Survie

Mali : continuité des hommes et des institutions

rédigé le 1er octobre 2013 (mis en ligne le 2 décembre 2013) - Gérard Moreau

Alors que l’intervention Serval a permis de renforcer la mise sous tutelle du Mali, la
composition du nouveau gouvernement laisse-t-elle présager une nouvelle relation ? Les
« liens privilégiés hérités de l’histoire » vont-ils pouvoir se desserrer ?

Le 4 septembre 2013, le président élu
prête serment, le 6 il nomme le
Premier ministre, le 8 il nomme un
gouvernement composé de 34 ministres et
déclare : « Le Mali est debout et en ordre
de marche
 ». Il est malheureusement à
craindre que les relations entre ce nouveau
gouvernement malien et les autorités
françaises s’inscrivent dans la continuité.

La continuité des hommes

Le Président Ibrahim Boubacar Keïta
(IBK) connaît très bien la France. Au
total, il y aura vécu plus de 20 ans. Etudes
supérieures à Paris, Maîtrise d’histoire et
DEA. Il est ensuite chargé de recherche au
CNRS et enseigne à Paris Tolbiac. La
quarantaine venue, il rentre au Mali,
devient conseiller du Fonds Européen de
Développement (FED), puis directeur de
l’ONG Terre des Hommes France, pour le
Mali, le Burkina-Faso
et le Niger.

C’est donc un homme qui, de sa formation
à son activité professionnelle, aura
toujours travaillé dans le cadre
d’organismes français et européens avant
d’en arriver aux responsabilités politiques.

En 1993, il est promu ministre des
Affaires étrangères d’Alpha Oumar
Konare et, en 1994, Premier ministre,
poste qu’il occupera pendant 6 ans. Il a
alors comme interlocuteur Charles
Josselin, Ministre français de la
Coopération à partir de 97. Or la politique
africaine de la France est aujourd’hui
pilotée par d’anciens membres du cabinet
ou conseillers de Josselin : Anne Paugam,
actuelle directrice générale de l’Agence
Française de Développement (AFD),
Hélène Le Gal, aujourd’hui conseillère
Afrique de Hollande et François
Croquette, actuel directeur de cabinet de
Pascal Canfin (Lettre du Continent,
18/09).

Peut-on
imaginer une continuité plus
poussée du personnel politique ? Les
responsables français vont donc travailler
avec un Président malien qu’ils
connaissent bien.

En 1999, à l’occasion du congrès de
l’Internationale Socialiste (IS) à Paris,
ouvert par François Hollande alors
secrétaire général du PS, IBK devient
vice-président
de l’IS.

Quant aux relations plus personnelles, il
est permis de supposer qu’elles sont
fortes. Le site Maliwebécrivait par
exemple le 22/11/10
 : « Convié par son
ami, le député maire socialiste d’Evry,
Manuel Valls, Ibrahim Boubacar Keita,
député de Bamako, a participé, en
Octobre 2010 à un colloque à Paris : la
nouvelle Afrique, bilan après 50 ans
d’indépendance.
 »

Tout cela ne signifie pas que le président
Keita sera un homme soumis aux diktats
des autorités françaises, son sens de
l’honneur est célèbre, ce n’est pas un
homme soumis. Mais, la collaboration sur
des années, les dossiers montés ensemble,
les réunions, et même les désaccords ne
peuvent pas ne pas créer d’habitudes qui
facilitent la relation, qui donnent
spontanément la priorité aux amis de
longue date. « Quand vient la saison des
pluies, l’eau du marigot retrouve toujours
le même chemin
 ».

Le gouvernement nommé par IBK
présente un dosage entre deux profils :
d’un côté bon nombre de ministres issus
de la vieille garde des politiciens, bien
connus des Maliens (comme la Ministre
des Finances), de l’autre de jeunes
présentés comme « neufs », n’ayant pas
trempé dans les combines, des
technocrates particulièrement compétents.

Si le président IBK est un familier des
hommes de pouvoir français, le Premier
Ministre et le Ministre du Budget eux
qui
sont des nouveaux venus en politique pourront-ils
garder leurs distances et se
tenir loin de toute connivence avec
l’ancien colonisateur ?

L’ombre de la BCEAO

Selon RFI (5/09), « Outre [ses] qualités
techniques, le nouveau Premier ministre
n’a pas été choisi par hasard. Un homme
n’ayant jamais assumé des responsabilités
ministérielles au Mali, un homme dont la
nomination peut paraître comme une
volonté du changement, voilà des critères
qui ont pesé dans le choix d’Oumar Tatam
Ly au poste de Premier ministre.
 » Comme
tant de médias, la radio française insiste
sur la «  volonté de changement  » et oublie
de préciser que le Premier ministre comme
le ministre du budget ont
effectué l’essentiel de leur carrière à la
BCEAO, la Banque Centrale des Etats de
l’Afrique de l’Ouest.

Or derrière la façade de ce prestigieux
bâtiment qui domine la capitale se cache
une institution majeure de la Françafrique.

La banque régionale qui gère le franc
CFA, une monnaie encore aujourd’hui
sous le contrôle de la Banque de France,
exerce des responsabilités très étendues :
la politique monétaire de 8 Etats, le bon
fonctionnement des systèmes de
paiement, la politique de change, la
gestion des réserves.

Les hommes peuvent changer au fil du
temps, mais l’institution entretient ses
règles et sa discipline, perpétuant une
véritable situation de curatelle, statut
donné à une personne quand elle « est
hors d’état d’agir elle même
 ».

Le Premier Ministre, O.T. Ly est entré à la
BCEAO en 1994, il y a occupé différents
postes de responsabilité, dont celui de
Directeur National pour le Mali en 2009.
En 2012 il devient le Conseiller Spécial
du Gouverneur, au siège central de la
BCEAO, à Dakar. Au total O.T. Ly aura
passé plus de 18 ans au service de cette
banque, instrument central de la tutelle
française.

Quant au Ministre du Budget, Madani
Touré, il présente un parcours très proche
de celui du Premier Ministre. Comme lui,
il entre à la BCEAO en 1994, et y retourne
après une parenthèse de 2000 à 2009 où il
est membre du cabinet du Premier
ministre. Ce qui lui fait une expérience de
9 années à la BCEAO. Ainsi, le premier
ministre comme le ministre du Budget ont
appris à travailler sous la surveillance de
fonctionnaires français, qui ont un siège,
de droit, dans les instances dirigeantes la
BCEAO (Comité de politique monétaire,
Conseil d’administration, Commission
bancaire). Et ils ont intégré la règle qui
veut que le Mali, comme les autres pays
de la Zone Franc, n’est pas maître de sa
politique monétaire.

Depuis leurs nouveaux fauteuils
ministériels, ils risquent de ne pas
batailler contre la France pour faire
changer les règles qui perpétuent la
tutelle.

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Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 228 - octobre 2013
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