Survie

CPI : Consécration Pénale de l’Impunité

rédigé le 3 novembre 2013 (mis en ligne le 13 novembre 2013) - Odile Tobner

L’engagement de poursuites contre le président du Kenya a provoqué la réunion, le 12 octobre, d’un sommet extraordinaire de l’Union Africaine consacré à « la relation entre l’Afrique et la Cour pénale internationale » et intensifié les attaques portées par certains chefs d’État africains, notamment anglophones, contre la cour, accusée de limiter ses poursuites à l’Afrique, de pratiquer une justice « sélective et politique » (Kagame), voire « impérialiste et raciste » (Kenyatta). Il est vrai qu’à voir les visages des poursuivis affichés sur le site de la CPI, on se croirait dans un rêve du Ku Klux Klan plutôt qu’à l’aube d’une justice universelle. La CPI ne serait-elle finalement qu’un moyen supplémentaire de s’assurer la soumission des gouvernements africains, une menace brandie contre les non-alignés ?

Il est de fait que les règles de fonctionnement de la CPI constituent une régression au regard des principes démocratiques les plus élémentaires [1]. Ainsi les victimes n’ont pas accès à la CPI, qui ne peut être saisie que par le Conseil de sécurité ou les États parties. C’est la consécration d’une justice politique, au mépris du principe de la séparation des pouvoirs. le Conseil de sécurité de l’ONU est le véritable procureur de la CPI, puisqu’il peut bloquer ou être à l’initiative des poursuites. Le fait est d’autant plus choquant que trois membres du Conseil de sécurité, les États-Unis, la Russie et la Chine ne sont pas États parties. C’est consacrer doublement l’impunité des grandes puissances et de leurs alliés.

Or nul n’ignore la part prise par celles-ci, notamment la France et les États-Unis, dans les déstabilisations et les sanglantes guerres civiles qui déchirent l’Afrique. Limitant ses poursuites au continent africain, on ne voit pas comment la CPI pouvait dès lors ne pas être instrumentalisée au service des intérêts géostratégiques de celles-ci. C’est ce qui s’est passé en Afrique francophone, où elle agit comme un nouvel instrument de la Françafrique. Loin de toute impartialité, elle a pris franchement partie dans la guerre civile qui, loin des caméras, continue à ensanglanter la Côte d’Ivoire : si Laurent Gbagbo est retenu à la Haye, en attente de son jugement, aucune poursuite n’est engagée contre les chefs des milices du nord, tels Guillaume Soro, qui ont plongé le pays dans la guerre civile et dont les massacres ont servi la venue au pouvoir de Ouattara. Au contraire, Soro a été chaleureusement reçu par Moreno Ocampo, procureur près de la cour jusqu’en juin 2012.

Quant au traitement réservé par les deux procureurs successifs de la CPI au sinistre Compaoré, il offense l’idée même d’une justice internationale. Après qu’Ocampo en a fait son interlocuteur privilégié, Fatou Bensouda, actuel procureur près la CPI, voit en lui « un acteur important dans la paix, la justice et le règlement des conflits ». L’impunité dont jouit le plus grand fauteur de guerre en Afrique de l’ouest, celui qui a armé et entretenu les guerres civiles du Liberia, l’allié de Charles Taylor condamné pour complicité de crimes en Sierra-Leone, celui qui a suscité et nourri la rébellion en Côte d’Ivoire, donné asile aux rebelles du Mali, est consacrée, c’est un comble, par l’institution créée contre l’impunité ! Cette instrumentalisation politique de la CPI la réduit à n’être qu’une imposture. Plutôt que la défendre aveuglément en l’état en spéculant sur une hypothétique amélioration, les ONG, dont Survie, qui ont soutenu le projet ambitieux d’une justice internationale doivent exiger une profonde réforme qui remette au premier rang la plainte des victimes quelles qu’elles soient, faute de quoi cette institution risque de sombrer dans un discrédit qui abolira pour longtemps l’espoir de voir reculer l’impunité.

[1Cf. Théophile Kouamouo, Cinq bonnes raisons de dire non à la CPI, in Le nouveau Courrier

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