Survie

Propagande pour petits et grands sur France Info

rédigé le 1er avril 2014 (mis en ligne le 7 avril 2014) - Mathieu Lopes

Après l’annonce du verdict du procès de Pascal Simbikangwa, France Info a diffusé une chronique intitulée « France Info Juniors » où le chef adjoint du service Monde de la rédaction, Yves Izard, répondait aux questions de jeunes sur le génocide des Tutsi. Ce qui aurait pu être un bon exercice pédagogique s’est révélé être en fait un morceau de propagande douteuse pour dédouaner la France ou, au mieux, de confusion pure.

La chronique commence pourtant
sur une définition sans ambiguïté
du terme de génocide : une
destruction organisée d’une population.
Mais le journaliste verse aussitôt dans
une grille de lecture ethnique : le
génocide serait par définition commis
sur un groupe « par un autre groupe »,
« les Hutu » dans le cas du Rwanda, là
où les définitions juridiques ne parlent
nullement de « groupe » mais parfois
d’« un État » et il est bien plus juste de
parler d’« extrémistes » que de simples
« Hutu » pour désigner les génocidaires.
Ce qui pourrait n’être que le fruit d’un
effort exagéré de simplification va
s’aggraver dans la suite de la chronique
pour devenir une falsification.

Intox immodérée

Après une présentation plutôt juste des
crimes commis depuis les années 60, le
journaliste explique que la France était
présente dans le pays depuis longtemps,
pour participer « à une mission de
maintien de la paix
 » (ce qui est faux,
puisqu’il s’agissait d’aider en réalité
l’armée rwandaise à combattre un
ennemi et qu’il n’y avait aucun mandat
de l’ONU), et que « le président
Mitterrand connaissait bien le président
rwandais qui était un Hutu modéré
 ». M.
Yzard, dans cette dernière phrase nie le
fait qu’Habyarimana était un dictateur,
que la torture se pratiquait sous son
régime, que de nombreux massacres de
Tutsi ont eu lieu avec la participation
des autorités. S’il est vrai qu’il a signé les
accords de paix, la modération n’est
certainement pas ce qui le qualifiait. Le
journaliste évite ainsi le sujet principal :
la France a soutenu dès le début un
régime infréquentable qui préparait le
génocide, en pleine connaissance de
cause. Dans le même ordre d’idées, M.
Yzard précise que la France a formé la
gendarmerie et l’armée rwandaise et
qu’elle « a ensuite été accusée d’avoir
formé les milices [...] qui ont fait ce
génocide
 », occultant donc que les
forces régulières rwandaises ont été le
fer de lance du génocide, que la France
ne serait donc pas moins complice en
s’étant limitée à leur formation.

« Tout a dérapé »

« Pourquoi les Français ont aidé les Hutu
et pas les Tutsi ?
 ». Confus, le journaliste
affirme que les Français ne les ont pas
aidés, mais que « c’est un peu l’Histoire
qui a fait que les choses se sont trouvées
comme ça
 » (?). Il poursuit, « tout aurait
pu s’arranger en 93
 », parlant des accords
de paix prévoyant un gouvernement de
coalition « Tutsi et Hutu », mais il y a eu
l’assassinat du président rwandais « et là
tout a dérapé très très gravement
 ».
Passons sur cette nouvelle réduction de la
politique à l’ethnisme, Yzard nie là encore
la méticuleuse préparation du génocide et
affirme aux « juniors » que c’est l’attentat
qui est à la base du génocide.

Le journaliste affirme ensuite que la
France « est intervenue pendant le
génocide pour tenter de le faire cesser
 »
alors que l’opération Turquoise a cherché,
avant tout, à stopper l’avancée du FPR
(désigné comme l’ennemi par les gradés
français), et a organisé la fuite des
génocidaires vers le Zaïre. C’est
nettement au FPR qu’on doit l’arrêt du
génocide.

Un jeune demande alors si « c’est un peu
comme si on avait aidé les nazis pendant
la deuxième guerre mondiale
 ». Yves
Yzard est ferme : « non » , « la France a
été prise dans ses contradictions
 », « c’est
vrai qu’il y a des faits qui ne sont pas très
clairs, notamment dans la destruction de
l’avion
 » (?), « en 2008, Bernard
Kouchner [...] a admis une faute
politique de la France, mais sans aller
jusqu’à présenter des excuses
 », « donc il
n’y a pas du tout une comparaison...
comme si on avait aidé les nazis
 ».
L’argumentation confuse et sans logique
du journaliste ne prouve rien du tout et ne
consiste qu’à nier ce qu’il a pourtant
partiellement reconnu auparavant (via les
formations) : la France a bel et bien aidé
les génocidaires.

C’est la faute à l’ONU

Yves Yzard affirme ensuite, au sujet de
l’opération Turquoise, que la France
« est la seule à avoir fait quelque
chose
 », puis évoque « une démission de
l’ONU
 » : « on a voulu envoyer des
casques bleus mais ils n’étaient pas
armés
 ». Il manque d’informations ou
ment délibérément sur l’intervention de
l’ONU au Rwanda : la MINUAR était
présente dès 1993 au Rwanda, avec des
armes. Il lui a d’ailleurs été refusé de
saisir des stocks d’armes avant le
génocide
. Il n’a donc pas
été question « d’envoyer des casques
bleus
 », mais au contraire, une
résolution a retiré l’essentiel des effectifs
onusiens du Rwanda. La France,
membre du Conseil de sécurité, a
participé à cette décision de retrait. Par
ailleurs, elle a tenté de s’opposer à
l’embargo sur les armes, puis, rédigeant
le mandat de l’opération Turquoise, en a
exclu l’arrestation des responsables du
génocide. Affirmer que la France, qui a
pleinement participé à freiner l’ONU, est
« la seule à avoir fait quelque chose »
est une présentation particulièrement
biaisée du déroulé des faits.

Enfin, abordant la question des
génocidaires présents sur le sol français,
le journaliste explique l’impunité par le
simple cours de la justice qui doit
prendre le temps de rassembler des
preuves. Il oublie opportunément de
parler de l’absence de poursuites à
l’initiative du Parquet, qui dépend de
l’exécutif. Il oublie aussi les refus des
gouvernements successifs de déclassifier
certains documents et les manipulations
importantes, et aujourd’hui avérées,
autour du dossier monté par le juge
Bruguière sur l’attentat.

Il ressort de cette chronique la curieuse
impression que les jeunes, censés être
éclairés par le journaliste, ont bien plus à
lui apprendre, par le bon sens qui
transparaît de leurs questions.

#GénocideDesTutsis 30 ans déjà
Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 234 - avril 2014
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