C’est l’intitulé du colloque
organisé le 17 mai dernier
par la mairie de Bordeaux et
la fondation Prospective et
innovation. Selon le maire,
Alain Juppé, l’événement
a permis de « marquer la
relation d’exception que la
ville de Bordeaux entretient
avec l’Afrique ».
La fondation Prospective et innovation a
été fondée en 1989 par René Monory,
ancien ministre de l’Industrie, du
Commerce et de l’Artisanat et François
Dalle, ancien dirigeant de l’Oréal, pour
défendre l’idée que la France serait contrainte
à « innover et se réformer pour maintenir
le rang que l’histoire lui a conféré ». Elle
est actuellement présidée par Jean-Pierre
Raffarin, ancien Premier ministre et dirigée
par Olivier Cazenave, conseiller maître à
la Cour des comptes. Reconnue d’utilité
publique, la fondation agit comme un think
tank qui, à en juger par les participants à ce
colloque, semble plutôt bien implanté dans les
réseaux politico-économiques liés à l’Afrique.
Il y avait donc une délégation ivoirienne de
plusieurs ministres et coté invités, l’ancien
président du Sénégal, Abdou Diouf, et actuel
secrétaire de l’Organisation Internationale de la Francophonie, l’ambassadeur congolais en
France, Henri Lopes, Jean-Michel Severino,
ancien directeur général de l’Agence
française de développement (AFD), Paul
Derreumaux, ancien PDG de Bank of Africa,
ainsi que des représentants du ministère des
Affaires étrangères français (MAE), et bien
sûr des représentants de grandes entreprises
françaises implantées en Afrique.
Ce colloque a été l’occasion de retrouver
des clichés paternalistes. Ainsi le modèle
démocratique occidental n’est pas adapté
à la culture africaine : il existerait une
démocratie à l’africaine qui tiendrait
compte des valeurs traditionnelles,
où le chef de l’État serait vu par son
peuple comme un père bienveillant.
Il nous faudrait donc considérer les
gouvernements dictatoriaux des pays avec
lesquels nous aimerions faire des affaires
comme « des partenaires avec leurs
défauts » selon Henri Lopes. En revanche,
notre modèle économique et nos produits,
eux, ne semblent pas poser de problème
culturel, et l’Afrique, cet « espace vierge,
espace de conquête agricole », (Michel
Godet, professeur au Conservatoire
national des arts et métiers et créateur du
Cercle des entrepreneurs du futur), avec
son taux de croissance à 5%, fait tourner
les têtes.
L’agriculture et particulièrement
les céréales et protéo-oléagineux étant
perçues, ainsi qu’en a témoigné le représentant de l’entreprise Touton, « comme un
relais de croissance après la
fin des ressources fossiles ».
Les représentants du MAE
n’ont pas manqué de rappeler
que l’Afrique est une priorité
pour le gouvernement de
Hollande, avec le refrain
connu de la lutte contre
l’islamisme radical, sur fond
d’enjeux stratégiques d’accès
aux énergies et d’implantation
des entreprises françaises,
PME incluses, sur les marchés
africains. Aidés par nos
diplomates, nos entrepreneurs
n’ont donc plus qu’à « renou
veler et développer leurs
investissements et être plus
compétitifs
en
Afrique » d’après Jean-Michel Severino.
Raffarin
ne s’y trompe pas, il faut concevoir
l’Eurafrique comme un ensemble fort
et solidaire face à l’Amérique avec « la
francophonie comme porte-drapeau
et élément fédérateur » selon Abdou
Diouf. Il ne s’agirait pas en effet que
l’Afrique s’émancipe de sa vieille tutelle
européenne, et a fortiori française.
Ce rendez-vous, appelé à devenir annuel
selon les organisateurs, s’inscrit dans une
série d’événements locaux liés à l’Afrique.
A commencer par l’accueil de chefs
d’Etats, comme le dictateur camerounais
Paul Biya en juillet 2009, et la visite prévue
de l’ivoirien Alassane Ouattara « du 16
au 18 juin, qui profitera de sa visite pour
parler tramway, un projet cher au groupe
Alstom, mais aussi gestion des déchets
urbains » (Lettre du continent n°658).
En
2010, Alain Juppé a fait de Bordeaux la
ville pilote pour « l’année de l’Afrique »
voulue par Nicolas Sarkozy à l’occasion
du cinquantenaire des indépendances
africaines. Titre pour lequel elle n’a pas
eu à se battre, puisqu’elle a été la seule
grande ville à se saisir de cette coquille
vide, avec un programme à forts relents
néocoloniaux. Enfin en mai 2011, c’est
au Club Bordeaux Afrique de la chambre
de commerce et d’industrie qu’on
doit l’organisation de l’Africa France
Business Meeting, cofinancé par la mairie
de Bordeaux, l’État, l’AFD, le MEDEF,
Total et Bolloré Africa Logistics.
Le groupe Castel, géant de la boisson en
Afrique centrale et dont le siège se situe
dans l’agglomération bordelaise, a poussé
cette logique jusqu’à créer un cercle de
réflexion, le Club Bordeaux Cameroun.
Présidé par Pierre Castel, il est animé par un
chargé de mission de la mairie de Bordeaux,
officiellement rattaché à la vie associative et
à la diversité : Pierre de Gaëtan Njikam, que
l’on retrouve dans la coordination de tous
les événements de la mairie de Bordeaux
liés à l’Afrique. « L’Afrique qui gagne est
à Bordeaux », c’était le slogan de l’Africa
France Business Meeting de 2011. Celle
qui perd est logiquement restée chez elle.