Survie

Valls en Mauritanie ou Tintin dans un état narco-terroriste ?

rédigé le 1er décembre 2013 (mis en ligne le 3 février 2014) - Issa Bâ

Le 17 novembre dernier, le ministre de l’intérieur français, Manuel Valls, s’est rendu en
Mauritanie dans le cadre de sa tournée en Afrique de l’Ouest. Il a signé avec son
homologue mauritanien un protocole d’accord portant sur le renforcement de la
coopération entre la France et la Mauritanie dans le domaine de la sécurité, de la lutte
contre le terrorisme, le trafic des drogues. Au vu du bilan du régime mauritanien dans ces
domaines, il paraît bien peu pertinent de coopérer avec lui.

D’une part, il est peu judicieux
d’apporter ainsi sa caution à un
pouvoir contesté, notamment
dans sa volonté d’organiser coûte que
coûte des élections législatives et
municipales qu’une partie de l’opposition
a annoncé boycotter.

D’autre part, en terme de sécurité et de
gouvernance, la Mauritanie est un
partenaire douteux. La preuve en fut
apportée dès le lendemain lors de la
répression par les forces de l’ordre
mauritaniennes d’une manifestation
s’opposant à la tenue de ces élections. La
police a ainsi tabassé des manifestants
pacifiques aux dires du correspondant de
l’AFP (18/11/2013) et du journal
Alakhbar. Un journaliste de ce journal qui
couvrait l’événement a également été
légèrement blessé. Un comble au
lendemain d’un protocole d’accord pour la
gouvernance et alors que la France fait
adopter un texte à l’ONU demandant aux
États de mettre fin à l’impunité et d’aller
jusqu’au bout des enquêtes dans les
crimes commis contre les journalistes...

Par ailleurs, alors qu’« en matière de
renseignements, de formation de la
gendarmerie, de la police, d’utilisation
des nouvelles technologies d’information
et de communications
 », Manuel Valls
affirme « [pouvoir] aller
incontestablement plus loin
 » (RFI,
18/11/2013), on peut légitimement se
demander ce que cela recouvre... peut-être
un appui dans la surveillance des
communications... ? Au terme de la
cérémonie de signature de l’accord, a été
remis un lot d’équipements et de
matériels sécuritaire et informatique
destinés aux services de sécurité
mauritaniens...

Enfin, le ministre français n’a pas mégoté
sur la brosse à reluire envers le général-putschiste-président
mauritanien,
Mohamed Ould Abdel Aziz,
«  [considérant] avec beaucoup
d’admiration son engagement et
l’engagement de la Mauritanie pour la
sécurité du Sahel, pour lutter contre le
terrorisme et les trafics de drogue
 ».

Or, dans tous ces domaines, le bilan du
président mauritanien est douteux.
Rappelons tout d’abord que les autorités
maliennes se méfient de leurs
homologues mauritaniennes, leur refusant
toute participation aux contingents de la
MINUSMA eu égard au jeu trouble
qu’elles auraient joué dans la crise au
Nord du pays. Nouakchott était en effet
devenue la capitale diplomatique du
MNLA, alors que certains à Nouakchott
suggèrent des liens entre le clan
présidentiel et certains éléments du
MUJAO.

Liaisons dangereuses

Quant à la lutte antiterroriste, la
Mauritanie n’est pas non plus à l’abri de
tout soupçon. Ainsi, pour déstabiliser le
président élu de l’époque puis légitimer
son renversement, le général Aziz avait
beaucoup usé de la ficelle de la lutte
contre le terrorisme au risque de paraître
la tirer (lire Billets d’Afrique n°171,
juillet-août
2008, n°173, octobre 2008,
n°185, novembre 2009).

Cette hypothèse
n’est pas seulement une lubie de mauvais
esprit, mais est aussi reprise à demimot
par certains spécialistes. Ainsi en août
2010 sur RFI, à une question sur la
dangerosité des groupes islamistes armés
en Mauritanie, Alain Chouet, ancien chef
de la sécurité de la DGSE répondait
qu’«  il y a une situation interne à la
Mauritanie qu’il faudrait observer, avec
un certain nombre de rivalités de pouvoir,
et puis peutêtre
aussi d’incapacité de
contrôler le territoire.
 »...

Mais le point le plus polémique et le plus
risqué est sans doute la question de la
drogue. Rappelons que le président Abdel
Aziz a porté plainte contre le député Vert
français Noël Mamère qui l’avait accusé
sur Arte en janvier dernier d’être un
« parrain de la drogue ». À l’appui de ses
propos, Mamère avait fait référence à
« une grâce présidentielle accordée à un
trafiquant de drogue et des relations
poussées avec un consul de Guinée-Bissau
plaque tournante du trafic de drogue, qui a pignon à la présidence
mauritanienne
 ». Des propos repris par
Nicolas Beau dans son dernier livre
« Papa Hollande au Mali ».

Pourtant en
septembre 2009,un câble de l’ambassade
états-unienne à Nouakchott, révélé par
Wikileaks
, s’inquiète déjà de la
perspective de voir la Mauritanie se
transformer en « narco-État
 ». Ce même
câble reprend les propos de JeanLuc
Peduzzi, commissairedivisionnaire
attaché de sécurité intérieur en
Mauritanie pour le Ministère des Affaires
Étrangères français. Celui-ci,
à propos de
l’extradition d’un trafiquant de drogue
vers la Mauritanie, interprète
« l’enthousiasme d’Aziz à coopérer
comme un signe qu’il n’est pas impliqué
dans le trafic de drogue.
 »

Le câble
reprend « les Français sont convaincus
qu’Aziz n’aurait jamais accepté
l’extradition si lui ou un de ses proches
avait eu des liens avec le trafic de
drogue
 ». Or c’est à ce trafiquant que
Mamère faisait référence quand il
affirmait qu’il avait bénéficié d’une grâce
présidentielle...

Dans ce même câble, Alain Antil,
chercheur à l’Institut Français des
Relations Internationales, propose une
estimation du trafic de drogues en
Mauritanie en 2007 à 237 millions de
dollars, soit 8,5 % du PIB mauritanien.

L’ambassade états-unienne synthétise ses
propos en une formule : «  le considérable
impact macroéconomique du trafic fait
qu’il est impossible de croire que les
chefs politiques et gouvernementaux en
Mauritanie ne sont pas impliqués dans le
problème
 », en effet « le trafic ne peut se
faire sans s’assurer que la drogue
arrivera en tout sécurité à destination
 ».
Le chercheur est également cité : « au
mieux, les autorités sont payées pour
fermer les yeux. Au pire, elles
participent.
 »

Peut-être
que M. Valls
ferait bien de se poser la question s’il
n’entend pas coopérer avec un narco-État
en signant cet accord de coopération
sécuritaire...

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Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 230- décembre 2013
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