Survie

Libye : un chaos français

rédigé le 1er octobre 2014 (mis en ligne le 4 décembre 2014) - David Mauger

Tandis que l’exécutif français prépare les esprits à une prochaine intervention en Libye, attardons-nous sur le bilan de la précédente aventure française dans ce pays.

Avant la mise sur pied de la
coalition contre Daesh (Irak),
c’était à une croisade libyenne que
Hollande et Le Drian nous préparaient.
Devant les ambassadeurs (28/08),
Hollande a dressé le tableau bien sombre
de la situation libyenne : « ma
préoccupation majeure [...] c’est la
Libye. La confusion est totale, des
groupes djihadistes ont pris le contrôle
de sites importants et pas simplement de
sites pétroliers. Il y a deux parlements,
deux gouvernements, même si, pour nous,
il n’y en a qu’un seul de légitime. Il y a
aujourd’hui des milices et il y a, au sud
de la Libye, une formation de groupes
terroristes qui attend d’intervenir. Si nous
ne faisons rien [...] c’est le terrorisme qui
se répandra dans toute cette région.
Alors, la France demande aux Nations
Unies, parce que ce sont elles qui doivent
prendre leurs responsabilités, d’organiser
un soutien exceptionnel aux autorités
libyennes pour rétablir leur État.
 » Quel
cynisme d’en appeler aujourd’hui à
l’ONU, dont les résolutions ont été
violées par la croisade franco-émirato-qatarienne
de 2011 contre Kadhafi.

Le soutien français aux milices

S’ils n’étaient irrémédiablement
irresponsables, ce serait à Sarkozy et
Bernard-Henri
Lévy (BHL) qu’il faudrait
demander des comptes. Le premier pour
avoir déclenché cette croisade qui a
plongé la Libye dans le chaos. Le second
pour avoir prétendu que les bébés
naissent dans les choux et la démocratie
dans les bombardements. La diplomatie
française avait confessé en 2011 ses
largages d’armes et « l’envoi en Libye
d’une équipe restreinte de conseillers
militaires français pour encadrer et
conseiller le Conseil national de
transition [CNT] sur la façon dont il
pourrait organiser ses structures
internes, gérer ses ressources et
améliorer ses communications.
 »

Quand on connaît l’histoire de Touarga,
on peut s’interroger sur la nature des
conseils prodigués. Les bombardements
de l’OTAN des 10 et 13 août 2011
permirent aux milices de Misrata de
parvenir au centre de Touarga. La
population de cette ville, majoritairement
noire depuis l’époque pré-coloniale,
fut
accusée de crimes, commis aux côtés de
l’armée fidèle à Kadhafi. Par vengeance
raciste, les milices du CNT, cher à BHL,
saccagèrent la ville, terrorisèrent ses
30 000 habitants et interdirent aux
populations dispersées de revenir [1].
Amnesty International et Human Rights
Watch ont rapporté les cas de tortures, de
détentions arbitraires et de déplacements
forcés subis par ces populations. Bien
avant la prise de Touarga, le commandant
rebelle qui menait les combats avait
prévenu : « Touarga n’existe plus,
seulement Misrata.
 » (Wall Street
Journal
, 21/06/2011
). Fin août dernier,
Me Ceccaldi a déposé auprès du Tribunal
de grande instance de Paris une plainte au
nom des habitants de Touarga, qui
demandent réparation à l’État français
pour les crimes subis.

Quant à l’équipement des milices, les
rapports du groupe d’experts onusien
chargé de surveiller l’embargo contre la
Libye détaillent des livraisons d’armes
clandestines, principalement par les
Émirats Arabes Unis et le Qatar, citant
notamment « une vingtaine de vols […]
pour livrer aux révolutionnaires libyens,
à partir du Qatar, du matériel militaire,
dont des lance-missiles
antichars MILAN
de fabrication française
 » (S/2012/163).

Se payer sur la bête

Au-delà
de l’opération militaire, la France
et le Qatar se sont aussi intéressés aux
caisses du régime Kadhafi. « Nous ferons
payer la facture à ceux pour qui nous
faisons ce travail difficile, douloureux,
qu’est l’action militaire
 » déclarait
Christophe Barbier (LCI, 5 avril 2011).
C’est ainsi que le Mécanisme de
financement temporaire du CNT,
alimenté essentiellement par des fonds du
régime Kadhafi saisis à l’étranger, était
dirigé, en 2011, par trois Libyens, un
représentant du gouvernement qatarien et
un représentant du gouvernement
français !

Autre lien particulier entre le CNT et la
France, les hydrocarbures, dont les
fameux « 35 % » des réserves libyennes
de pétrole qui auraient été promis à Total
(Billets n°219, décembre 2012).

Embargo et bombardements occidentaux,
renversement d’un autocrate assis sur une
rente pétrolière, suivi d’un chaos : la
Libye serait-elle
l’Irak des Français ?

Drôles d’alliances

Les amis d’hier ne sont peut-être
plus
ceux d’aujourd’hui. Les liens étroits qui
existaient entre l’Élysée et le Qatar sous
Sarkozy ne sont plus de mise. Les
socialistes préfèrent se rapprocher de
l’Arabie Saoudite (comme sous
Mitterrand) et des Émirats Arabes Unis.
L’Arabie Saoudite est arrivée au premier
rang des commandes d’armes françaises
en 2013, tandis que la base militaire
française d’Abou Dabi est la vitrine
régionale pour l’armement tricolore.
L’accord de défense qui lie la France aux
Émirats depuis 1995 est cité comme étant
le plus contraignant en terme
d’engagement militaire en cas d’agression
du pays partenaire – au point qu’il serait
impossible pour la France de l’honorer.

Qui intervient en Libye ?

Pour en revenir à la Libye, depuis
plusieurs mois, une rébellion nationaliste
affronte des groupes islamistes soutenus
par le Qatar. Pour stopper la progression
de ces derniers, des frappes aériennes ont
touché la région de Tripoli. Selon des
propos d’officiels américains anonymes,
elles auraient été opérées par l’aviation
émirienne. Paris a démenti toute
participation. Une semaine avant
d’entamer une tournée aux Émirats et en
Égypte, Le Drian confiait dans une
interview au Figaro : « Nous devons agir
en Libye
 ». Et plutôt que de revenir sur le
fiasco de la précédente croisade, le
ministre de la Défense a préféré évoquer
la « réussite » de Serval : « Rappelons-nous
ce que nous avons collectivement
entrepris et réussi au Mali : une
opération militaire de grande ampleur
pour libérer ce pays de la menace
djihadiste, et un processus politique
démocratique. La dégradation de la
situation sécuritaire en Libye pourrait
entamer cet acquis. J’alerte aujourd’hui
sur la gravité de la situation en Libye. Le
Sud libyen est une sorte de « hub » où les
groupes terroristes viennent
s’approvisionner, y compris en armes, et
se réorganiser
 » (Le Figaro, 9/09).

Emportés par la rhétorique anti-djihadiste,
les faucons socialistes se
sentent pousser des ailes.

[1Consulter http://tawergha.org

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Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 239 - octobre 2014
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