En dépit des effets d’annonce, le volet agricole et alimentaire de l’aide au développement française reste ancré dans une logique ultralibérale, au grand dam des ONG et pour le plus grand bonheur des entreprises.
Pascal Canfin, ministre délégué au Développement, était fier d’annoncer par communiqué, fin avril, que « l’Agence française de développement (l’AFD, la banque publique en charge de mettre en œuvre les projets de développement), s’engage à ne plus financer la recherche, l’achat, la promotion ou la multiplication de semences génétiquement modifiées. »
Il l’affirme, cela est garanti par « la nouvelle stratégie de l’AFD en Afrique sub-saharienne en matière de sécurité alimentaire pour les trois prochaines années », et cette « nouvelle victoire sur les OGM (...) nous fait avancer un pas de plus pour faire de l’agence, une référence en matière de développement durable ». Grande victoire, en effet. Car à moins d’un retrait anticipé, l’AFD est toujours fortement impliquée dans la filière coton au Burkina Faso, notamment au travers du Projet de renforcement de la filière cotonnière burkinabè (PRFCB).
Certes, l’agence semble avoir cédé en 2010 les dernières parts de la multinationale publique française Dagris, rebaptisée Géocoton en 2008 à l’issue de sa privatisation, qui chaperonne la plupart des sociétés cotonnières d’Afrique de l’Ouest. Mais elle n’a pas pour autant cessé d’accompagner techniquement, depuis son introduction expérimentale en 2003, le développement aujourd’hui massif du coton transgénique au Burkina Faso (Billets d’Afrique n°204, juillet-août 2011). Après Pascal Canfin qui annonce que l’AFD ne travaille plus avec les paradis fiscaux, sauf avec l’île Maurice (Billets d’Afrique n°225, juin 2013), Canfin Pascal annonce que l’AFD ne fait plus dans l’OGM, sauf avec Monsanto au Burkina ?
Surtout, en vantant ce « pas de plus », le ministre du développement omet que l’AFD marche à reculons par rapport à la « durabilité » d’une agriculture qui s’opposerait au pillage et au saccage des ressources. L’agence, avec sa filiale Proparco dédiée à l’investissement privé, continue de soutenir la prédation de l’African Agriculture Fund (AAF), un fonds d’investissement dédié à l’agriculture sur le continent africain et dont le gestionnaire, Phatisa, est basé dans ce paradis fiscal notoire qu’est l’île Maurice (Billets d’Afrique n°220, janvier 2013). Créé à l’initiative de l’AFD, de la Banque africaine de développement et de la coopération espagnole, ce fonds inclut désormais plusieurs agences de développement ainsi que des investisseurs privés européens et américains.
En trois ans, ont déjà été investis : dix millions de dollars dans l’entreprise « mauricienne » Goldtree pour des milliers d’hectares de palmier à huile au Sierra Leone (Billets d’Afrique n°220, janvier 2013) ; 24 millions de dollars dans le numéro un zambien de l’élevage en batteries de poules pondeuses, Golden Lay Limited, qui domine 15% des parts du marché national et s’accroît sur le marché de la sous-région ; 1,14 million de dollars dans l’entreprise camerounaise West End Farms pour produire du soja fourrager pour l’élevage de poules pondeuses.
Surtout, via sa filiale Golden Oil Holdings Limited elle aussi enregistrée à l’Île Maurice, l’AAF détient désormais indirectement 34,7% de Feronia, une firme canadienne qui contrôle déjà plus de 100 000 hectares dédiés au palmier à huile en république démocratique du Congo (RDC). Mais cela ne semble pas lui suffire : Feronia contrôle également 10 000 hectares de terres arables dans la région du Bas-Congo afin de produire des denrées alimentaires (riz, haricots, mil...), et annonce sur son site internet qu’elle compte porter sa surface de cultures alimentaires à 50 000 hectares d’ici dix ans. Une complicité d’accaparement des terres qui continue de faire pleinement partie de la stratégie de l’AFD.
Gilles Peltier, ancien patron de la Proparco, passé par la direction de Dagris à partir de 2003, au moment même où le coton OGM faisait son entrée au Burkina, a représenté l’AFD au Conseil de surveillance de l’AFF de sa création, en 2010, jusqu’à juin 2012. Il est donc sûr de lui lorsqu’il avance que « 25% des investissements du fonds doivent être réalisés dans l’agriculture primaire, c’est- dire la production, puis dans les secteurs amont, la transformation des produits et les services aux filières : vous évitez ainsi tous risques de dérives vers des cibles ne contribuant pas directement à la sécurité alimentaire. (...) Le fonds n’intervient que pour les cultures destinées à l’alimentation domestique ou aux exportations régionales ou sous-régionales » (Ecofin, 15 mars 2013).
Tout dépend ce qu’on appelle « dérives » et « cultures » : le dernier investissement concerne le secteur de... l’eau minérale ! L’AAF a en effet pris fin janvier une participation d’un montant inconnu dans Continental Beverage Company, la filiale ivoirienne du groupe Teylium qui commercialise depuis 2006 l’eau minérale « Olgane », pour le confort desIvoiriens les plus argentés et des expatriés. Le marché d’exploitation de la nappe phréatique de Bonoua, où est puisée cette eau, avait été accordé de gré à gré par l’ancienne première dame Simone Gbagbo, originaire de la région, puis temporairement remis en cause par le nouveau gouvernement ivoirien (Lettre du Continent, 22 septembre 2011), après le le coup de force d’Alassane Ouattara.
L’investissement d’AAF indique que tout est rentré dans l’ordre, et interroge sur la façon qu’a l’AFD de soutenir le secteur agricole en Afrique. Créé en 2001 par l’homme d’affaires sénégalais Habib Yérim Sow, dont il est l’unique actionnaire, le holding Teylium est lui aussi enregistré à Maurice, dirigé depuis Genève, administré par l’avocat et conseiller fiscal français Philippe Ledesma et l’homme d’affaires mauricien José Poncini, et pèserait dans les 220 millions d’euros (Jeune Afrique, 22 février 2011). Nourrir les requins pour faire reculer la faim ?
Au-delà même des investissements douteux cautionnés par l’AFD, la France maintient officiellement l’approche néolibérale la plus absurde et criminelle qui soit, au travers de la « Nouvelle Alliance ».
Impulsée par Barack Obama en mai 2012, et officiellement lancée en juin 2012 par le G8 et l’Alliance pour une révolution verte en Afrique (AGRA), la « Nouvelle Alliance pour la sécurité alimentaire et la nutrition en Afrique » est un boulevard pour les investisseurs financiers et les multinationales de l’agroalimentaire, abrité derrière un objectif généreux de sortir cinquante millions de personnes de la pauvreté en Afrique subsaharienne d’ici à dix ans. Sur le même principe que le Millennium Challenge Corporation, lancé en son temps par G.W. Bush pour allier aides publiques des Etats-Unis et investissements privés dans une logique d’ultra-libéralisation des économies des pays « bénéficiaires », cette « nouvelle alliance » est surtout conçue comme un cadre destiné à favoriser l’investissement privé en Afrique subsaharienne.
Les Etats membres du G8 s’engagent en effet à coordonner leurs efforts d’investissements publics pour favoriser la concrétisation d’investissements privés envisagés par des entreprises partenaires... et les Etats cibles (un terme qui convient mieux que « bénéficiaires ») sont invités à aménager leur législation pour favoriser ces investissements, dans la droite ligne des recommandations habituelles de la Banque mondiale. En 2012, six pays étaient concernés : le Burkina Faso, la Côte d’Ivoire, l’Éthiopie, le Ghana, le Mozambique et la Tanzanie. Et près d’une centaine d’entreprises nationales et internationales s’étaient déjà empressées d’émarger aux différents « cadres de coopération » conçus pour chaque pays, dont les mastodontes de l’agroalimentaire et les semenciers promoteurs d’OGM : Yara International ASA au Burkina Faso, Cargill en Côte d’Ivoire, Monsanto en Tanzanie...
Comme chaque pays du G8 a en charge l’effort de « coordination » pour un pays cible, la France coordonne la Nouvelle alliance pour... le Burkina Faso, où la révolution agricole passe justement par le coton OGM, depuis dix ans. Interrogé par l’ONG française CCFD-terre solidaire, le ministre Pascal Canfin avait tenu à se démarquer de cette initiative, en amont du dernier sommet du G8 : « La vision défendue par certains acteurs de cette Alliance, en particulier les grandes entreprises de l’agroalimentaire n’est pas la nôtre », lui souhaitant plutôt « infléchir ses orientations dans un sens autre que l’agrobusiness, la monoculture et l’exportation » (Faim et Développement Magazine, mai 2013). Ses protestations ne pèseraient-elles pas plus lourd que celles d’une cinquantaine de réseaux et d’organisations de la société civile africaine, cosignataires d’une déclaration demandant « à qui profite la modernisation de l’agriculture africaine ? » et exhortant à changer de logique ? Lors du sommet de juin dernier, à Lough (Irlande du Nord), le G8 a effet décidé d’étendre cette alliance au Bénin, au Malawi et au Nigéria. Quelle inflexion !
Quant aux entreprises hexagonales, elles ont évidemment saisi la balle au bond dès l’année dernière, notamment dans les pays francophones : Cémoi, Compagnie fruitière, Danone, Louis Dreyfus, Groupe Mimran, Groupe CIC, émargent ainsi aux différents cadres de coopération déjà signés pour les six premiers pays. Comme le dénoncent cinq ONG françaises, elles sont ainsi « aux premières loges, et constituent le premier contingent d’entreprises internationales impliquées dans la Nouvelle Alliance, [qui s’inscrit] dans la continuité de cette diplomatie économique lancée en tant que « priorité » par le ministre des Affaires étrangères à l’occasion de la conférence des ambassadeurs d’août 2012 et portée depuis par François Hollande et l’ensemble du gouvernement ». Y compris Pascal Canfin, il faut croire.