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Afrique de l’Ouest : Alerte à l’APE !

rédigé le 3 mars 2014 (mis en ligne le 6 mai 2014) - Marie Bazin

Le 24 janvier 2014, les négociateurs européens et ouest-
africains ont conclu l’accord de partenariat économique
(APE) entre l’Union européenne et l’Afrique de l’Ouest.
Après plus de 10 ans de négociations, dictées le plus
souvent par les pressions intenses de l’UE mais aussi par
les résistances émanant de la société civile et des Etats
africains, la signature de cet accord de libre-échange est
aujourd’hui imminente.

L’’accord
négocié
prévoit
la
libéralisation
des
échanges
commerciaux de biens, assortie d’un
programme d’aide au développement
censé faciliter sa mise en œuvre. Il est
présenté comme un « compromis » mais
force est de constater que les pays
d’Afrique de l’Ouest n’ont obtenu de l’UE
que de maigres concessions. Les marchés
ouest­africains seront ouverts à 75%, avec
une période transitoire de 20 ans, au lieu
des 80% demandés par l’UE, sur 15 ans.

En revanche l’UE a obtenu gain de cause
sur la plupart des points d’achoppement
des négociations. Pour les produits exclus
de l’accord, les pays africains devront
geler les droits de douane à leur niveau
actuel, et ils n’auront pas le droit d’utiliser
des restrictions quantitatives pour limiter
les exportations européennes sur leur
territoire.

Deux
clauses
sont
particulièrement dénoncées par les
organisations de la société civile dans une
déclaration du 14 février : la clause de la
nation la plus favorisée et la clause de
rendez­-vous. La première stipule que tout
avantage commercial plus favorable
accordé par l’Afrique de l’Ouest à un pays
développé ou émergent devra aussi être
aussi fourni à l’UE, ce qui réduit
considérablement les marges de manœuvre
des pays africains pour la diversification de
leurs partenaires commerciaux et nie les
particularités économiques de chaque pays
ou zone. La clause de rendez-­vous prévoit,
6 mois après la conclusion de l’APE, une
rencontre avec l’UE pour entamer des
négociations sur les services, la propriété
intellectuelle, les investissements, etc,
alors qu’il n’existe pas encore de politiques
communes pour ces secteurs en Afrique de
l’Ouest et qu’il revient d’abord aux pays
africains de construire leurs propres
stratégies.

Les conséquences de l’APE pour
l’économie des pays ouest-­africains sont
prévisibles : perte de revenus via la baisse
des recettes fiscales (estimée à 1,8 milliard
de dollars pour les 5 prochaines années),
destruction des industries locales
naissantes du fait de la concurrence avec
les produits européens, et à terme
augmentation de la pauvreté.

Preuve que l’UE est parfaitement
consciente de ces difficultés à venir, elle
s’est engagée à fournir à l’Afrique de
l’Ouest 6,5 milliards d’euros d’aide au
développement sur 5 ans. D’une part, il
s’agit du redéploiement de fonds déjà
existants, et d’autre part, l’existence même
d’un tel programme de développement
prouve que l’APE ne crée pas un
partenariat économique réciproque et
égalitaire mais maintient au contraire les
pays d’Afrique de l’Ouest dans une
relation de subordination : il place ces pays
dans l’obligation de quémander une aide
financière à l’UE pour s’adapter à des
règles strictes et inéquitables imposées par
cette même institution. L’APE inscrit donc
dans le marbre la domination économique
européenne sur l’Afrique de l’Ouest, et
maintient une relation profondément
déséquilibrée, héritée de la colonisation,
qui nie la souveraineté de ces pays. Les
méthodes employées par les négociateurs
européens laissaient présager un tel
résultat.

La loi du plus fort, retour sur douze ans de négociations

Les négociations des APE entre l’UE et les
pays ACP (Afrique, Caraïbes, Pacifique)
ont débuté en 2002. Il s’agissait
officiellement de se conformer aux règles
de l’Organisation Mondiale du Commerce
(OMC) en mettant un terme à l’accès
préférentiel au marché européen octroyé
aux pays ACP (jugé discriminatoire pour
les autres partenaires commerciaux) au
moyen d’un accord de libre-­échange. Les
pays ACP bénéficiaient déjà d’un accès
total au marché européen, pour le plus
grand bonheur des multinationales qui y exploitent les matières premières et
peuvent ainsi les exporter sans droits de
douane en Europe. L’objectif de ces APE
était que les pays ACP ouvrent à leur tour
leurs marchés aux produits européens.
Face aux difficultés de négociations d’un
accord unique pour un ensemble
hétérogène de pays et pour éviter une
mobilisation collective des pays ACP, le
processus a été segmenté par zones
géographiques. En Afrique de l’Ouest, les
oppositions aux APE ont été fortes, en
particulier au Sénégal en 2006­-2007.
Pendant plusieurs années, les négociations
sont restées au point mort.

En conséquence, les négociateurs
européens ont adopté une stratégie
particulièrement offensive : des accords
intérimaires bilatéraux ont été signés avec
le Ghana fin 2007 et avec la Côte d’Ivoire
en 2008, puis en 2013 l’UE a posé un
ultimatum pour que ces accords soient mis
en œuvre avant le 1er octobre 2014, sous
peine de retirer à ces pays leur accès
préférentiel au marché européen. Cette
stratégie visait à créer une pression sur
l’intégration régionale en Afrique de
l’Ouest en menaçant de faire exploser
l’union douanière en construction : ces
deux accords bilatéraux, s’ils étaient mis
en œuvre, risquaient de profondément
déstructurer les échanges commerciaux
dans la région. En mettant une telle
pression sur toute la zone, l’UE s’est donné
un levier considérable dans les
négociations régionales qui lui a permis de
faire passer en force des dispositions
particulièrement inéquitables, allant même
au­delà de ce que l’OMC exigeait
initialement.

Union européenne prédatrice

Cette stratégie de division témoigne du
mépris de l’UE pour la souveraineté des
Etats africains et pour les processus
d’intégration régionale. A mille lieues des
objectifs déclarés de développement, de
soutien de la cohésion régionale et de
réduction de la pauvreté.

Mais l’UE, par la voix de sa Commission
européenne, est une habituée du grand
écart entre les discours et les actes, comme
le confirment les autres accords
commerciaux en négociation, que ce soit
avec des pays en développement ou
développés. Pour stimuler l’économie
européenne, elle semble prête à tout pour
préserver ses avantages et favoriser son
secteur privé, au détriment de la
souveraineté des Etats et des droits de leurs
citoyen­ne­s.

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Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 233 - mars 2014
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