Survie

La Françafrique sécurise ses positions

rédigé le 5 mai 2013 (mis en ligne le 1er juillet 2013) - Fabrice Tarrit

C’est décidé, François
Hollande aura, comme
ses prédécesseurs, « son »
sommet France-Afrique,
annoncé à Paris à la fin
de l’année 2013. Le thème
retenu est « la sécurité »,
avec en toile de fond la lutte
contre le terrorisme, alibi
commode pour relégitimer
durablement la présence
militaire en Afrique.

L’annonce a été faite par François
Hollande lui même lors de son
intervention au sommet du Cin­quantenaire de l’Union africaine (UA) à
Addis Abeba le 25 mai, où il a convié les
pays africains à un Sommet sur la paix et la
sécurité sur le continent qui sera organisé à
Paris en décembre.

Convoqué serait le terme
le plus approprié tant le projet proposé par le
président français paraît avoir émergé sans
concertation avec ses pairs, mis devant le fait
accompli. Le relent colonial de cette annonce,
au cœur d’une cérémonie supposée consacrée
la maturité et l’indépendance de l’Union
Africaine, a été relevé par plusieurs médias,
notamment africains, RFI évoquant dans un
article du 27 mai une initiative « diversement
accueillie
 », parlant d’une « maladresse » et
d’un « couac de communication ».

François Hollande était du reste le
seul chef d’État européen à prendre la
parole à ce sommet. Une curiosité dans
le programme qui n’a pas alerté grand
monde tant on est désormais habitué à
voir Hollande parader au milieu de chefs
d’État africains et prendre la main sur des
dossiers les concernant, à l’Élysée bien
sûr, où les dictateurs ont pris leurs aises, au
sommet de l’Organisation internationale
de la Francophonie (OIF) à Kinshasa en
octobre, à la tribune de l’ONU à New
York, en septembre, à la Conférence des
donateurs pour le Mali, à Bruxelles, le
15 mai. Un brin grandiloquent, Hollande
a défendu sa présence à la tribune de
l’UA, destinée selon lui à « évoquer
l’avenir, l’avenir de l’Afrique, l’avenir de
la relation entre la France, l’Europe et
l’Afrique, et donc l’avenir du monde
 ».

Hollande, dans la continuité

L’intitulé thématique de ce qui est pour
l’instant présenté comme une « Conférence »
ne trompe personne, c’est bien l’organisation
d’un véritable sommet Afrique-France
qui se prépare. Sans doute stimulé par la
« concurrence » (5 sommets Chine-Afrique
organisés depuis 2006, ive sommet Europe
Afrique annoncé à Bruxelles en 2014),
Hollande n’a visiblement pas souhaité
rompre avec la tradition des « expositions
coloniales
 » de ses prédécesseurs, pourtant
fort décriées.

C’est même une nouvelle fois en France,
pour la troisième fois consécutive (Cannes en
2007, Nice en 2010), et non en Afrique que
ce xxvie sommet se tiendra, en contradiction
avec la règle d’alternance instituée. Des
mésententes sur les relations avec le Soudan
de Bechir, avaient empêché la tenue du
sommet au Caire en 2010, rencontre déplacée
sur la Côte d’Azur. Présentée par Nicolas
Sarkozy en 2010 comme le pays hôte du futur
sommet, l’Égypte a ensuite, on le sait, connu
une révolution ayant mis fin au pouvoir de
Hosni Mubarak.

Si l’on en croit certaines
informations (Jeune Afrique du 10 mai), le
président égyptien Mohamed Morsi pourrait
toutefois se voir confier la co-présidence du
sommet de décembre. Ironie de l’histoire, le
dernier sommet France Afrique organisé en
Afrique dans un pays « stable » s’était tenu
au Mali, en 2005.

Une insécurité entretenue

Peu explicite à la tribune de l’UA sur les
objectifs précis du futur sommet, Hollande
en avait dit un peu plus aux journalistes
quelques minutes plus tôt, évoquant « l’idée
que nous pourrions, avec les Européens
former, entraîner, équiper, appuyer les
armées africaines [...]c’est une coopération
sur l’ensemble du continent qu’il convient
d’engager pour permettre aux Africains
d’être maîtres des décisions qui les
concernent, notamment en matière de
sécurité.
 »

Nous voilà donc renvoyés quinze ans en
arrière, quand Jacques Chirac avait fait de la
sécurité le thème central du sommet France-Afrique du Louvre, sur fond de guerres dans
les deux Congo, en 1998, chargeant le général
togolais Eyadema de présider les travaux. Un
nouveau concept de coopération militaire,
le programme Recamp (Renforcement des
capacités de maintien de la paix) avait alors
été officiellement lancé, avec pour ambition
d’aider les États africains à mettre en
place des organisations régionales et sous-régionales de sécurité et de maintien de la
paix, avec l’appui de la France. Survie et Agir
Ici avaient alors organisé un contre sommet
intitulé « Sécurité au Sommet, insécurité à la base » dont les actes, publiés dans la
collection des Dossiers Noirs (Éditions
l’Harmattan)
, mériteraient d’être relus
pour prendre la mesure de la continuité à
l’œuvre en matière d’interventions militaires
françaises en Afrique.

La France incontournable

Nul besoin à ce stade d’épiloguer sur
le bilan de Recamp et des multiples
programmes de formation et de coopération
militaire menés, depuis, par la France sur le
continent. L’intervention au Mali a rappelé
qu’ils n’ont jamais eu pour véritable objet
de limiter l’influence militaire française
sur le continent mais bien de la renforcer,
en augmentant la capacité de mobilisation
de forces supplétives africaines. Mais cette
omniprésence française n’est pas sans faire
grincer quelques dents. « Il est vraiment
dommage que cinquante ans après notre
indépendance, notre sécurité dépende à ce
point d’un partenaire étranger
 », déclarait
le 27 mai le commissaire à la paix et à
la sécurité de l’UA, Ramtane Lamamra,
cité par l’AFP.

La mise en place d’une
capacité africaine de réaction immédiate
aux crises a été annoncée, à Addis Abeba,
alors que la création d’une Force africaine
en attente, annoncée depuis des décennies
n’est toujours pas en vue. Face aux échecs
des organisations africaines à s’organiser
militairement, la France parvient sans peine
à garder la main et donner le tempo.

La veille de son discours à Addis Abeba,
Hollande rappelait à l’Institut des hautes
etudes de défense nationale sa fierté de
voir les troupes françaises sollicitées pour
intervenir sur divers conflit dans le monde
entier. Evoquant sa stratégie pour le Sahel
il annonçait « nous resterons au Mali et
autour du Mali. Parce que nous n’en avons
pas terminé avec le terrorisme.
 ». La lutte
contre le terrorisme est on le sait le nouvel
argument pour justifier la présence
militaire française en Afrique. Sans
surprise, ce thème est annoncé comme un
sujet central du futur sommet de Paris.

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Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 225 - juin 2013
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