Survie

Retour sur le déclenchement de l’opération Serval

rédigé le 3 juillet 2013 (mis en ligne le 2 septembre 2013) - Raphaël Granvaud

Officiellement, c’est dans
la précipitation qu’a été
déclenchée la guerre au
Mali, et pour répondre à
l’urgence de la situation que
les promesses françaises
de non-intervention et les
mandats de l’ONU ont été
piétinés.

L’association Survie a déjà rapporté
dans ses publications, avant et
après le déclenchement de cette
opération, les éléments qui accréditent
au contraire la thèse d’une opération
préméditée et planifiée de longue date.

Notre guerre secrète au Mali, le dernier
livre des reporters du Figaro, Isabelle
Lasserre et Thierry Oberlé, qui ne
cachent pas leur admiration pour une
intervention si bien menée, apporte de
l’eau à notre moulin. Si l’on en croit
les témoignages et confidences qu’ils
ont recueillis, c’est en 2009 qu’est
élaboré le plan « Requin » pour traquer
AQMI au Mali, qui sera très largement
repris.

Entre mai et août 2012, « le
principe de l’intervention est acquis
 ».
Les militaires français ont également
anticipé « le fait qu’ils devraient, le
jour venu, agir seuls
 ». Mieux, « ils ont
toujours rêvé d’y aller seuls, pour être
plus efficaces
 » selon « un proche de
l’ancienne équipe au pouvoir
 ». C’est
ensuite fin octobre que « la décision
d’utiliser des chasseurs bombardiers
et d’envoyer des hommes à terre est
formalisée, par écrit, bien avant le
début de la guerre
 ». Soit juste avant que
Hollande ne déclare à nouveau que la
France n’interviendrait « en aucun cas
elle-même au Mali
 » et se contenterait
de « soutenir logistiquement et par la
formation
 » les forces africaines...

« Une liste de prétextes a été établie »

Parallèlement « depuis le 26 juin 2012,
dans le secret des quartiers généraux,
une liste de prétextes qui justifieraient
une rapide intervention française a
été établie. Parmi eux, l’exécution
d’un otage ou un
mouvement mena­­çant des jihadistes.
 »

Comme le rappellent
les auteurs, « per­sonne n’a jamais eu,
depuis, la preuve que
les groupes jihadistes
entendaient
s’emparer de la
capitale malienne
 »,
mais
selon
un
officier
général,
« ce prétexte était
parfait
 »,
et cela
même si d’autres
auraient pu faire
l’affaire. Pourquoi
les groupes narco-salafistes armés qui
occupent le Nord
ont-ils cru pouvoir
mener une offensive
en direction du Sud ?

Une « énorme erreur
stratégique
 » selon
les commentateurs,
puisqu’ils auraient
sous-estimé la déter­mination de la France
à intervenir militairement. Cette erreur
a-t-elle été encouragée s’interrogent
les auteurs ?

Une « scénarisation » de la France au Mali ?

Oui, répond catégoriquement une autre
publication. Dans un dossier assez
détaillé du n°77 de la revue Navire et
Histoire (revue surtout dédiée à l’étude
des marines militaires), le rédacteur en
chef, Frédéric Stahl, tout aussi admiratif
de l’intervention française, affirme
d’une part qu’Ansar Dine est tombé
dans « un piège tendu par Paris », et
d’autre part que l’importance de son
offensive a été délibérément exagérée
dans les médias pour les besoins de
la cause. « Les terroristes à Bamako
dans 48 heures » : la scénarisation
de la France au secours au Mal
i »,
résume-t-il. Lasserre et Oberlé ne
reprennent pas à leur compte cet aspect
de la « manœuvre médiatique » et ne
tranchent pas la première question.

Ils se contentent de rapporter :

« Une
question suscite l’embarras de certains
de nos interlocuteurs : la France, ou
quelque puissance étrangère autre, a-t-elle provoqué la descente des jihadistes
vers le sud, afin, justement, de créer ce
prétexte nécessaire à l’action, avant que
les conditions météo ne se détériorent –
extrême chaleur et vents de sable à partir
du mois d’avril – et n’obligent à reporter
l’opération militaire ? (...) Les principaux
chefs d’AQMI, qui se contentaient de gérer
leur sanctuaire du Nord, ne voulaient pas
franchir la ligne de démarcation. A qui
profite le crime, si ce n’est à la France ?
Peut-être à l’Algérie, qui s’opposait au
déploiement d’armées africaines dans
cette zone saharienne qu’elle considère
comme son arrière-cour.
 »

Des zones d’ombre subsistent donc
incontestablement, mais une chose
est claire : certains mensonges de la
guerre française contre le terrorisme
ont fait long feu.

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Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 226 - juillet-août 2013
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