Survie

Centrafrique. Sangaris : Le Drian à confesse

rédigé le 28 avril 2014 (mis en ligne le 1er juillet 2014) - Raphaël Granvaud

Dans une interview à Jeune Afrique, le ministre de la Défense reconnaît
quelques erreurs… pour mieux éluder les questions les plus dérangeantes.

On est loin de l’assurance initiale
avec laquelle le chef de l’Etat
avait vendu l’opération Sangaris,
se faisant fort de ramener la paix, la
stabilité et d’organiser les élections en
6 mois. Selon D. Merchet, « les militaires
[avaient] convaincu le président de la
République que la partie serait facile
 »
(Blog Secret Défense, 24/02)
Aujourd’hui, le ministre de la Défense
confesse à trois reprises une erreur
d’appréciation, pour justifier l’incapacité
de Sangaris à empêcher l’épuration
ethnique dont la population musulmane a
été victime : « on découvre l’ampleur des
haines interreligieuses, probablement
sous-estimées
et qui justifient d’autant
plus notre intervention et son urgence
 ».
Mais l’excuse témoigne surtout que les
ressorts de la crise restent incompris ou
négligés : les crispations identitaires et
religieuses ne sont pas la cause, mais le
produit des affrontements en Centrafrique.
Elles ont été instrumentalisées
sous Bozizé, exacerbées par les exactions
de la Séléka au pouvoir, et ont connu un
coup d’accélérateur à la suite des
massacres et des représailles contre les
civils qui ont suivi l’offensive des anciens
partisans de Bozizé, le 5 décembre. Ces
derniers avaient alors tenté, sous le
masque des anti-Balakas,
de prendre de
vitesse la force Sangaris en discussion à
l’ONU.

Préméditation

A ce sujet, Merchet rapporte : « la
préparation de ce coup de force était
parfaitement connue des autorités
françaises, qui n’ont pourtant rien fait
 »
(17/03). La question se pose de savoir si
les risques de cette attaque ont été sous-estimés
ou simplement ignorés. Alors que
la priorité des autorités françaises est
alors de dégager Djotidia, n’a-t-on
pas
estimé cyniquement que la pression des
anti-Balakas
pouvait concourir à cet
objectif ? D’autant que les promesses de
désarmement « impartial » de toutes les
milices ont rapidement fait long feu, le
désarmement ne touchant (modérément)
que les Sélekas. « Nous avions sous-estimé
la capacité de nuisance des anti-balaka

 », affirme Le Drian. Depuis, les
anti-Balakas
se sont engouffrés dans la
brèche, tentant de profiter de l’avance de
Sangaris et de la Misca [1], voire
s’affrontant à leurs soldats, au point
d’amener le général Soriano, commandant
de la Misca, à les qualifier de
« principaux ennemis de la paix » le
10 mars dernier.

Si le ministre ne semble pas avare
d’autocritiques, celles-ci
ne vont pas
jusqu’à reconnaître le rôle déstabilisateur
des ingérences étrangères appuyées par la
diplomatie française, celle du Tchad en
particulier, et même après que Déby ait
décidé de faire défection, retirant
(officiellement) ses troupes, pour
protester contre les accusations du Haut-Commissariat
des Nations Unies aux
droits de l’homme contre les soldats
tchadiens. Cela n’empêche pas non plus
le ministre français de continuer à dicter
publiquement aux autorités centrafricaines
leur feuille de route : « il faut
ouvrir le processus politique. Et ça, c’est
la responsabilité de Mme Catherine
Samba-Panza.
Elle doit faire un geste
[envers la Séleka ?], et cela doit se faire
en bonne intelligence avec les chefs d’État
voisins [Déby ?], qui n’ont aucun intérêt à
ce qu’il y ait une partition de la
Centrafrique
 ». Cela dit, bien entendu sans
vouloir s’« immiscer dans la politique d’un
gouvernement, quel qu’il soit
 »…

[1MISCA : Mission internationale de soutien
à la Centrafrique sous conduite africaine

#GénocideDesTutsis 30 ans déjà
Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 235 - mai 2014
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