Nécessité de protéger les nationaux, intérêts stratégiques et militaires, manipulation du
droit à l’autodétermination, la propagande de domination ne varie guère d’un coin de
l’échiquier à l’autre.
À la faveur d’un référendum local organisé à la va-vite et en réaction
au renversement de son vassal
ukrainien, Vladimir Poutine vient de
réintégrer la Crimée à la Russie. Pour
Sergueï Lavrov, son ministre des affaires
étrangères, « ce cas ne peut pas être
examiné isolément, sans regarder les
précédents historiques. (...) La Crimée
signifie incomparablement plus pour la
Russie que les Malouines pour le
RoyaumeUni ou les Comores pour la
France ».
Cette conclusion du ministre russe des
affaires étrangères en conférence de
presse à Londres, le 14/03, suivait
l’exemple qu’il avait choisi de détailler
pour
illustrer
le
droit
à
l’autodétermination. « Aux Comores, au
siècle dernier, il y a eu un référendum sur
l’indépendance et la France a insisté
pour compter les votes non pas dans
l’ensemble des Comores, mais pour les
compter séparément pour chaque île.
Alors Mayotte est restée française,
d’abord comme un territoire colonial
[Territoire d’outremer], puis plus tard
[en 2011] elle fut intégrée à la
République française comme un simple
département. Était-ce une annexion, ou
de l’autodétermination ? Les Nations
unies et l’Union africaine n’ont pas
accepté cette décision française mais
l’Union européenne le vit très bien ! ».
Cette leçon d’histoire mérite quelques
précisions. Car les Mahorais furent
consultés à plusieurs reprises sur le mode
de l’autodétermination. L’archipel des
Comores figurait depuis 1972 sur la liste
des territoires non autonomes des Nations
unies. En décembre 1974, à la question
« souhaitez-vous que le territoire des
Comores devienne indépendant ? » posée
par un décret du gouvernement français,
les Comoriens répondirent oui à 95 %. Il
faut dire qu’avec un cruel manque d’eau
douce, un unique hôpital, un unique lycée, une liaison maritime réduite à quatre
bateaux venant de France en 1974,
l’archipel et ses 300 000 habitants était de
loin le plus pauvre de tous les Territoires
d’outremer, quasiment laissé à l’abandon
par la métropole.
Mais lors de la
déclaration d’indépendance des Comores
de l’été 1975, Mayotte, appuyée par Paris,
fit sécession. Plus petite, plus riche et
moins peuplée que les trois autres îles, ses
habitants avaient voté à 63 % contre
l’indépendance lors de la consultation. Elle
resta occupée par la France et ses
160 légionnaires du Détachement de
Mayotte, pendant que des manœuvres
navales dissuadaient les nouvelles
autorités comoriennes d’en prendre
possession et que Bob Denard renversait le
premier chef d’État comorien. Depuis cette
décolonisation ratée, l’exécutif français a
consulté les Mahorais à trois reprises. En
1976 pour confirmer le vote de 1974 et
devenir Collectivité territoriale, en 2000
pour
le
statut
de
Collectivité
départementale, enfin en 2009 pour la
départementalisation. Mais en droit
international, ces consultations n’ont pas
plus de valeur que le référendum de
Crimée.
La seule fois où, comme aujourd’hui la
Russie, la France s’est isolée en utilisant
son droit de veto au Conseil de sécurité, ce
fut à la veille du référendum de 1976, pour
faire barrage à une résolution qui
demandait explicitement à la France de
renoncer au référendum et de respecter
l’intégrité territoriale de l’État comorien.
La même année, ce fut donc l’Assemblée
générale des Nations unies qui, dans sa
résolution 31/4, demanda un retrait
français immédiat de Mayotte et
condamna par avance toute consultation
ultérieure des Mahorais ainsi que toute
forme de légalisation de « la présence
coloniale française en territoire comorien
de Mayotte ». Bien que moins ferme, la
résolution 49/18 de l’Assemblée générale
de 1994 a réaffirmé la souveraineté de
l’État comorien sur Mayotte.
Alors, à quand une égalité de traitement
entre les responsables russes sanctionnés
individuellement et leurs collègues
français qui refusent de rendre Mayotte ?