Survie

Serval : une guerre au service de la croissance française

rédigé le 1er septembre 2013 (mis en ligne le 4 novembre 2013) - Gérard Moreau

L’intervention militaire au Mali a été l’occasion d’une opération de communication de
grande ampleur, avec en perspective des retombées économiques non négligeables …
pour la France. Comme le dit le site du premier ministre du Mali : « Ensemble, les deux
pays ont gagné la guerre ; ensemble ils gagneront la paix ». Le mot « gagner » prend tout
son sens.

Placée dès le départ sous le signe
du rétablissement de la
démocratie et de la lutte contre
la barbarie djihadiste, l’opération Serval a
été l’occasion d’une autopromotion
systématique : « une guerre éclair » ,
« rarement une opération militaire fut
aussi bien préparée
 », « un savoir-faire
exceptionnel
 », « la plus importante
action militaire menée par la France
depuis un demi-siècle

 ».

Les combats débutent le 10 janvier 2013,
et moins d’un mois plus tard Hollande
triomphe à Bamako : « la journée la plus
importante de ma vie politique
 ».
Depuis, à propos du Mali, la
communication des autorités françaises
est devenue euphorique, sans que les
médias cherchent un peu à calmer les
esprits.

  • JeanYves Le Drian : « Je suis très fier que les forces maliennes soient en tête du défilé du 14 juillet [1] ».
  • Pascal Canfin : « Pendant des années la France soutenait des dictatures en Afrique, aujourd’hui nous soutenons des démocraties »
  • Laurent Fabius : « l’élection, probablement, n’a pas été parfaite mais c’est la meilleure qui ait eu lieu depuis l’indépendance » … « Le Mali a sans doute plus avancé en sept mois qu’en plusieurs années [2] ».

Un déferlement de communication « positive », où doute et réflexion n’ont
aucune place : une propagande qui
marque profondément les esprits et
masque efficacement les mensonges sur
l’absence d’intérêt économique.

Entraîner l’adhésion et banaliser la tutelle

Un encadrement systématique des
journalistes qui ne montrent du conflit
que ce que les autorités françaises veulent
bien montrer débouche sur un spectacle
étrange. Des cartes, beaucoup de photos,
mais pas de sang, pas de blessés, pas de
cadavres, sauf ceux des français.
Sur le site armée de Terre, les officiers
communicants se laissent aller : « Du
débarquement du bâtiment de projection
et de commandement (BPC) Dixmude à la
réfection de la piste de Tombouctou, en
passant par l’aérolargage
de sapeurs et
de véhicules d’aménagement du terrain,
revivez les temps forts de ces derniers
jours
 ». Et la presse se vautre dans cette
complaisance guerrière : « vivez minute
par minute les derniers événements de la
guerre du Mali
 ».

Aussi, quand le Premier Ministre français
déclare « l’opération Serval est une
réussite politique
 », il veut sans doute
parler de l’adhésion, de la cohésion
nationale et de l’unanimité, que cette
communication a réussi à obtenir. Grâce à
cette opération, les citoyens français
avalent tout. Ils trouvent plus que normal
d’intervenir militairement, évident
d’exercer une tutelle politique, militaire,
culturelle, et tout naturel de conquérir les
parts de marché.

La banalisation de la tutelle va permettre,
sans scrupule, de présenter la facture à
l’un des pays les plus pauvres du monde.

Derrière la façade de générosité tapageuse

On sait à quel point la « diplomatie
économique
 » est chère au gouvernement.
Pour s’implanter au Mali, remporter des
marchés, c’est le moment où jamais…
surtout si les capitaux sont apportés par
d’autres. Lors de la conférence des
donateurs du 15 mai 2013, 3,2 milliards
d’euros ont été annoncés. Même si
habituellement, les versements réels sont
loin des promesses, une partie de ce beau
pactole peut servir à faire tourner les
entreprises françaises et dynamiser
l’emploi, d’autant que la France ne
contribue à ces promesses qu’à hauteur de
15% [3].

Hollande avait beau affirmer que la
France «  ne défend aucun calcul
économique ou politique
 », des
entreprises françaises sont déjà bien
implantées au Mali. Les Maliens
téléphonent français Orange
tient 60%
du marché boivent
français Bramali
qui a le quasi monopole des boissons
gazeuses, y compris le coca ,
est une
filiale du français Castel, et ils payent
français : les billets de francs CFA sont
fabriqués en Auvergne, à Chamalières.

Les entreprises françaises n’auront pas
attendu le deuxième tour des
présidentielles pour emporter de
nouveaux marchés. Grâce à la société
Morpho, qui a fabriqué les cartes
d’électeur, les maliens ont voté français et
Albatros technologies a remporté un
marché de 3,5 milliards de francs CFA
pour améliorer le centre de données de
l’état civil [4]... La liste des négociations en
cours est longue : EADS, pour des avions
et des hélicoptères, Securicom et EHC
LLC pour la sécurité ; Egis, filiale Caisse
des Dépôts à 75 %, a emporté la
concession pour 30 ans [5] de l’aéroport
Bamako-Senou,
avec menaces de
licenciements à la clé. Et si les sociétés
qui achètent les droits d’exploration
minière ne sont pas françaises, l’opérateur
technique, FORACO, une société basée à
Marseille fait des forages depuis 2 ans à
Faléa.

Quoi de plus naturel que ce soit les industriels français qui accourent ?

En juillet 2013, une délégation du Medef
a été accueillie à bras ouverts par le
Premier Ministre par intérim. Cette
délégation était dirigée par Michel
Roussin, vieux crocodile du marigot de la
Françafrique [6]. « Le chef du gouvernement a souhaité la
bienvenue à la trentaine d’industriels
français qui ont fait le déplacement de
Bamako
 ».

Et le site du Premier ministre
malien
ne cache pas qu’il s’agit bien de
renvoyer l’ascenseur : « Quoi de plus
naturel qu’après l’intervention héroïque
des soldats français, ce soit les
industriels du même pays qui accourent
au chevet d’un pays encore marqué par
les stigmates de la violence dévastatrice ?

 ». Autrement dit dans la concurrence
entre opérateurs du monde entier,les
Français doivent avoir l’avantage.

Ainsi la partie se joue à trois : les
bailleurs donnent et prêtent, les Français
récupèrent le maximum de marchés, et
les Maliens remboursent. La rapacité
s’expose derrière le rideau de fumée de la
générosité. Aux yeux d’un certain nombre
de Maliens, la façade brillante de la
communication française faite de
générosité et de démocratie a déjà
commencé à se fissurer. On souhaiterait
aussi que les citoyens français suivent cet
exemple.

[1Jean-Yves Le Drian : « Je suis très fier que les forces maliennes soient en tête du défilé du 14 juillet », rfi.fr, 13 juillet 2013

[2Mali : Keïta donné en tête de la présidentielle, Cissé conteste, Libération, 29 juillet 2013

[3Promesses
d’aide au Mali, Ministère des
affaires étrangères, 19 juin 2013

[4Mali :
la France des patrons ne perd pas de
temps, blog de Thierry Labro sur Mediapart, 2
juillet 2013

[5Vers
une concession de l’aéroport de
Bamako Sénou : L’opposition ferme des
travailleurs, journal malien Le 22 septembre,
12 août 2013

[6actuellement
conseiller du président d’ EDF
, après avoir exercé des responsabilités :
SDECE, Générale des Eaux, Ville de Paris,
Eiffage, Bolloré, et avoir fait un bref séjour
rue Monsieur, comme ministre de la
Coopération, … une condamnation en 2008
dans Affaire des marchés publics d’ÎledeFrance

#GénocideDesTutsis 30 ans déjà
Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 227 - septembre 2013
Les articles du mensuel sont mis en ligne avec du délai. Pour recevoir l'intégralité des articles publiés chaque mois, abonnez-vous
Pour aller plus loin
a lire aussi