Survie

Les services de renseignement toujours hors contrôle

rédigé le 5 juin 2013 (mis en ligne le 1er août 2013) - François Crétollier

«  [...] lors du conseil des
ministres du 28 décembre
1945 au cours duquel fut
soumis un projet de décret
instituant le Service de
documentation extérieure
et de contre-espionnage
(SDECE) [devenu depuis
la DGSE] [...], le général de
Gaulle précisa qu’il fallait
éviter, entre autres « écueils »,
qu’un « contrôle soit établi
sur ces services
 »
 ».

Une tradition bien française vient
d’être rappelée au public. Le
député Jean-Jacques Urvoas, dans
un rapport parlementaire sur les services
de renseignement, reprend un historique
instructif sur les tentatives de contrôle des
activités de renseignement par le parlement,
depuis l’après-guerre jusqu’aux débats en
2007 au moment de la mise en place de
la DPR, la Délégation parlementaire au
renseignement.

Il est rare que les parlementaires s’inté­ressent au monde du renseignement. Etencore plus rare que ceux-ci parviennent à
faire progresser le contrôle du parlement
sur ces services pilotés par l’exécutif. Le
récent rapport de la mission d’information
parlementaire sur les services de ren­seignement va-t-il enfin permettre de faire
avancer la législation française ?

La mission s’est penchée sur « la commu­
nauté française du renseignement
 ».
« Parmi les six services concernés, trois
dépendent du ministère de la Défense :
la Direction générale de la sécurité
extérieure (DGSE), la Direction du
renseignement militaire (DRM), la
Direction de la protection et de la sécurité
de la défense (DPSD) ; deux du ministère
des Finances : la cellule de traitement du
renseignement et action contre les circuits
financiers clandestins (TRACFIN) et la
Direction nationale du renseignement
et des enquêtes douanières (DNRED),
et un enfin du ministère de l’Intérieur :
la Direction centrale du renseignement
intérieur (DCRI)
 ».

En termes de contrôle par le parlement de
ces services de renseignement, la situation
actuelle est assez pitoyable. Ou comique,
au choix. C’est la DPR qui s’y colle. Avant
il n’y avait rien, aucun contrôle. Depuis,
on a donc « progressé » : en 2012, la
DPR, qui réunit quatre sénateurs et quatre
députés, s’est « réunie à cinq reprises »
et a « effectué deux déplacements : le 22
mars, sur un des sites de la DGSE afin
de visiter des installations techniques,
[et] le 17 décembre, elle s’est rendue au
siège de la DGSE pour rencontrer son
directeur général, M. le préfet Érard
Corbin de Mangoux, les responsables des
différentes directions ainsi que la cellule
Sahel.
 » Bigre ! L’instance républicaine
qui contrôle les services secrets a réalisé
DEUX déplacements dans l’année, à
la DGSE s’il vous plaît ! Un contrôle
« very very » serré indéniablement (deux
fois « very », parce qu’il y a eu deux
déplacements).

Le contrôleur DPR n’a pas vocation à contrôler

C’est même tout à fait officiel. Citant la
loi de 2007, votée par l’ensemble des
parlementaires, le rapport 2011 de la DPR
rappelle que celle-ci « n’a pas vocation
à contrôler les activités opérationnelles
de ces services
 ». En effet, les documents
transmis à la délégation ainsi que les
informations communiquées au cours des
auditions « ne peuvent porter ni sur les
activités opérationnelles de ces services,
les instructions données par les pouvoirs
publics à cet égard et le financement
de ces activités, ni sur les échanges
avec des services étrangers ou avec des
organismes internationaux compétents
dans le domaine du renseignement
 ».

A titre d’exemple, cela signifie que les
parlementaires français peuvent s’enquérir
des moyens dont dispose le service action
de la DGSE, mais en aucune façon des
opérations elles-mêmes.

Dans leur rapport 2012, les huit
parlementaires de la DPR notent : « La
délégation estime indispensable le ren­
forcement de ses prérogatives afin [...]
d’établir unvéritablecontrôleparlementaire
des services de renseignement [...]. La loi
du 2007 n’a pas prévu que l’action de la
délégation parlementaire soit qualifiée
de « contrôle », évoquant seulement le « suivi » de l’activité générale et des
moyens des services spécialisés. Forte
de son expérience, la délégation estime
aujourd’hui nécessaire que son action soit
qualifiée de « contrôle ».
 »

Par ailleurs, Jean-Jacques Urvoas souligne
que l’« on peut se demander quelle est la
cohérence d’une structure parlementaire
dont la production n’est destinée à
informer ni le Parlement, ni même les
citoyens, mais seulement le pouvoir
exécutif
 ».

« Un retard indéfendable et nuisible »

Le rapport parlementaire établit de façon
explicite que « [...] Le retard accusé
par la France dans ce domaine paraît
indéfendable et nuisible. Alors qu’il
compte parmi les plus anciennes nations
démocratiques, notre pays est le dernier
à ne pas avoir établi un cadre normatif
adapté.
 » Laurent Borredon et Jacques
Follorou mentionnent ainsi dans Le Monde
que « la comparaison internationale est
peu flatteuse. Le Canada et la Belgique
disposent d’un comité de surveillance
autonome et apolitique. Les Etats-Unis,
l’Allemagne et Israël ont conféré aux
parlementaires un large pouvoir de
surveillance. Le Congrès américain et le
pouvoir législatif norvégien contrôlent
même les opérations en cours de leurs
services secrets avant de débloquer les
fonds. La Grande-Bretagne, elle, a institué
un comité composé de parlementaires,
rattaché au Premier ministre.
 »

La mission présidée par Jean-Jacques
Urvoas émet donc le désir de légiférer
pour « améliorer le contrôle interne,
amplifier le contrôle externe de légalité
et de proportionnalité, bâtir un contrôle
externe de responsabilité : le rôle du
parlement
 »... mais sans envisager pour
autant de déposer une proposition de loi.

Les parlementaires préfèrent apparemment
attendre le bon vouloir de l’exécutif en
espérant que celui-ci daigne déposer un
projet de loi. Qui ne viendrait pas avant 2015, si l’on en croit la presse, pour cause d’ordre du jour chargé...
En attendant, le retard accusé par la
France dans ce domaine est effectivement
indéfendable et nuisible.

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Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 225 - juin 2013
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