisons les plus
connues, mais le terme est désormais
employé dans tellement de contextes
différents et de thématiques variées, qu’il
en paraît incontournable. Par conséquent,
peut-il y avoir une « bonne » acception de
la gouvernance ? Est-il en effet possible et
pertinent de se réapproprier le concept, de
s’accorder sur une définition qui nourrisse
des mobilisations progressistes ? Sans la
poser explicitement, c’est à cette question
déterminante pour les luttes sociales que
répond cet essai original.
En cinquante courtes prémisses (des
« assertions de départ [desquelles] découle
une série de conséquences »), Alain Deneault
nous entraîne au cœur de l’idéologie
néolibérale et des mécanismes implicites de
cette « gouvernance » qui aliène désormais
notre capacité à penser notre réalité, malgré
et grâce à une terrible vacuité conceptuelle.
C’est donc une invitation à autopsier cette
« révolution anesthésiante » par laquelle
une nouvelle forme de totalitarisme tend à
réduire la démocratie à des cadres d’analyse
et des modes de fonctionnement directement
issus du management – et donc les plus à
même d’empêcher toute remise en cause
des structures de domination, puisqu’ils
visent implicitement à les légitimer.
La lecture est parfois difficile, puisque
cela implique de plonger dans des cadres
conceptuels et une littérature empruntant
principalement aux écrits des apôtres
de la « gouvernance », en les mettant en
perspective de certaines références de
philosophie politique. Mais elle permet de
mieux saisir et combattre ce « coup d’état
conceptuel » qui est venu inhiber la pensée
et l’action collectives.
Gouvernance, le management totalitaire
– Alain Deneault, Lux, mars 2013. 194 p,
12 euros.