Après l’annonce du verdict du procès de Pascal Simbikangwa, France Info a diffusé une chronique intitulée « France Info Juniors » où le chef adjoint du service Monde de la rédaction, Yves Izard, répondait aux questions de jeunes sur le génocide des Tutsi. Ce qui aurait pu être un bon exercice pédagogique s’est révélé être en fait un morceau de propagande douteuse pour dédouaner la France ou, au mieux, de confusion pure.
La chronique commence pourtant sur une définition sans ambiguïté du terme de génocide : une destruction organisée d’une population. Mais le journaliste verse aussitôt dans une grille de lecture ethnique : le génocide serait par définition commis sur un groupe « par un autre groupe », « les Hutu » dans le cas du Rwanda, là où les définitions juridiques ne parlent nullement de « groupe » mais parfois d’« un État » et il est bien plus juste de parler d’« extrémistes » que de simples « Hutu » pour désigner les génocidaires. Ce qui pourrait n’être que le fruit d’un effort exagéré de simplification va s’aggraver dans la suite de la chronique pour devenir une falsification.
Après une présentation plutôt juste des crimes commis depuis les années 60, le journaliste explique que la France était présente dans le pays depuis longtemps, pour participer « à une mission de maintien de la paix » (ce qui est faux, puisqu’il s’agissait d’aider en réalité l’armée rwandaise à combattre un ennemi et qu’il n’y avait aucun mandat de l’ONU), et que « le président Mitterrand connaissait bien le président rwandais qui était un Hutu modéré ». M. Yzard, dans cette dernière phrase nie le fait qu’Habyarimana était un dictateur, que la torture se pratiquait sous son régime, que de nombreux massacres de Tutsi ont eu lieu avec la participation des autorités. S’il est vrai qu’il a signé les accords de paix, la modération n’est certainement pas ce qui le qualifiait. Le journaliste évite ainsi le sujet principal : la France a soutenu dès le début un régime infréquentable qui préparait le génocide, en pleine connaissance de cause. Dans le même ordre d’idées, M. Yzard précise que la France a formé la gendarmerie et l’armée rwandaise et qu’elle « a ensuite été accusée d’avoir formé les milices [...] qui ont fait ce génocide », occultant donc que les forces régulières rwandaises ont été le fer de lance du génocide, que la France ne serait donc pas moins complice en s’étant limitée à leur formation.
« Pourquoi les Français ont aidé les Hutu et pas les Tutsi ? ». Confus, le journaliste affirme que les Français ne les ont pas aidés, mais que « c’est un peu l’Histoire qui a fait que les choses se sont trouvées comme ça » (?). Il poursuit, « tout aurait pu s’arranger en 93 », parlant des accords de paix prévoyant un gouvernement de coalition « Tutsi et Hutu », mais il y a eu l’assassinat du président rwandais « et là tout a dérapé très très gravement ». Passons sur cette nouvelle réduction de la politique à l’ethnisme, Yzard nie là encore la méticuleuse préparation du génocide et affirme aux « juniors » que c’est l’attentat qui est à la base du génocide.
Le journaliste affirme ensuite que la France « est intervenue pendant le génocide pour tenter de le faire cesser » alors que l’opération Turquoise a cherché, avant tout, à stopper l’avancée du FPR (désigné comme l’ennemi par les gradés français), et a organisé la fuite des génocidaires vers le Zaïre. C’est nettement au FPR qu’on doit l’arrêt du génocide.
Un jeune demande alors si « c’est un peu comme si on avait aidé les nazis pendant la deuxième guerre mondiale ». Yves Yzard est ferme : « non » , « la France a été prise dans ses contradictions », « c’est vrai qu’il y a des faits qui ne sont pas très clairs, notamment dans la destruction de l’avion » (?), « en 2008, Bernard Kouchner [...] a admis une faute politique de la France, mais sans aller jusqu’à présenter des excuses », « donc il n’y a pas du tout une comparaison... comme si on avait aidé les nazis ». L’argumentation confuse et sans logique du journaliste ne prouve rien du tout et ne consiste qu’à nier ce qu’il a pourtant partiellement reconnu auparavant (via les formations) : la France a bel et bien aidé les génocidaires.
Yves Yzard affirme ensuite, au sujet de l’opération Turquoise, que la France « est la seule à avoir fait quelque chose », puis évoque « une démission de l’ONU » : « on a voulu envoyer des casques bleus mais ils n’étaient pas armés ». Il manque d’informations ou ment délibérément sur l’intervention de l’ONU au Rwanda : la MINUAR était présente dès 1993 au Rwanda, avec des armes. Il lui a d’ailleurs été refusé de saisir des stocks d’armes avant le génocide. Il n’a donc pas été question « d’envoyer des casques bleus », mais au contraire, une résolution a retiré l’essentiel des effectifs onusiens du Rwanda. La France, membre du Conseil de sécurité, a participé à cette décision de retrait. Par ailleurs, elle a tenté de s’opposer à l’embargo sur les armes, puis, rédigeant le mandat de l’opération Turquoise, en a exclu l’arrestation des responsables du génocide. Affirmer que la France, qui a pleinement participé à freiner l’ONU, est « la seule à avoir fait quelque chose » est une présentation particulièrement biaisée du déroulé des faits.
Enfin, abordant la question des génocidaires présents sur le sol français, le journaliste explique l’impunité par le simple cours de la justice qui doit prendre le temps de rassembler des preuves. Il oublie opportunément de parler de l’absence de poursuites à l’initiative du Parquet, qui dépend de l’exécutif. Il oublie aussi les refus des gouvernements successifs de déclassifier certains documents et les manipulations importantes, et aujourd’hui avérées, autour du dossier monté par le juge Bruguière sur l’attentat.
Il ressort de cette chronique la curieuse impression que les jeunes, censés être éclairés par le journaliste, ont bien plus à lui apprendre, par le bon sens qui transparaît de leurs questions.