Faute de courage et d’intelligence chez ses gouvernants, l’État
français n’a pas fini de s’empêtrer dans les conséquences de
son soutien à la dictature qui a commis un génocide au Rwanda
en 1994. L’ONU, les USA, la Belgique, impliqués dans cette tragédie à
des degrés divers, ont présenté des excuses au Rwanda ; la France,
indéniablement la plus impliquée, persiste dans la dénégation.
Ainsi, quand, à l’occasion de la commémoration du vingtième anniversaire
du génocide, le président du Rwanda évoque le rôle de la France dans
la préparation et l’exécution du génocide, l’exécutif français pousse
les habituels cris d’orfraie, parlant d’accusations "indignes", selon le
Premier ministre, "inacceptables", dixit le ministre de la Défense, et
annule le déplacement de la ministre de la Justice à Kigali. Cette
vaine agitation, comble du ridicule, n’a servi qu’à faire mettre en
pénitence notre ambassadeur à Kigali, et n’a en rien apaisé un grave
contentieux historique qui exige des réponses plus sérieuses.
Mais peut-il jamais y avoir une heure de vérité pour une
Françafrique qui s’est toujours nourrie de mensonges ? Dans son
discours de politique générale, le Premier ministre s’indigne qu’on
puisse laisser penser que la France a pu être complice d’un génocide,
"alors que son honneur c’est toujours de séparer les belligérants". Rien
n’est plus faux qu’une telle assertion. Elle est fausse à propos du
Rwanda, où la France est intervenue en 1990 pour sauver d’un
effondrement imminent un régime fanatique et corrompu, et a favorisé
en 1994, après le début du génocide, le putsch de la fraction la plus
fanatisée de ce régime. Elle est fausse à propos de la cinquantaine
d’interventions de l’armée française en Afrique francophone depuis
1960, où la France a toujours été partie prenante, le plus souvent au
soutien de dictatures ethnicistes et criminelles contre des rébellions
populaires, parfois de putschs contre des régimes peu dociles. C’est
même un objectif constant de la politique africaine de la France que
de chercher à préserver son emprise en attisant les dissensions
civiles de pays fragiles, quitte à prétendre venir y remédier une fois le
pays à feu et à sang. Du Cameroun à la Côte d’Ivoire, du Togo au
Congo Brazza, du Tchad au Niger, que d’assassinats, que de
violences, que de massacres sous l’égide de la France ! Tous les
moyens de la propagande la plus sophistiquée peinent à dissimuler
que les dernières interventions au Mali et en Centrafrique poursuivent
le même but : contrôler ces pays plutôt que leur permettre de
résoudre leurs divisions.
Le génocide des Tutsi au Rwanda est la conséquence extrême
d’une politique africaine constamment intrusive, arrogante et
criminelle. Aucune logique historique, territoriale ou stratégique
n’appelait la France dans ce pays. Pourquoi Giscard, ivre de
domination africaine, a-t-il étendu le patronage de la France aux
anciennes colonies belges ? Pourquoi Mitterrand et son fils Jean-
Christophe se sont-ils liés au clan Habyarimana ? Cet holocauste
révèle les tares congénitales de la Françafrique : une classe politique
française coupée de la réalité, engluée dans ses propres mensonges,
dans sa prétention à commander aux pays africains et ses relations
exclusives avec ce qu’il y a de pire dans les classes dirigeantes
locales, et une armée française toujours partante pour les aventures
africaines qui sont sa dernière raison d’être.