Survie

Bons et méchants dans le spectacle

rédigé le 30 mai 2014 (mis en ligne le 12 juin 2014) - Odile Tobner

Depuis le rapt, le 14 avril, de 223 lycéennes dans le Nord-Est du Nigeria
par le groupe terroriste soit disant islamiste désigné sous le nom de
Boko Haram les média et autres faiseurs d’opinion se sont jetés sur la
barbarie africaine du moment avec une avidité qui s’est transformée en
hystérie quand le leader supposé de la secte a évoqué la possibilité de réduire
ces jeunes filles en esclavage. Mais qui se cache donc derrière Boko Haram ?

Mohamed Yusuf, théologien nigérian formé en Arabie saoudite, fonde en
2002 la "communauté des disciples pour la propagation de la guerre sainte et
de l’Islam". Mouvement à l’origine purement religieux, rassemblé autour
d’une mosquée et d’une école coranique, il se transforme en opposition
politique prônant la lutte armée contre un pouvoir corrompu, et l’instauration
d’une société islamique rigoriste. Le mouvement s’attaque aux postes de
police, occupe des villages. Face à son extension, l’armée vient à la
rescousse de la police et s’engage en 2009 dans une répression féroce qui
fait un millier de morts, souvent victimes d’exécutions extrajudiciaires,
comme Mohamed Yusuf lui-même.

On croit alors le mouvement éradiqué. Mais voilà que, fin 2010, un
personnage au profil tout différent se présente comme le nouveau leader de
Boko Haram dans une vidéo postée sur internet. Abubakar Shekau, né on ne
sait où et quand, petit gangster issu du lumpenproletariat des bidonvilles de
Maiduguri, fumeur de marijuana, semble l’homme le moins susceptible
d’organiser et de conduire une guérilla durable et structurée. C’est pourtant
sous la conduite de ce personnage que le mouvement change de dimension
pour déployer en très peu de temps une puissance considérable. Terrorisant
les États du Nord-Est, Boko Haram fait pas moins de cinq mille victimes lors
de massacres, incendies, attentats, contre les églises chrétiennes, mais
aussi contre des mosquées, des marchés, des villages, des écoles. Il parvient
même à frapper la représentation de l’ONU au cœur même d’Abuja, la
capitale. L’extrême cruauté du mouvement, qui va jusqu’à tuer des étudiants
dans leur sommeil, fait penser au GIA algérien, surgi aussi mystérieusement
après l’élimination du FIS, et dont l’objectif principal semble avoir été de
discréditer ce dernier.

Comment en effet une guérilla qui sévit dans les régions les plus pauvres
du Nigeria peut-elle entretenir, payer, doter d’un armement moderne ses
quelque trente mille combattants, leur permettant de mettre en échec les
forces armées nigérianes ? La diffusion via internet des grotesques mises en
scène de Shekau accrédite l’hypothèse d’un mouvement manipulé pour
justifier aux yeux de l’opinion internationale le traitement sécuritaire des
graves problèmes sociaux du pays.
Nos vedettes du show biz et de la politique se sont bien sûr précipitées, à
la suite de la first lady américaine, devant tous les objectifs en brandissant le
hashtag Bring back our girls. C’est surtout l’occasion rêvée pour l’Occident
de prendre pied militairement au Nigeria, première puissance économique du
continent africain, sous prétexte de venir à la rescousse d’un pouvoir
stigmatisé pour son incapacité à venir à bout de cette rébellion. Hollande n’a-t-
il pas proclamé devant les chefs d’État du Nigeria et d’un quarteron de pays
voisins, réunis le 17 mai à Paris, que « Boko Haram est devenu une menace
majeure pour l’ensemble de l’Afrique de l’Ouest et maintenant pour l’Afrique
centrale » et qu’il fallait une « réponse globale
 » ? Il est à craindre que l’afflux
des conseillers militaires états-uniens, français, anglais et israéliens, loin de
résoudre le problème, ne soit le début du pire pour les Nigérians, comme il l’a
été pour les centaines de milliers de victimes des conflits suscités et
entretenus au Moyen Orient et en Afrique. Combien de girls parmi elles ?

#GénocideDesTutsis 30 ans déjà
Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 236 - juin 2014
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