Le 24 janvier 2014, les négociateurs européens et ouest- africains ont conclu l’accord de partenariat économique (APE) entre l’Union européenne et l’Afrique de l’Ouest. Après plus de 10 ans de négociations, dictées le plus souvent par les pressions intenses de l’UE mais aussi par les résistances émanant de la société civile et des Etats africains, la signature de cet accord de libre-échange est aujourd’hui imminente.
L’’accord négocié prévoit la libéralisation des échanges commerciaux de biens, assortie d’un programme d’aide au développement censé faciliter sa mise en œuvre. Il est présenté comme un « compromis » mais force est de constater que les pays d’Afrique de l’Ouest n’ont obtenu de l’UE que de maigres concessions. Les marchés ouestafricains seront ouverts à 75%, avec une période transitoire de 20 ans, au lieu des 80% demandés par l’UE, sur 15 ans.
En revanche l’UE a obtenu gain de cause sur la plupart des points d’achoppement des négociations. Pour les produits exclus de l’accord, les pays africains devront geler les droits de douane à leur niveau actuel, et ils n’auront pas le droit d’utiliser des restrictions quantitatives pour limiter les exportations européennes sur leur territoire.
Deux clauses sont particulièrement dénoncées par les organisations de la société civile dans une déclaration du 14 février : la clause de la nation la plus favorisée et la clause de rendez-vous. La première stipule que tout avantage commercial plus favorable accordé par l’Afrique de l’Ouest à un pays développé ou émergent devra aussi être aussi fourni à l’UE, ce qui réduit considérablement les marges de manœuvre des pays africains pour la diversification de leurs partenaires commerciaux et nie les particularités économiques de chaque pays ou zone. La clause de rendez-vous prévoit, 6 mois après la conclusion de l’APE, une rencontre avec l’UE pour entamer des négociations sur les services, la propriété intellectuelle, les investissements, etc, alors qu’il n’existe pas encore de politiques communes pour ces secteurs en Afrique de l’Ouest et qu’il revient d’abord aux pays africains de construire leurs propres stratégies.
Les conséquences de l’APE pour l’économie des pays ouest-africains sont prévisibles : perte de revenus via la baisse des recettes fiscales (estimée à 1,8 milliard de dollars pour les 5 prochaines années), destruction des industries locales naissantes du fait de la concurrence avec les produits européens, et à terme augmentation de la pauvreté.
Preuve que l’UE est parfaitement consciente de ces difficultés à venir, elle s’est engagée à fournir à l’Afrique de l’Ouest 6,5 milliards d’euros d’aide au développement sur 5 ans. D’une part, il s’agit du redéploiement de fonds déjà existants, et d’autre part, l’existence même d’un tel programme de développement prouve que l’APE ne crée pas un partenariat économique réciproque et égalitaire mais maintient au contraire les pays d’Afrique de l’Ouest dans une relation de subordination : il place ces pays dans l’obligation de quémander une aide financière à l’UE pour s’adapter à des règles strictes et inéquitables imposées par cette même institution. L’APE inscrit donc dans le marbre la domination économique européenne sur l’Afrique de l’Ouest, et maintient une relation profondément déséquilibrée, héritée de la colonisation, qui nie la souveraineté de ces pays. Les méthodes employées par les négociateurs européens laissaient présager un tel résultat.
Les négociations des APE entre l’UE et les pays ACP (Afrique, Caraïbes, Pacifique) ont débuté en 2002. Il s’agissait officiellement de se conformer aux règles de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) en mettant un terme à l’accès préférentiel au marché européen octroyé aux pays ACP (jugé discriminatoire pour les autres partenaires commerciaux) au moyen d’un accord de libre-échange. Les pays ACP bénéficiaient déjà d’un accès total au marché européen, pour le plus grand bonheur des multinationales qui y exploitent les matières premières et peuvent ainsi les exporter sans droits de douane en Europe. L’objectif de ces APE était que les pays ACP ouvrent à leur tour leurs marchés aux produits européens. Face aux difficultés de négociations d’un accord unique pour un ensemble hétérogène de pays et pour éviter une mobilisation collective des pays ACP, le processus a été segmenté par zones géographiques. En Afrique de l’Ouest, les oppositions aux APE ont été fortes, en particulier au Sénégal en 2006-2007. Pendant plusieurs années, les négociations sont restées au point mort.
En conséquence, les négociateurs européens ont adopté une stratégie particulièrement offensive : des accords intérimaires bilatéraux ont été signés avec le Ghana fin 2007 et avec la Côte d’Ivoire en 2008, puis en 2013 l’UE a posé un ultimatum pour que ces accords soient mis en œuvre avant le 1er octobre 2014, sous peine de retirer à ces pays leur accès préférentiel au marché européen. Cette stratégie visait à créer une pression sur l’intégration régionale en Afrique de l’Ouest en menaçant de faire exploser l’union douanière en construction : ces deux accords bilatéraux, s’ils étaient mis en œuvre, risquaient de profondément déstructurer les échanges commerciaux dans la région. En mettant une telle pression sur toute la zone, l’UE s’est donné un levier considérable dans les négociations régionales qui lui a permis de faire passer en force des dispositions particulièrement inéquitables, allant même audelà de ce que l’OMC exigeait initialement.
Cette stratégie de division témoigne du mépris de l’UE pour la souveraineté des Etats africains et pour les processus d’intégration régionale. A mille lieues des objectifs déclarés de développement, de soutien de la cohésion régionale et de réduction de la pauvreté.
Mais l’UE, par la voix de sa Commission européenne, est une habituée du grand écart entre les discours et les actes, comme le confirment les autres accords commerciaux en négociation, que ce soit avec des pays en développement ou développés. Pour stimuler l’économie européenne, elle semble prête à tout pour préserver ses avantages et favoriser son secteur privé, au détriment de la souveraineté des Etats et des droits de leurs citoyennes.