Survie

Madagascar : « la diplomatie française est toujours dans le brouillard »

rédigé le 3 juillet 2013 (mis en ligne le 2 septembre 2013) - Patrick Rakotomalala, Raphaël de Benito

Alors que la situation
politique est dans l’impasse
depuis que l’élection
présidentielle, prévue
d’abord le 8 mai, puis le
24 juillet et désormais
reportée sine die, Billets
d’Afrique a recueilli le
point de vue de Patrick
Rakotomalala, représentant
de Saraha Georget
Rabeharisoa, candidate du
parti Hasin’i Madagasikara,
le parti vert malgache.

Billets : Quatre ans après le putsch,
la situation est toujours figée avec
toujours cette crise politique. Quelles
sont les solutions pour sortir de cette
impasse ?

PR : Une solution se dessine peut-être
parce qu’il y a un certain consensus autour
de l’idée d’élections. Une grande partie des
Malgaches souhaite que ça bouge après
4 ans d’immobilisme. En revanche, une
frange de la société dit que Madagascar
n’est pas prête à une élection qui verrait la
victoire d’une faction sur l’autre. Pour eux
un tel cas de figure ne serait pas propice à
un apaisement politique.

Les conditions d’une élection sincère
sont-elles réunies ? Le doute subsiste
tout de même...

Il y a toujours des doutes dans la mesure
où l’instance juridique compétente, en
contradiction avec elle-même et au prix
d’acrobaties, a validé des candidatures
en dehors du champ fixé légalement. Une
décision qui sort du champ juridique et
qui est éminemment politique. Ce n’est
donc pas très rassurant. Par ailleurs
le comportement erratique de Andry
Rajoelina et des dirigeants en place
désespérément accrochés à leur pouvoir
peut laisser craindre les pires scénarios.

Et la distorsion des moyens entre les
candidats ?

C’est aussi un gros problème. Il n’y a
aucune transparence sur les financements
de campagne. Certains ont thésaurisé de
manière plus ou moins douteuse pendant
4 ans un trésor de guerre pour s’acheter
un succès électoral, quand leur lobbying
ou leurs moyens antérieurs ne leur ont
pas permis de se constituer d’énormes
cagnottes. On parle de budgets de
campagnes de centaines de milliards
d’Ariary (1 euros = 2900 Ariary).

Alors élection ou clientélisme ?

On peut craindre en effet le clientélisme
d’autant qu’il y a un mépris d’une partie
de la classe politique, dont on peut
douter de la vocation démocratique, qui
consiste à dire : hhh. C’est insupportable
quand on prétend parler de démocratie.

L’impasse politique actuelle ne résulte
pas seulement des quatre dernières années
même si ces quatre ans ont exacerbé les
rancœurs et les rivalités. En définitive,
depuis l’indépendance il y a 60 ans, les
pratiques démocratiques se sont délitées
régulièrement.

Dans ce contexte, à quoi sert la
candidature de Saraha Georget
Rabeharisoa ?

Le seul point positif qui ressort de ces
quatre dernières années, c’est la prise de
conscience de bon nombre d’acteurs qui ont trop souvent retenu leur parole.

On
peut dire que le drame humain engendré
par une situation sociale dramatique en
terme de santé, de précarité, de chômage
ou de déscolarisation a réveillé les
consciences. On ne pas accepter cette
spirale infernale d’autant qu’il y a une
violence latente qui est inquiétante. Il
n’y pas de solution immédiate.

Mais
en même temps, il n’existe pas, peu ou
prou, de projets politiques aujourd’hui
à Madagascar. Ceux-là se limitent à la
sauvegarde d’intérêts, de rentes et de
prébendes. Il y a donc d’autres valeurs à
véhiculer avec la conviction que seuls des
dirigeants neufs, déterminés et intègres
seraient à même de redresser une situation
devenue insupportable pour beaucoup. La
ligne politique adoptée par le parti Vert
de Saraha Georget s’inscrit d’une part sur
une volonté de rejet de l’ancienne classe
politique en prônant le refus absolu de
toute forme d’alliance ou de collusion
avec des réseaux ou des acteurs entachés
par les pratiques des anciens régimes.

Le contenu du projet de Saraha Georget
Rabeharisoa s’inscrit, d’autre part, sur la
ligne de l’écologie politique. Madagascar ne peut pas voir consommer ses ressources
naturelles sans s’interroger sur les grands
équilibres. Le premier postulat, c’est
donc de réduire les inégalités, combattre
les injustices et réguler l’utilisation des
ressources. La devise du parti, « la terre,
l’eau, l’environnement
 », un discours
centré sur le développement humain
émettent un message très fort auprès des
populations à 85% paysannes lassées de
l’égoïsme des dirigeants et de ne pas voir
leurs préoccupations immédiates prises en
compte.

Il est par contre important de souligner
que le parti Vert peut offrir une alternative
réelle à la situation actuelle. Une victoire
acquise démocratiquement de ce dernier,
et cette victoire est possible, peut à titre de
troisième voie ou NI-NI, mettre d’accord
les deux factions rivales qui se haïssent.

Comment vous êtes implantés ?

Depuis la création du Parti Vert, il y a
quatre ans, un énorme et vrai de travail
de terrain a été effectué pour opérer un
maillage serré du territoire ; Le parti s’est
construit alorspatiemment, discrètement,
sans médiatisation outrancière qui aurait
fragilisé ses militants avec une stratégie
de pénétration affirmée, sans aucune
alliance, sans ralliements... Et surtout
avec la seule immense foi de ses militants
de pouvoir trouver dans la société civile
malgache des gens qui n’ont qu’une seule
ambition : participer à l’émergence de
quelque chose de neuf et d’intègre. Un
socle militant important a été constitué au
fil des années dans les zones rurales avec
près de 300 00 membres attestés. Les gens
sont motivés, certains ont même parcouru
120 kms à pied pour assister à une réunion
de notre candidate. Il faut que l’effort
se concentre aujourd’hui sur les villes.

Cette base militante est aujourd’hui notre
force puisque nous pouvons présenter des
candidats partout à Madagascar que ce
soit pour les mairies ou la députation.

Quid de l’armée malgache qui a
toujours joué un rôle important ?

Mon analyse est que l’armée semble
éclatée avec une chaine de commandement
aujourd’hui délitée mais qui peut être
remobilisée autour d’un projet et d’une
vision. Je n’ai pas le sentiment que
l’intégralité du corps militaire soit vérolé.

Mais il est vrai que les militaires qui ont
participé au coup d’Etat en 2009 et qui en ont tiré bénéfices et avantages jusque-là sont éminemment dangereux. Dans le
pire des cas, on peut craindre une prise de
pouvoir de ces officiers et sous-officiers
qui sont derrière le régime Rajoelina.

La diplomatie française dans tout ça ?

L’erreur fondamentale de la diplomatie
française a été de nier la réalité des
forces en présence et en particulier
l’audience réelle de l’ex-président Marc
Ravalomanana. Je pense que sa chaîne
d’information a été manipulée en beauté
par des intérêts particuliers locaux qui ont
vendu la révolution orange de Rajoelina
comme une vraie révolution populaire
face à un Ravalomanana présenté comme
le pire des dictateurs. Un scénario stupide
qui arrangeait la diplomatie française.

Quatre ans après, ils ont l’air de réaliser
avec stupéfaction que Rajoelina n’est
pas le révolutionnaire romantique qu’ils
avaient imaginé et que l’audience de
Ravalomanana reste forte. D’ailleurs, si
Andry Rajoelina s’est finalement présenté
au dernier moment, malgré ses promesses
et au mépris du règlement, c’est bien
parce que Lalao Ravalomanana, épouse
de Marc, soutenue par le parti TIM,
risque de l’emporter. Et aujourd’hui,
je reste convaincu que la diplomatie
française est dans le brouillard, sans réelle
compréhension des ressources politiques
en jeu.

Propos recueillis
par Raphaël De Benito

Retour à la case départ après quatre ans de « transition »

La crise malgache a débuté en 2009 avec le renversement de Marc
Ravalomanana par le maire d’Antananarivo, Andry Rajoelina, devenu
président non élu d’une Haute autorité de la Transition. Depuis, on ne
compte plus les péripéties de négociations devant aboutir à une feuille de
route de sortie de crise sur fond d’une sourde bataille d’influence entre la
France, les Etats-Unis et les puissances régionales comme l’Afrique du Sud.
La présidentielle, prévue le 8 mai, décalée d’abord au 24 juillet et désormais
reportée sine die, devait permettre de mettre fin au régime de transition. Pour
ce faire, plusieurs figures ne pouvaient concourir à la magistrature suprême :
Rajoelina et les deux ex-présidents, Ravalomanana et Ratsiraka. Quatre ans
plus tard, Madagascar est donc au même point, prise en otage par une classe
politique soucieuse de préserver ses prébendes et des acteurs extérieurs
coupables d’ingérences. L’ex-président Didier Ratsiraka veut prendre sa
revanche contre le clan Ravalomanana qui l’a obligé à s’exiler en 2002
après son second mandat. Andry Rajoelina qui n’a pas démissionné dans
les délais impartis a déposé sa candidature hors délai et renié sa promesse
de ne pas se présenter estimant que Marc Ravalomanana n’a pas tenu son
engagement de ne pas se présenter non plus, avec la candidature de son
épouse. La décision de la Cour électorale spéciale malgache d’accepter ces
trois candidatures illégales a provoqué la colère du Groupe international de
contact sur Madagascar (GIC-M) qui rassemble tous les représentants de la
communauté internationale à Madagascar qui a suspendu le financement
du scrutin.

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Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 226 - juillet-août 2013
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