Survie

Sommet Europe-Afrique : beaucoup de bruit pour rien...

rédigé le 28 avril 2014 (mis en ligne le 1er juillet 2014) - Guillaume Olivier

Le 4ème Sommet Union Européenne-Afrique, début avril, a été l’occasion d’une nouvelle
déclaration d’intentions, que l’on ne peut même pas qualifier de « bonnes » tant la cécité
semble de rigueur en matière de politique étrangère de l’UE, qui évite une fois de plus les
sujets qui fâchent.

Bruxelles, le 2 avril dernier à 9h du
matin. Les premières sirènes de
police se font entendre, suivies
par le vrombissement de quatre motards
bloquant la circulation sur l’avenue
Louise. Un convoi de 5 véhicules aux
vitres fumées entourés de véhicules de la
police belge est lancé à 70km/h pour
entrer rue Belliard, dont une voie lui est
réservée jusqu’à l’imposant Justus
Lipsius, le bâtiment du Conseil de
l’Union Européenne. C’est le premier
cortège présidentiel en route pour le 4ème
Sommet UE-Afrique.
Les mesures de
restriction de la circulation sont certes
moins impressionnantes que lors de la
venue, quelques jours plus tôt, du
Président américain Barack Obama et de
celle du Président chinois Xi Jinping.
Mais le sommet UE-Afrique,
qui réunit
plus de 60 dirigeants africains et
européens, 90 délégations au total,
constitue pour la capitale belge la plus
grande réunion de Chefs d’Etat depuis
plusieurs décennies.

Durant 2 journées censées conclure une
série d’événements et de colloques autour
de la « société civile » et des «  jeunes
entrepreneurs africains
 », les Chefs d’Etat
ont alterné les réunions publiques (celles
prévues dans le programme officiel du
Sommet) et les réunions off : celles qui
transparaissent le moins aux yeux du
public mais demeurent les plus
importantes -et
les plus stratégiques- pour
les délégations.

"Bis repetita placent"

Concernant le Sommet « officiel », les
Chefs d’Etat se sont accordés
laborieusement sur une Déclaration finale
soulignant « l’étroitesse des liens entre
l’UE et l’Afrique, ainsi que leur
attachement aux valeurs partagées que
sont la démocratie, le respect des droits
de l’homme, l’État de droit, la bonne
gouvernance, ainsi que le droit au
développement
 », ainsi qu’une feuille de
route (encore une !) à suivre pour la
période 2014-2017.
Malgré la reconnaissance
implicite d’un échec de la stratégie
adoptée lors du Sommet de Lisbonne en
2007, ces deux nouveaux documents ne
constitueront pas des références pour les
années à venir, tant le jargon d’usage et la
prudence de la Déclaration finale, ajoutés
au manque d’engagements et d’objectifs
concrets de la feuille de route, sont
marqués.

Ahmed Ould Teguedi, ministre mauritanien des Affaires étrangères et président en exercice du Conseil exécutif de l’Union africaine, au côté de Catherine Ashton, Première vice-présidente de la Commission européenne et Haute Représentante de l’Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité.
Photo CC European External Action Service

Dans le chapitre Paix et Sécurité, il n’est
même pas fait référence aux événements
du Printemps arabe, peut-être
pour faire
oublier que les derniers hôtes des
Sommets Afrique-UE
ont été Hosni
Moubarak (Sommet du Caire en 2000)
puis le Colonel Kadhafi (Sommet de
Tripoli en 2010) lorsque la Libye était en
voie de normalisation auprès de la
Communauté internationale. Les Chefs
d’Etat s’engagent à « opérationnaliser la
Force africaine en attente et à
reconnaître la Capacité Africaine de
Réponse Immédiate aux Crises (CARIC)
comme un dispositif transitoire et
complémentaire à la Force africaine en
attente
 ». Ils mentionnent bien sûr
l’importance de la lutte contre le
terrorisme et la piraterie, chère aux
Européens, et s’engagent à renforcer le
dialogue politique sur la justice pénale
internationale « y compris la question de
la juridiction universelle dans les
instances convenues entre les deux
parties
 ». De l’eau coulera encore sous les
ponts pour quelques temps...

Doctrine APE et OMC

Le chapitre relatif à la Prospérité n’est
qu’une redite de déclarations antérieures,
réitérant l’engagement conjoint de
mobiliser 100 milliards de dollars par an
à l’horizon 2020 (tous types de
financements confondus) mais diminuant
la part de l’aide au profit du commerce,
de l’investissement et de la mise en place
des zones de libre échange pour se
conformer aux exigences de l’OMC, et
enjoignant aux « deux parties [de]
poursuivre leurs négociations sur les
Accords de Partenariat Economique en
utilisant toutes les possibilités de
conclure des APE orientés vers le
développement et compatibles avec
l’OMC
 ». Pas un mot n’est prononcé sur
les paradis fiscaux, sur l’ampleur des flux
illicites ni sur le pillage des ressources
naturelles. Les Chefs d’Etat se limitent à
« assurer une gestion prudente et
transparente de nos ressources naturelles
respectives dans l’intérêt de nos
populations en particulier dans les zones
de conflit et dans le respect des principes
de bonne gouvernance
 ». L’UE quant à
elle « rappelle son approche en matière
d’approvisionnement responsable en
minerais et propose un dialogue sur ces
questions
 ».

"Causes profondes" et déclarations superficielles

Le dernier chapitre sur les Populations
permet de soulever la question des
migrations prônant une politique de lutte
contre les migrations illégales «  en
s’attaquant aux racines du phénomène et
en s’assurant, entre autres moyens, d’une
politique de retours efficace et concertée
entre les pays d’origine, de transit et de
destination
 ». Une vague Déclaration sur
la Migration et la Mobilité
est annexée à
la Déclaration finale du Sommet,
s’engageant à lutter contre l’immigration
illégale « en promouvant une coopération
efficace et complète pour éviter les
conséquences dramatiques de la
migration illégale et protéger la vie des
migrants, en couvrant tous les aspects
pertinents, y compris la prévention, le
renforcement de la gestion des migrations
et des frontières, la lutte contre le trafic
de migrants, le retour et la réadmission
(y compris le retour volontaire), ainsi que
de s’attaquer aux causes profondes de
l’immigration clandestine
 ». Seuls points
concrets : 1) une référence à la réduction
des coûts des envois de fonds de la
diaspora, notamment par l’Institut
Africain pour les transferts de fonds
(encore fallait-il
que certains États
européens, comme la France, ne tuent pas
les précédentes initiatives en ce sens) et
2) la réaffirmation du respect des droits
de l’homme fondamentaux des migrants,
indépendamment de leur statut juridique.

Enfin, la feuille de route 2014-2017
accorde bien sûr un chapitre à la
« Démocratie, bonne gouvernance et
droits de l’homme
 », qui se contente de
mentionner avec un vocabulaire convenu
le renforcement de la coopération en
matière de « lutte contre la corruption et
le blanchiment de capitaux, le
renforcement du rôle des institutions du
secteur public, y compris l’obligation de
rendre des comptes et la transparence,
l’État de droit et la gouvernance des
ressources naturelles comprenant des
mesures visant à mettre fin à leur
exploitation illégale
 ». Pas un mot sur les
biens mal acquis (seuls les biens culturels
devant être restitués sont mentionnés).
Pas un mot sur les réelles possibilités
d’alternance politique, peut-être
pour ne
pas froisser l’Algérie qui, quelques jours
après la tenue du Sommet, allait « réélire
 » Abdelaziz Bouteflika (dont la
« réélection » était prévue pour la mi-avril)
ou le Burkina Faso, le prochain sur
la liste. Pas une amorce d’autocritique,
un objectif à atteindre, un engagement
concret. Le lendemain à 16h, on entendait
le premier cortège présidentiel quitter le
Justus Lipsius pour rejoindre l’un des
nombreux hôtels réservés pour l’occasion
ou l’aéroport international.

L’Allemagne, poids lourd de l’UE.. y compris en Afrique

Que restera-t-il
de ce 4ème Sommet UE-Afrique
 ? Au final, pas grand chose.
Même la « visibilité » chère à l’UE n’a
semble-t-il
pas atteint son objectif. En off,
on retiendra surtout le forcing de la
France pour impliquer l’Europe en
République Centrafricaine (RCA) lors
d’une réunion ad-hoc
tenue en marge du
Sommet à laquelle le Président Hollande
participait (au lendemain des élections municipales françaises), le coup de gueule
d’Idriss Déby mécontent de voir ses
troupes critiquées en RCA (il avait pris
l’habitude d’être considéré comme le
principal allié des occidentaux en Afrique
sahélienne) et, de façon notable, la
montée en puissance de l’Allemagne dans
la politique européenne en Afrique, sur
plusieurs fronts. Diplomatique d’abord,
avec une aide plus ciblée (comme la
construction du bâtiment à Addis-Abeba
censé héberger le Conseil pour la Paix et
la Sécurité de l’Union Africaine ainsi
qu’un centre de veille et de réaction, 27
millions euros) associée à une influence
accrue vis-à-vis
de la France (à l’instar de
la conférence de presse tenue
conjointement par le couple Hollande-Merkel
à l’issue du Sommet, ou des
visites programmées des ministres
allemands des Affaires étrangères et de la
Défense en Afrique subsaharienne).
Mais
cela concerne également le volet militaire,
avec un engagement qui devrait accroître
l’influence de l’Allemagne au sein des
opérations européennes dans les années à
venir : outre les actions déjà en cours ou à
venir au Mali, en Somalie, en
Centrafrique et dans le Golfe de Guinée,
l’Allemagne se veut également proactive
dans le renforcement des capacités
africaines, le « Ertüchtigungsinitiative »
promu par Angela Merkel (Enable and
Enhance Initiative, E2I). L’influence
inégalée de l’Allemagne au sein de l’UE
commence ainsi à se manifester dans sa
sa politique africaine.

On atteint des sommets...
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Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 235 - mai 2014
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